En pleine crise financière, les thèses de Karl Marx sur la société capitaliste regagnent de l'intérêt chez les économistes et les profanes. Simple effet de mode ou renouveau réel de la pensée de l'auteur du Capital ? “Un spectre hante le monde : le spectre du capitalisme sauvage et débridé”. Ainsi pourrait-on paraphraser les premières lignes du Manifeste du parti communiste, écrit par Karl Marx, il y a 160 ans. L'édition du Capital (l'œuvre majeure de Marx, pourtant réputée difficile d'accès) se vent comme des petits pains. En Allemagne, terre de naissance du grand barbu, une maison d'édition en a vendu plusieurs milliers d'exemplaires en 2008, contre 100 l'année précédente. Au Japon, une version manga romancée du Capital est devenue un best-seller. Une comédie musicale inspirée de Marx a été créée en Chine. Howard Zinn, le très à gauche historien américain met en scène le Retour de Karl Marx, une pièce écrite il y a dix ans, remise au goût du jour pour le public new-yorkais. Marx y apparaît en colère : “J'ai lu vos journaux. Ils proclament tous que mes idées sont mortes ! Mais il n'y a là rien de nouveau. Ces clowns le répètent depuis plus d'un siècle”. Marx is not dead Le retour de Karl Marx n'est pas une farce. Il est cité à nouveau par les commentateurs, de la façon la plus inattendue, parfois. Ainsi, le très libéral Alain Minc, après s'être fait le champion du keynésianisme en 2007, s'est récemment proclamé “dernier marxiste français”. Une boutade certes, mais qui en dit long sur le retour en grâce du penseur révolutionnaire. Marx s'est beaucoup trompé sur la révolution et la chute du capitalisme. Contrairement aux prophéties de l'auteur du Manifeste du parti communiste (“La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables”.), le capitalisme a fait bien plus que lui survivre. Mais en même temps, ses intuitions sur le fonctionnement du système capitaliste semblent décrire le monde que nous vivons. En mars dernier, les figures de proue de la pensée radicale de gauche du monde entier se sont donné rendez-vous à la BirbeckUniversity of London, pour réfléchir à l'actualité de l'idée communiste. À la tribune, se sont succédés, entre autres, le Slovène SlavojZizek, le Français Alain Badiou, l'Italien Toni Negri et l'Américain Michael Hardt. L'amphithéâtre de neuf cent places a été vite rempli par les jeunes venus à assister au colloque baptisé sans fard : “On the idea of Communism”. Rien à dire, la pensée de Marx est encore vivante. Elle a eu une actualité dans les pays européens où le philosophe et pamphlétaire a vécu (en France, en Allemagne et en Grande-Bretagne) et où son héritage n'a jamais vraiment disparu. Plus surprenant est son retour à la mode aux Etats-Unis par l'intermédiaire des universitaires, cités ci-dessus. On cherche du sens, dans la dénonciation par Marx des inégalités entre riches et pauvres (les mots “prolétaire” et “bourgeois” redeviennent corrects). Même le Financial Times recommande de lire l'économiste : “La connaissance de l'économie marxiste aurait permis à nos financiers et à nos politiciens d'éviter, ou au moins d'atténuer, la crise actuelle du capitalisme”, soutient le quotidien de la City. Car les parallèles entre la pensée de l'époque et le monde contemporain sont faciles à dresser. Prophète ou simple génie ? Marx a vécu, en pleine révolution industrielle, une première globalisation rapide aux conséquences sociales désastreuses. C'est ce qui explique le retour en force de l'œuvre majeure qu'est Le Capital. Traité majeur réconciliant les trois Marx, le philosophe, l'économiste et le politique, l'ouvrage était un must-read de la jeunesse de gauche dans les années 60. Aujourd'hui, le pavé redonne des ailes aux intellos en quête de sens, dans un monde encore sous le choc de la violence de la crise née du monde financier à l'été 2007. D'autres aspects de l'œuvre de Marx méritent d'être réétudiés : ainsi de sa critique virulente des droits de l'homme, comme droits de l'homme bourgeois, énoncée dans À propos de la question juive : “La liberté est le droit de faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Il s'agit de la liberté de l'homme, comme monade isolée et repliée sur elle-même”. Une critique non encore dépassée par l'idéologie des droits de l'homme, et qui reste d'actualité chez les critiques du libéralisme, autour de la définition des droits fondamentaux, comme en témoigne la vive controverse autour du droit de propriété, relancée par l'interprétation qu'en a fait la Cour européenne des droits de l'homme (cf. l'arrêt Motais de Narbonne c. France, 2002). L'influence de Karl Marx sur le monde contemporain est un fait indéniable qui dépasse le simple effet de mode. Il revendiquait un rôle nouveau pour la pensée : “Les philosophes n'ont jusqu'ici qu'interprété le monde, il s'agit maintenant de le transformer”. C'est tout l'héritage révolutionnaire qui est maintenant réévalué à l'aune des mots terribles du pamphlétaire du Manifeste : “Les communistes ne s'abaissent pas à dissimuler leurs opinions et leurs buts. (….) Que les classes régnantes tremblent à l'idée d'une révolution communiste. Les prolétaires n'ont rien à y perdre, hors leurs chaînes. Ils ont un monde à gagner”. Marxistes de tous les pays, unissez-vous. Youssef Aït Akdim