A regarder ses films, le sentiment qui s'en dégage, c'est un tout harmonieux, assez bien ficelé, bien pensé et réfléchi. Et pourtant, Bruno Dumont fait une révélation : «Je ne donne jamais de scénarios aux acteurs. Je leur explique ce que j'attends d'eux. Je les mets dans une situation d'improvisation qui va déclencher le texte.» Il aura fallu le masterclass de dimanche dernier à l'occasion du FIFM pour s'en rendre compte. Et pis encore, la plupart de ses acteurs sont des acteurs non professionnels. A voir les films célèbres du réalisateur français, notamment «La vie de Jésus» (1997) et «L'humanité» (1999), tous diraient que les personnages principaux sont de vrais acteurs. Il n'en est pourtant rien, quoique les acteurs comme Juliette Binoche dans le film «Camille Claudel 1915», à qui le réalisateur a rendu hommage samedi dernier, sortent du lot, mentionne-t-il. Mais à cette icône du cinéma français, il ne donne pas également de scénario. Autre révélation : le réalisateur recrute souvent ses acteurs dans des centres de recherche d'emplois et non dans des centres cinématographiques comme on le croirait. Et pourquoi ? Pour Bruno Dumont, il faut casser les clichés, apporter quelque chose de nouveau au cinéma, briser la familiarité, car le cinéma n'est pas juste une distraction, mais un moyen d'apprentissage pour le téléspectateur. Il faut jouer avec des «gens bruts», non préparés, qui improvisent, jouent sous l'effet de la peur. Car c'est cette peur qui transmet de l'émotion. Le cinéma ne relève pas de la fabrication, mais de la perception, argue-t-il. Et d'ajouter à la consternation de plus d'un cinéphile, «pour être un bon cinéaste, il ne faut pas aller dans une école de cinéma. Les écoles de cinéma sont faites pour être de bons techniciens et metteurs en scène». L'art ne s'apprend pas, mais se vit. Il ira plus loin disant qu'il serait plutôt avantageux pour un cinéaste de faire des études de philosophie et de théologie. Selon le réalisateur français, le cinéma est un art sacré à respecter, décriant ainsi la production commerciale et populiste qui caractérise le champ cinématographique à l'heure actuelle.C'est à Bailleul en 1958 que nait Bruno Dumont. Il tourne ses deux premiers longs métrages «La vie de Jésus» (1997) et «L'Humanité» (1999) qui sont primés à Cannes avec respectivement, la mention spéciale caméra d'or et le grand prix du Jury et double prix d'interprétation. En 2003, il réalise «Twentyninepalms», en 2006 «Flanders», en 2009 «Hadewijch», en 2011 «Hors Satatn» et «Camille Claudel 1915» en 2013. *** Honneur au cinéma nippon Hommage à Kore-Eda Kirokazu De l'Amérique à l'Europe, avec une escale en Asie, le FIFM suit à pas de géant son parcours. Le cinéaste japonais Kore-Eda Hirokazu a reçu dimanche dernier des mains de l'actrice britannique Charlotte Rampling l'étoile du FIFM pour son cinéma bouleversant, méditatif et son approche décalée qui lui ont toujours valu des critiques élogieuses. Le gracieux cinéaste japonais a été à l'honneur dans la ville ocre au cours de la cérémonie d'hommage présidée par Charlotte Rampling qui s'est exprimée dans un discours profond en mettant en avant l'universalité des thèmes abordés par le cinéaste japonais, son «style épuré» et «réaliste», «ses films qui ont traversé les frontières» et «la lumière de ses images qui impriment les esprits». Kore-Eda s'est dit très ému de recevoir un tel hommage. «C'est un rare et précieux bonheur que de recevoir une telle appréciation. Je la reçois comme un signe d'espoir pour la suite», a-t-il déclaré dans une ambiance chaleureuse. Kore-Eda Hirokazu est un vétéran du cinéma japonais. En 1995, il réalise son premier long métrage «Maborosi» qui remporte l'Osella d'or au festival de Venise ainsi que de nombreuses autres récompenses internationales. En 1998, «After life» remporte le grand prix du festival des 3 continents de Nantes ainsi qu'un prix au festival du cinéma indépendant de Buenos Aires. En 2001, «Distance» est présente en compétition au festival de Cannes. En 2011, «I wish» remporte le prix du meilleur scénario au 59e festival de Saint-Sébastien. Son film «nobodyknows» remporte le prix d'interprétation masculine à Cannes. En 2013, son opus «Tel père, tel fils» remporte le prix du jury au festival de Cannes. *** Ils ont dit... Les masterclass Pour la 6e année consécutive, les masterclass font partie intégrante de la programmation du Festival international du film de Marrakech. Initiés en 2007 par Martin Scorsese, les masterclass sont le lieu de rencontre, de discussion, d'échange et de partage entre les «makers» du cinéma international et le public. Un temps pour eux de révéler leur jardin secret et leurs «secrets de cuisine». La première journée des masterclass de cette 13e édition du FIFM a été celle du réalisateur français Bruno Dumont, devant un public composé de cinéphiles, notamment d'étudiants de cinéma. Al Bayane est allé à la rencontre de quelques étudiants de cinéma ayant assisté au Masterclass. Les propos. Chourouk Zarkaoui, étudiante ESAV Marrakech Je suis étudiante en graphisme, mais le cinéma m'intéresse énormément. C'est pourquoi j'assiste souvent aux masterclass. L'année dernière, j'ai pris part aux masterclass de Darren Aronofsky et de bien d'autres cinéastes. Les masterclass sont assez fructueux. Ils aident à améliorer nos connaissances cinématographiques, car la plupart du temps ce sont des réalisateurs de renom qui y participent. Ils permettent de découvrir ce qui se passe derrière la caméra, dans les coulisses et la «philosophie» du réalisateur. La projection d'un extrait du film «L'humanité» de Bruno Dumont au cours de son masterclass a mis en avant l'originalité du réalisateur français et mis l'accent sur le son par rapport à l'image. Je trouve cela très intéressant et bien réfléchi, car cette technique sort de l'ordinaire. Certains films commerciaux répondent simplement aux attentes des spectateurs. Pourtant certains films d'auteur ne cherchent pas à satisfaire le spectateur, mais plutôt à le brusquer, à susciter des émotions chez lui qu'elles soient négatives ou positives. C'est ce qui rend le film plus attrayant. Yazid El Kadiri, étudiant de cinéma à l'ISMAC A l'issu du 1er masterclass, je peux dire que j'ai appris quelque chose de nouveau avec le réalisateur français, Bruno Dumont. Nous avons regardé les extraits de ses films qui étaient bien cadrés avec des mouvements de plan ainsi que des prises de vue assez différentes de ce que l'on voit d'habitude. Je ne suis pas vraiment d'accord avec le réalisateur qui pense qu'il ne faut pas passer par une école de cinéma pour être un bon cinéaste, car il est important d'avoir des connaissances théoriques. Il a tout de même dit qu'il faut étudier le cinéma pour être un bon ingénieur de son, production, réalisation et scénario production. Il a fait également comprendre que le côté artistique du cinéma ne nécessite pas de passer par des écoles. Pour ce qui me concerne, je crois que la situation du cinéma au Maroc est à améliorer. La preuve en est que durant ce festival, uniquement un ou deux longs métrages marocains sont en compétition. Le film «La marche» de Nabil Ben Yadir était très intéressant, mais en général ce sont les films étrangers qui sont projetés au cours de ce festival. Il faut entreprendre des démarches pour améliorer la situation du cinéma au Maroc qui est médiocre, d'autant plus que l'exercice de la fonction de cinéaste au Maroc exige une carte professionnelle ou pire, l'exercice pendant dix ans en tant qu'assistant réalisateur afin de devenir un réalisateur reconnu. Imane Aoun, étudiante de cinéma à Rabat Le festival, de manière générale, est bien organisé. J'ai bien aimé surtout le choix des films qui est divers. Les cinéphiles ont le plaisir de voir à chaque fois quelque chose de différent et de plus intéressant. Le masterclass de Bruno Dumont a été très important pour cette journée, par ce qu'il est revenu sur des points forts et intéressants dans la réalisation de ses films. Il a évoqué de manière profonde le côté esthétique, technique de la réalisation des films, les plans, les mouvements de la caméra et les prises de vue. Ce qui a apporté plus d'informations à mon bagage cinématographique. Je n'ai pas beaucoup apprécié le point de vue qu'il a avancé selon lequel un bon cinéaste c'est celui qui ne passe pas par une école de cinéma. Etant une étudiante en cinéma, cela m'a découragée. Tout de même, je compte assister à tous les autres masterclass puisque je me suis déplacée de Rabat à Marrakech pour bénéficier de ces séances de rencontre avec les réalisateurs internationaux et aussi regarder les longs métrages. Soukaina Brahimi, étudiante à l'ISMAC Rabat Il est très important pour un étudiant de cinéma d'avoir une idée sur l'expérience d'un réalisateur célèbre. Le masterclass de Bruno Dumont a été intéressant dans la mesure où le réalisateur a développé des idées très centrales au domaine cinématographique. Je sors de ce masterclass ayant appris quelque chose de nouveau. Le festival dans l'ensemble est très intéressant, surtout les films qui sont projetés. J'ai vraiment apprécié le premier film «Medeas» quoiqu'il fût philosophique, complexe. Le fait de chercher tout au long de la projection à saisir le message transmis par le film nous a gardés attachés au film. C'était certes ennuyeux, puisque le film est bâti sur l'histoire d'un couple dans lequel la femme est muette, mais c'était instructif.