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Intellectuels de la pensée critique, réveillez-vous, Marx a raison
Réflexion
Publié dans Albayane le 24 - 11 - 2013


Réflexion
Et il est temps de sortir de cette hibernation intellectuelle, qui devient à la longue pesante, faisant figure de compromission ou d'un mal qui ronge les entrailles de l'intellect marocain, le frappant d'indigence, de stérilité, ou pire, la couardise, cet état de peur qui gèle l'esprit et bloque toute velléité d'effort de réflexion, à moins que cela ne soit de l'autosuffisance qui justifie la démission et le recroquevillement sur soi.
Mais que serait une Nation, un Etat, un peuple sans intellectuels agissant, produisant les idées, déployant l'intelligence créatrice, bravant les interdits, expérimentant le possible et l'impossible, vivant l'aujourd'hui avec l'œil inquisiteur, le jugeant aux aunes de leurs lectures de l'histoire récente ou lointaine, qu'ils connaissent mieux que qui ce soient ? Que deviendrait une Nation, si l'intellectuel, savant et penseur, substitut et héritier des prophètes et des sages, cesse de rêver un meilleur avenir, de proposer les voies pour un futur meilleur pour les générations à venir?
Cet état ne serait-il pas le résultat de la perte de la foi en soi, ou dans la société à laquelle on appartient, ou dans l'avenir? Ou serait-ce l'expression d'une pusillanimité à braver les forces du mal qui ravagent le pays, préférant se terrer dans les caniveaux, ou faisant acte d'abdication à ces forces contre des refuges dorés, et tant pis pour les autres, car les autres, contemporains ou leurs successeurs, «c'est l'enfer» comme le proclamait Sartre dans son existentialisme individualiste et égoïste?
Je pencherai pour ma part à blâmer la perte des repères, ou plutôt l'effritement de la foi dans les repères basiques de tous les aiguillages idéologiques liés à l'époque qui les a générés, encore fraîche dans nos mémoires, scellée dans l'amertume. Croire que l'on peut aller de l'avant sans regarder en arrière, et espérer réaliser ce qui semblait vraisemblable est une chimère que d'aucuns se sont évertués à dresser en nouveau repère basique. Nous détenons l'arme invincible de l'intelligence, qui a permis à l'espèce humaine de proliférer, de siéger en haut de la pyramide de la vie, de peupler la terre entière et de se préparer à conquérir l'univers par la seule force de l'esprit. Croire qu'un humain ou un (ou des) groupement humain puisse détenir en exclusivité cet esprit producteur de la connaissance est le pire des handicaps. Tout également que de croire avec un certain fatalisme qu'il est possible de monopoliser exclusivement la connaissance de toutes natures qu'elle soit; et servir cela comme prétexte que l'autre est le plus apte. Rien ne peut empêcher la connaissance de proliférer parmi les peuples, c'est le pire des leurres que l'on cultive assidument pour bloquer toute velléité d'émancipation et la régénération civilisationelle.
L'enjeu en fin de compte est celui de la volonté d'agir pour assumer les missions et les responsabilités qui incombent de la détention du précieux don de l'intelligence savante, qui grève ceux qui le détiennent à rêver pour leurs congénères, à chercher les voies d'une existence collective meilleure. Cela commence par embrasser les soucis et les espérances de notre propre société, notre propre nation, notre propre peuple et l'avenir que l'on voudrait voir se réaliser ; et cela n'est possible que si l'on active la force de la pensée critique et abandonner la léthargie et l'hibernation intellectuelle.
C'est en ce point où l'on retrouve tous les penseurs, visionnaires, hommes de science et de technologie, philosophes et prophètes. C'est en ce point que l'on retrouve, parmi eux, celui qui a remué le monde de la pensée critique pendant plus de deux siècles, Karl Marx, et qui a le mieux servi, tenez-vous bien, le développement du capitalisme bien plus que ses propres laudateurs, alors qu'il est considéré à tort comme son irréductible pourfendeur. Ne souhaitait-il pas en fait voir ce système s'installer, en son temps, dans son propre pays, l'Allemagne, dont il cherchait la grandeur et la puissance, et cela dans la même ferveur que son contemporain Hegel, qu'il complétait plus qu'il ne contredisait réellement? Mais une tradition de pensée facile a fait croire le contraire, s'appuyant sur une hypothétique théorie sur le communisme, que Marx n'a jamais réellement élaboré.
L'Allemagne trainait, à l'époque de Marx, derrière la Grande Bretagne qui avait réalisé sa révolution industrielle, ainsi que la France qui avait réussi sa révolution démocratique libérale. Hegel, tout émerveillé par le sursaut démocratique et libéral d'un Rousseau, le rationalisme d'un Descartes, focalisait ses efforts pour jeter les bases de la consolidation d'un Etat fort capable de réaliser le redressement de son pays, par le développement du Droit et de la construction d'une société civile moderne, émancipée des oripeaux de la féodalité qui l'étouffait. Il rêvait du changement de l'histoire qui devait être orienté par le projet idéel, devant rentrer en antagonisme dialectique avec le réel, et de ce conflit devait émerger cette réconciliation ou synthèse où l'histoire devient une concrétisation de l'idée constituant sa finalité et son devenir ultime, une Allemagne puissante et développée.
Marx a rejeté l'approche hégélienne, l'accusant d'irréalisme, sans faire de cas que les propos de Hegel sont en fait une critique de la réalité sociopolitique de l'Allemagne. Hegel, n'ayant pas à notre sens le courage de mettre en péril sa situation sociale, s'est replié sur un langage ésotérique où la métaphysique se mêle à différents angles cognitifs, qui vont se développer par la suite dans des disciplines scientifiques distinctes, loin de la vision encyclopédique englobant qu'il souhaitait dresser, mais qui allait fatalement les handicaper. Marx va rallier la nouvelle pensée économique développé par Adam Smith et ses compagnons d'école, particulièrement David Ricardo. Il trouvera chez eux les matériaux pour développer une approche de l'histoire bien que sommairement trop smithienne, hypothétiquement orienté, mais plus concrète, où l'on retrouve le déterminant du développement de l'histoire des hommes: la division du travail et la spécialisation des tâches. Ce déterminant octroie à la structure des activités productives de tout ordre, intellectuel ou physique, le rôle moteur dans le façonnement de l'histoire, qu'attestent les métamorphoses de l'Angleterre qui avait déjà effectué le bond au stade capitaliste. Il reconnaitra la capacité de l'économie du marché à libérer les forces productives de la société. Mais alors que la tentative d'explication smithienne des ressorts de cette nouvelle économie échoue lorsqu'elle invoquera «la main invisible», abdiquant et le rationalisme cartésien et le positivisme anglo-saxon (Locke, August Comte...); Marx, dans son œuvre de penseur critique, va analyser les fondements de l'économie bourgeoise, mettant en chantier un système de pensée ralliant une méthodologie hypothético déductive associée à une vision déterministe, qui est en fait à l'orée de l'horizon paradigmatique de son époque, et qui se déploie dans son esquisse de l'avenir, où les vœux politiques prennent le pas sur l'analyse objective. Cette mixture va engendrer par la suite beaucoup de divergence d'interprétations chez ses adeptes, et particulièrement après la révolution bolchévique et la constitution de l'URSS. Il semble que les fanatiques de tout bord de Marx ont écarté le positionnement exacte de la lecture de l'œuvre de Marx en le détachant de son époque, de sa nature fondamentale en tant que penseur critique obnubilé par la situation d'arriération de son propre pays, l'Allemagne, et les moyens de lui faire rattraper son retard avant que ne survient un nouveau dépassement chez ses voisins. Et pour le prévenir, il ne trouvait d'autre moyen que l'adoption du capitalisme comme voie de salut nécessaire, dont la maturation des contradictions amènera le stade de la libération de toute la société de ses tares, engendrés par la dynamique de l'exploitation qui déchire l'unité sociale.
Marx a été un visionnaire qui pensait pour son pays d'abord, luttait contre la misère où se trouvait la majorité de sa population, misère qui le répugnait bien qu'inévitable comme sous-produit de l'exploitation capitaliste. Cela ne l'empêcha point de braver les forces qu'il dérangeait en vue de défendre des solutions de rechange pour un avenir meilleur où toutes les composantes de la société se trouveront émancipées des servitudes de l'organisation capitaliste. Il était loin d'imaginer les conséquences de sa lutte intellectuelle.
Marx et le capitalisme
Marx a vécu à un moment d'accélération de l'histoire humaine caractérisé par une libération de la pensée scientifique du joug d'une théologie rétrograde, qui a généré une poussée des applications technologiques. Les inventions et les innovations ont pris la forme de révolutions successives, entrainant un bouleversement majeur de l'organisation sociale.
Le mot d'ordre retenu par Marx est que la pensée ne doit pas seulement servir pour comprendre le monde, mais également œuvrer pour le changer. La réalité du présent étant une résultante de la dynamique de l'histoire, comprendre ses points focaux permet de ne plus la subir mais de la gouverner.
Sa profonde compassion à l'égard du monde du travail et la misère dont souffrait cette classe sociale s'est renforcée par les conclusions de son analyse qui attribue au travail la paternité de la génération des richesses et la production de toute valeur marchande. Il importe de relever à ce propos que certaines études récentes constatent que l'introduction intensive de la technologie pour remplacer le travail, si elle augmente d'une manière spectaculaire la productivité quantitative, elle provoque simultanément la réduction de la valeur marchande des produits, contrairement aux services ou prestations qui relèvent principalement ou exclusivement d'un travail humain, dont la valeur marchande devient, avec la mécanisation envahissante, de plus en plus élevé, tel tout travail appelant des talents artistiques ou n'obéissant pas à la normalisation mécanique, ou nécessitant l'intermédiation humaine à des stades cruciales de sa valorisation. Ces études accréditent le caractère fondamental du travail humain vivant dans la création de la valeur (la plus-value ou le surplus dans l'acception marxienne) et discréditent les discours qui prêtent au capital technique, lui-même fruit du travail humain, la prédominance qu'on entend lui attribuer. Cela est également attesté par ce que l'on appelle l'intelligence industrielle, militaire ou économique, qui protège principalement le secret de la fabrication, qui est une œuvre humaine que la fabrication elle-même, que d'aucuns nomment la force du design, protégée par la voie juridique (les brevets) ou par le biais de la définition des normes confiées à des organismes internationaux comme l'IUT pour les télécommunications.
Mais insistons sur un fait fondamental caractérisant l'œuvre de Marx qu'est sa reconnaissance de la puissance productive et moderniste de l'organisation capitaliste de la production, en dépit de ses contradictions touchant à sa distribution inégalitaire, consacrant l'exploitation sauvage de l'élément fondamental du processus de production qu'est le travail humain. En reprenant Les théories de la valeur de Smith et Ricardo, Marx développe une explication mathématique et systémique démontrant que derrière toute production de richesse git le travail humain. La dynamique de cette production est à l'origine de la croissance (phénomène s'inscrivant dans le court et moyen terme) et du développement socio-économique (phénomène se déployant sur le long terme). Cette évolution est émaillée de soubresauts positifs et négatifs dus aux contingences de la production et de la réalisation de la valeur, se traduisant par l'apparition des cycles inflationnistes ou de surproductions, faisant de la marche en déséquilibre du système la règle. Ses démonstrations vont tracer la voie pour le développement de l'outillage conceptuel qui fera par la suite la force des sciences économiques, dont on relèvera les modèles de l'équilibre général, de la croissance et des cycles, la programmation et planification, et surtout le développement de la comptabilité et des statistiques avec tout la panoplie d'indicateurs de la conjoncture .
Il m'importe de souligner à ce stade de souligner que les néolibéraux n'ont pas renoncé à cet héritage, particulièrement en prétendant qu'ils ont complètement abandonné la planification. Ils l'ont en fait repris avec une nouvelle dénomination «la stratégie», seulement qu'elle est devenue liée plus au court terme, pour satisfaire les exigences du rendement rapide, eh bien sur elle l'apanage du discours entrepreneurial, le guide indispensable des trusts principalement, mais exclusivement eux. Par contre elle est totalement interdite à l'Etat, accusé de tendance communiste enfouie dans sa nature et qui le pousserait à vouloir se substituer au Marché, siège de la Main Invisible, le meilleur organisateur de l'équilibre.
Mais le plus fondamental est que Marx a mis à jour les deux maux qui taraudent le système capitaliste et qui le menace de l'apocalypse finale:
- La loi de la baisse tendancielle des taux de profits, qui condamne le système à une évolution cyclique, le faisant passer d'un état de stabilité et d'euphorie à un état de crise dont la classe des travailleurs et le reste des couches faibles de la société en font les frais.
-Le problème de la réalisation de la valeur, autrement dit la limitation des champs des débouchés de fait, qui se trouve accentué par la paupérisation générée par le système de répartition.
L'évolution du capitalisme mondialisé de nos jours n'apporte aucun démenti à ces théorèmes. Ce qui reste à expliquer est la résistance du système capitaliste. Pour cela on invoquera les raisons suivantes:
-La colonisation et l'impérialisme contemporain qui ont permis l'accès à toutes les richesses naturelles du globe, mais également l'élargissement des débouchés pour l'écoulement des marchandises
-L'intensification de l'activité marchande au sein des frontières nationales par la mise en place des politiques du welfare et qui seront remplacées par les politiques de l'endettement généralisé et la financiarisation sans limite.
-La mondialisation néolibérale ou la globalisation du Marché qui a rendu les frontières de tous le pays perméables, en imposant aux Etats le commerce libre de toute entrave protectionniste, et soumis à la gestion supranationale d'organismes internationaux tels l'OMC, BM, FMI, OCDE, la FED qui gouverne de fait l'économie mondiale par le dollar....
- Le développement spectaculaire de la technologie dont les bonds révolutionnaires se succèdent apportant des bouffées d'oxygène nécessaires à la survie et la pérennité du système capitaliste.
Marxisme et politique
Notre propos à l'égard de ce bref synopsis sur Marx entend privilégier non l'héritage intellectuel de ce penseur, mais son positionnement en tant que penseur critique dans son pays l'Allemagne. C'est à partir de la critique qu'il a refondé la pensée économique, en vue de la libérer du carcan philosophique et permettre sa refondation en tant que science. Toutefois la dimension politique ne l'a pas quitté, puisqu'il va œuvrer, ainsi qu'Engels à la consolidation du premier parti des travailleurs, le parti socialiste SAPD, qui deviendra par la suite le SPD. Ce parti, fondé en 1875, va permettre à ses disciples et adeptes de continuer son œuvre après son décès, survenu en 1883, de mener le combat sur le terrain politique, spécifiquement en défendant les intérêts de la classe laborieuse, mais également en continuant le travail intellectuel nécessaire pour hâter le déclin de l'ordre capitaliste.
Bien que ce parti vouait allégeance à Marx, il va connaître d'intenses débats et tiraillements entre les personnalités qui se sont démarquées par leurs apports intellectuels, tel Ferdinand LASSALE le leader romantique, ou Karl KAUTSKY, un proche d'Engels.
A cette époque l'Angleterre va franchir le premier pas de la libéralisation de son économie, en procédant à une ouverture de ses frontières portuaires, en adoptant la «Corn Law» qui a libéralisé l'importation du blé, mettant en pratique de la théorie ricardienne des avantages comparatifs. Comme quoi que la pensée critique bénéficie à toute forme de système même si ses retombées ne sont pas profitables à tout le monde.
Alors que l'Allemagne végétait encore et trainait derrière les deux puissances de l'époque, non seulement sur le plan économique mais également sur le plan politique; en témoigne l'interdiction du parti socialiste; poussant ses militants à se radicaliser et pour certains d'entre eux à s'exiler.
Mais le plus important dans l'évolution de ce parti est le débat intellectuel. Car le parti est avant tout un forum de débat continu, où normalement ses intellectuels et têtes pensantes proposent et développent des approches renouvelées aux défis que confrontent tout parti, d'abord dans la compréhension du milieu social et politique où il évolue, ensuite dans la compréhension objective des aspirations de ses militants et sympathisants, pour éviter que le parti ne devienne un instrument pour l'opportunisme et l'arrivisme de certaines de ses ailes ou de forces extérieures occultes. Le parti est normalement un centre collectif pour produire les visions stratégiques dont les effets, une fois adoptées et mise en œuvre par un gouvernement, vont déborder ses cadres pour embrasser tout le pays et les générations présentes et futures.
A propos de ce débat, le SPD depuis sa création était taraudé par la problématique du devenir du capitalisme et du moment historique de son implosion, bien que Marx a spécifiquement considéré que tant que le potentiel du capitalisme pour le développement des forces productives n'est pas épuisé, ce potentiel garantit son maintien et sa résistance pour une période dont le terme ne peut être déterminé dans l'horizon de quelques générations. Les missions du parti devaient se focaliser sur les moyens d'atténuer les effets pervers du système, particulièrement sa propension à la paupérisation systématique du prolétariat. Les visions oscillaient entre l'approche réformiste et celle radicale qui voulait hâter la fin du système par la prise du pouvoir politique et l'abolition de la propriété privée des moyens de production.
Parmi les contributeurs aux débats, deux personnalités se sont démarquées: Rosa Luxemburg et Rudolf Hilferding. Rosa Luxemburg en agissant en penseur critique, refusant de déifier Marx, fit un apport exceptionnel à la pensée marxiste. Elle posa la question de la dynamique du capitalisme qui ne peut être considérée dans une durée moindre de celle du féodalisme (6 siècles). Son livre «L'accumulation du capital» a été autant une profonde et tranchante critique à l'adresse de ses compagnons d'arme: Kautsky et Bernstein; qu'à l'adresse des insuffisances de la pensée de Marx, en l'exposant à une critique immanente pour combler les incomplétudes des modèles de la reproduction rythmant le développement et l'évolution du capitalisme. Ainsi elle va relever que Marx n'a jamais abordé le problème de la monnaie, éludant de la sorte la problématique de l'origine du capital monétaire investi par le capitaliste bien avant qu'il n'ait produit et vendu la production, et générer par la même occasion la plus value. Il ne prêtera pas attention également aux problèmes de l'écoulement de la production, condition sine qua non pour la réalisation de la valeur, et enfin les problèmes liés à la recherche de la main d'œuvre ou de liquidités pour l'acquisition des inputs et de la force de travail.
La critique constructive de Luxemburg a apporté les contributions majeures suivantes:
- Elle rattacha, d'une part, les problèmes de la demande dans les pays avancés aux périphéries dépendant de leurs empires coloniales, qui servaient de débouchés à leurs biens d'équipement et de consommation; alors que celles-ci fournissaient les matières premières et les biens alimentaires qui influent sur la détermination des salaires réels et en préviennent l'augmentation. Toutefois, et en dépit de sa perspective globalisante, Luxemburg n'a pas pu entrevoir que la périphérie pouvait également devenir le lieu de délocalisation du capital en quête d'une main d'œuvre à bas salaires.
- Luxemburg introduit un 3e Département au schéma de reproduction établi par Marx. Elle lui attribua la fonction de l'absorption des excédents budgétaires de l'Etat, par leur affectation, particulièrement, à l'industrie militaire, résolvant par la même occasion le problème de l'absorption du surplus d'équipements produits par le 2e secteur. Avec ces fonctions qu'elle a mises en relief, elle attribua aux finances publiques une importance stratégique. Cette importance sera reflétée par la suite par la théorie keynésienne dans sa définition de la demande effective et les moyens de la faire doper.
Quand à la crise inéluctable du capitalisme qui entrainera sa dissolution, elle sera retardée par le développement de l'impérialisme, qui verra une fin avec la libération des pays de la périphérie de toute forme de dépendance.
Les illuminations de Luxemburg concernant la monnaie et le système financier seront reprises par Rudolf Hilferding. Il faut dire qu'à son époque, l'activité bancaire a connu des transformations décisives, puisque les banques ont commencé à prendre des participations dans les capitaux des grandes entreprises industrielles, et leurs dirigeants siégeaient aux conseils d'administration, transformant les banques en partenaires dominants du capitalisme allemand. Hilferding, devant cette évolution, avança le concept du capitalisme financier en tant que nouvelle phase différente de ce que Marx avait théorisé. Cette nouvelle situation annulait l'effectivité des lois fondant le marxisme, particulièrement celle de la baisse tendancielle du taux de profit, de même que la loi classique de la tendance à l'égalisation des taux de profit.
En fait ce que Hilferding ne pouvait voir c'est le détournement d'une part de plus en plus grande des profits au bénéfice du capital financier, que le développement des activités boursières a mis nettement à jour. Autrement dit la péréquation des taux de profits inter-secteurs et branches a été annulée par la scission qui s'est opérée entre l'économie réelle et l'économie financière.
En tout état de cause, le SPD est resté à nos jours un parti fidèle à ses engagements idéologiques, en dépit de reculades et concessions supportées par certains de ses leaders à l'instar de Gérard Schröder, qui a été extrêmement complaisant avec les capitalistes allemands (lire à ce propos Olivier CYRAN dans le Monde Diplomatique du mois de septembre 2013). Ils n'ont pas été les seuls puisque bien avant eux François Mitterrand avait emboité le pas aux anglo-saxons et n'a pas hésité à faire un virage vers la droite néolibérale, pour se mettre au diapason de l'époque qui exigeait une unification des choix idéologiques afin d'avancer promptement dans la réalisation de l'union européenne. Quand aux autres partis socialistes qui ont surgi dans le monde occidental, notamment en Grande Bretagne, leur socialisme était éloigné de l'esprit marxiste; il était plutôt d'une nature keynésienne ou fabienne. Le SPD va survivre à la mésaventure nazie et l'organisation néolibérale qui va être instaurée dans l'Allemagne après la fin de la 2ème guerre mondiale. Le parti a été une force incontournable et il a pu s'imposer dans les dernières élections allemandes, qui ont reconduit la Chancelière Merkel. Celle-ci a saisi le message d'un essoufflement social qui pointait qui l'a contraint à composer avec ce parti, reflétant le choix d'œuvrer à atténuer la pression du dictat de la compétitivité sur les salariés dont la plupart ne veulent plus en souffrir en silence.
Marx et le communisme
Ce ne serait pas une récurrence que de rappeler que le terme communisme relevait chez Marx de la diatribe politique, où la ferveur émotionnelle l'emporte sur le rationnel, et dont le manifeste communiste constitue l'exemple phare. Aucun contenu explicatif, spécifique ou démonstratif n'a été à ma connaissance accordé à ce terme, hormis d'être une libération du prolétariat et de la société de la structuration en classes, en fin de compte une négation du capitalisme. A cet égard, il convient de souligner, pour rendre justice à Marx, qu'il n'a jamais revendiqué la découverte d'une hypothétique loi générale expliquant le développement historique de la société humaine, soit par étapes ou autres. Cette confusion a été le fait d'une orthodoxie qui s'est installée après la révolution bolchevique, et l'annexion des pays voisins dans l'URSS a permis au parti communiste soviétique d'exercer un dictat idéologique dans l'interprétation de l'œuvre de Marx, conformément à la politique de l'exportation de la révolution, qui a débouché sur une confrontation avec l'occident et faisant subir au monde les aléas de la guerre froide .
Il est hasardeux de préjuger de l'avenir, et surtout à l'époque de Marx. L'avenir est une masse de possibilités disparates entre les mauvaises et les bonnes. Dire que l'abondance conditionne ou caractérise le passage au stade communiste est réfuté par l'état actuel du monde. Les capacités productives ont atteint de nos jours un niveau tel qu'il est devenu possible d'éliminer la famine et le besoin dans le monde; mais la dilapidation des ressources dans des guerres démentielles empêche la survenue de cet état des choses que dictent la rationalité et la sagesse, car il pourrait nuire au maintien des taux élevés de profit. Le résultat ce sont les ressources naturels qui vont être épuisés justifiant plus de guerres encore.
La Russie tsariste a vu la constitution des premiers partis d'obédience marxistes. Ces partis étaient divisés sur les options de la nécessité d'instaurer le capitalisme d'abord, ralliant par là le vœu du Tsar, ou de sauter cette étape et aller directement au socialisme. Le parti populaire des Nardoniks avait adopté le dernier choix. Il s'est appuyé sur la considération que la campagne russe était déjà organisée par l'appropriation collective des terres, dont la production est répartie au sein des communautés villageoises (c'était le cas du Maroc avant la colonisation française). Dès lors, il n'y avait qu'à généraliser la règle et passer directement au socialisme. Cette vue confronta non seulement le rejet violent du pouvoir tsariste, mais subira également des camouflets de la part des partenaires de la même cause.
L'un d'eux va se distinguer par la virulence de sa critique. Il sera connu par la suite sous le nom de Lénine. Par une série d'écrits publiés à partir de 1890, il va réfuter les propos des Nardoniks et traitera leur analyse de romantisme économique. Pour Lénine, le capitalisme était une option progressive en dépit de la paupérisation générée par l'exploitation. Il rallie dans ce positionnement Marx qui considérait que le libre commerce impulse et les forces productives et la croissance du capital; celle-ci accroit en retour et la demande du travail et le taux des salaires, améliorant à terme la situation des travailleurs. Toutefois le vœu des marxistes est que l'accélération du développement du système le rapprochera plus rapidement de sa fin.
Toujours est-il que ni Marx ni ses successeurs ne pouvaient imaginer les ruses de l'histoire dont parlait Hegel, dont certaines se sont déroulée devant nos yeux: la colonisation, les révolutions technologiques, la déviation fasciste, le rééquilibrage keynésien avec ses 30 années glorieuses, l'implosion de l'URSS, la multiplication des guerres, la mondialisation néolibérale qui a, entre autres, imposé: la dilution des frontières nationales, le canon sacré de la compétitivité, qui consiste essentiellement à raser les salaires, leur nivellement vers le bas par une concurrence à l'échelle mondiale des classes laborieuses nationales, sans faire le moins de cas de la paupérisation et la précarisation généralisée. Un capitaliste allemand a donné un aperçu de cette nouvelle situation lorsqu'il a assimilé le recrutement d'un salarié à l'achat d'un porc, les deux obéissent aux mêmes règles de la définition néolibérale du marché (voir l'article d'Olivier CYRAN dans le Monde Diplomatique de septembre 2013).
Paradoxalement, la ruse de l'histoire la plus occurrente est que le néolibéralisme globalisé semble avoir réussi le démantèlement progressif de la sphère de l'Etat là où a échoué le communisme bolchévique. Il a réussi à rétrécir le champ de l'ETAT par la privatisation de ses prérogatives de régulation économique, la transformant progressivement en une simple entreprise délivrant des prestations de sécurité publique et de police administrative, susceptible d'être privatisé complètement lorsque les citoyens accepteront et intérioriseront, par le truchement des campagnes d'endoctrinement utilisant tous les moyens du marketing politique, leur nouveau statut apolitique d'actionnaire, abdiquant volontairement leurs droits de citoyens et divorçant avec la politique .
Il m'importe hautement à ce stade de souligner que le communisme soviétique n'était en fait qu'un capitalisme d'Etat intégral. Ce capitalisme intégral s'est appuyé socialement sur une nouvelle classe, que d'aucuns désigneront par le terme de Nomenklatura, pour la différencier de la bourgeoisie et de l'aristocratie. L'exercice dictatorial du pouvoir par la nomenklatura a entrainé le sacrifice de plusieurs générations russes. Cependant l'on ne peut nier qu'il a quand même réussi à réaliser un développement spectaculaire de la Russie en 20 ans, pour la mettre au même niveau que l'occident a atteint après 2 siècles, souligne Meghnad Desai dans son livre «Marx's Revenge» (éd VERSO 2002).
L'enthousiasme de cet auteur est à modérer en considérant que la Russie disposait de toutes sortes de ressources qui lui ont facilité ce fabuleux bond historique: ressources énergétique (gaz, pétrole) et minière de toute sorte, de vastes terres arables, et d'une population laborieuse. L'erreur, commise spécifiquement par Staline, et ayant entraîné la déconfiture soviétique, est l'annexion des pays limitrophes, qui a grevé la Russie d'une lourde charge et entraîné l'implosion finale de l'URSS.
De même qu'il faut prendre en compte que le capitalisme a changé et a essuyé de nombreuses mutations depuis sa survenue. Le capitalisme a été mercantiliste, industriel, national protectionniste, colonial, keynésien, financier, et enfin globalisé. Les mutations se succèdent et accumulent leurs effets, qui rentrent en interactions avec les autres sphères de la vie sociale (politique, religieux, environnemental, civilisationnel, mondial..). Invoquer la loi marxienne du cumul quantitatif des mutations amènera un changement qualitatif ne peut être vu avec optimisme, car qui certifiera que ce changement du genre serait idéal pour tout le monde, auquel cas l'on pourrait parler de la fin de l'histoire. Or celle-ci relève de la volonté divine et non d'une hypothétique réconciliation de l'idée avec l'histoire.
Conclusions à l'endroit de nos intellectuels
Il se présente à mon esprit en amorce de cette conclusion un rappel d'un moment douloureux de notre histoire contemporaine qui fait écho à un moment similaire de l'histoire de la période glorieuse de la civilisation musulmane. Lorsque les hordes des Tatares et des Mongols ont envahi Bagdad, en plus des massacres, ils se sont attaqués aux penseurs et la pensée transcrite dans les parchemins, livres et manuscrits. Dans l'invasion de Baghdâd par la barbarie américaine, en plus des massacres, la destruction de l'Etat, le démantèlement de l'armée et l'instauration du chaos créateur, celle ci a cherché par tous les moyens à faire disparaitre l'intellect de ce pays, au point qu'elle n'a pas hésité à pourchasser et trucider les penseurs, stratèges et savants irakiens; bien qu'ils n'ont inventé ni des armes chimiques ou nucléaires, et qu'ils n'ont jamais songé à lancer des bombes nucléaires comme ceux de Hiroshima et Nagasaki ou du Napalm comme au Viêtnam, sur qui que ce soit.
Comme quoi l'importance et la crucialité stratégique de l'intelligence pensante et savante pour un pays n'est jamais apprécié que par ses ennemis. S'ils ne trouvent prétexte pour l'annihiler directement, ils useront de la sournoiserie pour disqualifier socialement et politiquement le travail pensant. Le dénigrement de l'intellectuel est monnaie courante dans le cinéma hollywoodienne, et toutes les campagnes médiatiques incrustent dans les têtes qu'il est plus cool, moderne de paraître beau même idiot que de s'afficher en intellectuel. A cela il faut ajouter la destruction des canons éprouvés de l'apprentissage qui a fait la force de l'école et de l'université publique, pour les remplacer par un enseignement privatisé axé sur le pratique permettant d'accéder à un emploi et pas plus. Cette orientation a été précédée et préparée par tout un train de bavardage sur le rapprochement de l'université de son environnement (les entreprises), qui s'est soldé concrètement par un immolement de l'esprit créateur. Or l'investissement la plus existentielle pour la régénération pour toute société réside dans la formation et l'élévation de la performance des nouvelles générations sans égard à la stratification sociale, car la distribution de la puissance de l'intelligence n'obéit nullement à l'appartenance à tel ou tel groupe social. Mais on n'a jamais entendu de voix critiquer ou s'opposer à la privatisation chaotique de l'enseignement, et personne n'ose pointer du doit cette détérioration de l'intellect chez les jeunes. Et qui devrait le faire à part les intellectuels de la pensée critique?
Il faut dire que beaucoup de nos intellectuels, après la destruction du mur de Berlin, ont abdiqué leurs convictions et sauté allégrement vers le camp adverse, avec le seul souci : s'assurer une situation sociale confortable. Mais il faut signaler également à leur décharge que cela a été un élan général chez les intellectuels de gauche et de la droite socio-libérale dans le monde. Ceux de gauche, en général, étaient exagérément arrimés au temple URSS; tandis les nôtres au Maroc, en plus, se plaisaient à trainer toujours derrière les intellectuels occidentaux, francophones principalement. Ceux-ci n'ont pas été meilleur puisqu'ils ont été prompte à faire volte face à leurs professions de foi antérieurement déclarés, et certains d'entre eux n'ont pas hésité à renier leur passé de militant socialiste pour rejoindre les libéraux, en vue d'un poste fructueux, gouvernemental ou dans une multinationale, traçant le chemin à suivre pour les nôtres, qui n'ont pas hésité à leur emboiter le pas. Alors vous pouvez imaginer l'impact sur le renouvellement générationnel des intellectuels adeptes de la pensée critique, rien qu'à voir l'état actuel de la scène intellectuelle et politique. Maintenant c'est le règne des journalistes mercenaires, les chargés de communication de tout bord, les faux experts ou rapporteurs de centres d'études factices, qui prennent en charge de nous édifier sur tous les sujets et ce qui est bon pour le Maroc, pour son peuple et son avenir; eh bien sur en caressant bien les hommes de pouvoir dans le sens des poils.
Marx a raison non dans l'enrichissement de son pays et l'humanité par sa pensée, mais dans sa fidélité à lui-même en tant que penseur intellectuel, de la même manière que l'ont été Rousseau, Descartes, Spinoza, Hegel et d'autres. Ils ont constitué un référentiel qui a guidé la marche de l'occident vers un développement continu, en dépit des contrariétés dont ils ont fait l'objet. Car ceux qui sont en quête de la vérité et de la justice, lorsqu'ils ont le bonheur de les trouver veillent à les propager et à laisser derrière eux un héritage bien plus fabuleux que l'appropriation de tous les biens terrestres, dont au fond, nos autres mortels, on n'en possèdera que l'usufruit, car leur véritable propriétaire n'est autre que leur éternel Créateur.


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