Hors champ Trois films d'horizons, voire de continents esthétiques différents disent le cinéma dans sa diversité la plus radicale et confirment la variété de l'offre proposée par cette édition du FIFM. Je les cite dans l'ordre de leur programmation : La passion de Jeanne d'Arc, Kanyamakan et The zero theorem. La passion de Jeanne d'arc de Carl T. Deyer s'inscrit dans le cadre de l'hommage au cinéma scandinave intitulé joliment «Lumières du nord». Le film est un monument de l'histoire du cinéma. Et ce à double titre. D'abord par son apport sur le plan de l'écriture cinématographique ; le film appartient à ces années fastes du début du XXe siècle quand le cinéma commençait à s'installer comme langage autonome. Ensuite, par les péripéties qui ont marqué le devenir de sa copie. Nous étions quelques uns ce matin marrakchi à vivre un bonheur cinéphilique total à la belle salle Colisée qui a pris à cet instant-là des allures de cinémathèque. Nous avons eu la chance de voir une version qui a été récupérée suite à un long développement ; elle a été restaurée et projetée en 1985. Prouesse, car on sait que le négatif original a été détruit par... le feu ; à l'image de la fin de l'héroïne dont il raconte l'épopée. C'est un film de 1925. Il a été projeté la première fois en 1927. Film muet, même si Dreyer avait l'intention de se convertir au son. La chance du film. Car ce repli vers le muet va s'accompagner d'une réécriture du film en termes d'images en faisant du visage de Maria Falconetti qui incarne Jeanne d'Arc, l'emblème de toute une démarche esthétique. Les cinéphiles retrouvent avec ce film tout un pan de l'évolution du langage cinématographique. En effet, si Griffith a inventé l'usage du gros plan, Dreyer va systématiser son utilisation pour en faire une figure du style. Le visage devenant le lieu du drame, le support du récit. Le film commence à Rouen avec le procès intenté à Jeanne d'Arc par un clan de théologiens fanatiques. Il n'y a pas d'intrigues proprement dite puisque l'issue du procès est un fait connu. Tout l'art du cinéaste et des ses interprètes consiste à nous rendre visible cet invisible qui est l'enjeu de ce drame qui aura des répercussions historiques. Il sera constitutif de la culture partagée d'une Nation en devenir. Comme le film lui-même est fondateur d'un art qui marquera son siècle. Un art mais aussi comme divertissement de masse. Comment présenter la dynamique de la production cinématographique marocaine et proposer à son public un large spectre y compris un cinéma de divertissement ? On connait le succès phénoménal de Route pour Kaboul de Brahim Chkiri qui a suivi cette voie. Said C. Naciri va dans ce sens avec un véritable film d'action, Kanyamakan. Un immense travail à tous les départements de la production cinématographique a permis in fine un film qui tient la route où on s'amuse vraiment : on rit, on suit les péripéties et on salue les prouesses des interprètes cascadeurs, techniciens des effets spéciaux. La couleur est donnée d'emblée puisque le film démarre par un braquage dans une banque à Jamaa El Fna suivi d'une très belle séquence de poursuite en voitures dans les dédales de la Medina. On sent que le jeune cinéaste s'amuse et n'hésite pas à puiser largement dans les références du genre, nous offrant carrément un remake marocain du célèbre Sept Samouraï de Kurosawa : une communauté écrasée qui a recours à des mercenaires pour rétablir l'ordre initial. Mais le film va bien au-delà, refusant de s'enfermer dans un schéma laissant libre cours à l'imagination. Pour le bonheur du spectateur du samedi soir qui est à la base de notre désir de cinéma. Une imagination débridée, un foisonnement de signes, un univers d'enfermement et de surveillance électronique et le désir encore qui vient provoquer le big bang générateur de la vie... une entrée possible vers l'inclassable The zero theorem de Therry Giliam ; toujours fidèle à lui-même dans sa démarche baroque et visionnaire. Il dit le monde d'aujourd'hui en poussant la logique des signes qui meublent notre quotidien vers un point d'extravagance où le choix radical s'avère salvateur.