Le budget a été approuvé dans une course contre la montre avant la fin de l'année. Le débat a été beaucoup plus marqué par des questions de procédure que par des éléments de substance. Pour l'opposition, il n'était pas question de boucler de manière hâtive ce budget si crucial pour répondre aux besoins sociaux qui ont été au cœur de la révolution. Pour le gouvernement, il était, au contraire important d'adopter ce budget avant la fin de l'année pour assurer un retour au fonctionnement normal des institutions et éviter à nouveau à recourir à des autorisations de dépenses par des décrets présidentiels. Il était entendu alors qu'une loi de finances complémentaire vienne corriger ce budget de départ et prendre mieux en considération les revendications sociales. Aujourd'hui, les regards et le débat public doivent porter sur la loi de finances complémentaire et poser la question de quel budget d'Etat a-t-on besoin ? Cette question est d'autant plus importante que l'on assiste ici et là à une recrudescence de la mobilisation sociale et des sit-in de la part d'importantes couches de populations qui montrent que les attentes sont importantes et que le gouvernement n'aura pas de période de grâce. Le débat sur la loi de finances complémentaire est encore embryonnaire aujourd'hui et nul doute qu'il se renforcera dans quelques jours voir dans les semaines à venir lorsqu'on commencera à voir l'ampleur de cette nouvelle loi et ses priorités. Mais, d'ores et déjà, certains responsables ont formulé quelques commentaires sur le contenu de cette nouvelle loi et beaucoup ont appelé à plus d'économies et à faire preuve d'une plus grande rigueur dans la gestion des ressources publiques. Ces bribes de commentaires et de réflexions préliminaires sont loin aujourd'hui de constituer une vision claire d'une politique économique à mettre en place pour les prochains mois. Il est donc temps d'ouvrir le débat sur les grandes orientations économiques qui doivent nourrir la loi de finances complémentaires. Une première étape incontournable dans la définition d'une politique économique d'un pays est bien évidemment le diagnostic de la situation économique et sociale. A ce niveau, il y a un consensus sur les symptômes du mal économique et social en Tunisie. La croissance reste faible depuis la révolution et les estimations futures ne sont pas optimistes. L'investissement privé ne reprend pas même si la corruption qui empêchait les investisseurs privés de prend des risques par le passé avait disparu. Les investisseurs étrangers ne se bousculent pas au portillon. La consommation privée reste aussi faible et les consommateurs sont hésitants et méfiants. Certes, le gouvernement précédent a essayé d'apporter des réponses à cette situation. Mais, ces actions n'ont réussi qu'à stabiliser la situation et la reprise et la relance de l'économie ne sont pas encore dans l'horizon. La véritable question qui se pose aujourd'hui est de connaître les origines de cette situation et pourquoi la situation économique demeure fragile. La réponse à cette question est essentielle car elle déterminera la nature des politiques économiques à mettre en œuvre. Ces situations économiques ne sont nouvelles et beaucoup d'économies les ont connus par le passé. Il s'agit de ce que le maître de Cambridge, le grand économiste Keynes, a appelé de situations de « trappe à la liquidité » en référence à la grande dépression des années 1930 dans les pays développés. Depuis, ces situations ont été bien étudiées par les économistes et les politiques, particulièrement ceux qui ont la mémoire longue, connaissent mieux les réponses qu'il faut leur apporter. Alors qu'est-ce qu'une situation de « trappe à la liquidité » ? Ce sont des situations d'une grande incertitude qui est à l'origine d'une grande inquiétude sur l'avenir de la part des acteurs économiques. Cette situation nourrit une aversion au risque sans précédent de la part des acteurs qui se refusent de prendre d'importantes décisions dans le domaine économique et préfèrent garder leurs biens sous la forme la plus liquide. Les économistes ont bien étudiés ces situations dans différents pays et savent aujourd'hui qu'on est en présence de situations complexes où les outils des politiques perdent de leur pertinence et ne sont plus en mesure de relancer l'investissement et la consommation et par conséquence la croissance. Les expériences historiques ont montré que particulièrement les politiques monétaires, qui représentent l'instrument le plus utilisé dans les périodes de récession, perdent de leur efficacité. En effet, la baisse des taux d'intérêt ne va pas sortir les acteurs économiques de leurs réserves. Ces acteurs continuent à être sourds aux appels à la consommation et à l'investissement du fait d'une inquiétude grandissante sur l'avenir. La politique monétaire et l'optique d'un argent plus accessible ne parviennent pas à réduire les appréhensions et les peurs des investisseurs et des consommateurs. Alors la question qui se pose est quelle politique économique pour sortir d'une « situation de trappe à la liquidité ». Non seulement les enseignements théoriques, notamment du maître de Cambridge, mais aussi les expériences historiques ont montré que la politique budgétaire est la réponse la plus approprié pour sortir l'économie de la récession lors de ses moments de fortes incertitudes sur l'avenir. Au moment où les acteurs privés font preuve d'une grande prudence, c'est à l'acteur public de prendre les risques et de relancer l'investissement afin de faire repartir la croissance. Une grande prise de risque de la part du gouvernement est essentielle car elle peut avoir d'importants effets psychologiques dans la mesure où elle permet de restaurer la confiance des acteurs économiques et de la population. Par ailleurs, un grand programme de relance peut aussi inciter les acteurs privés à revoir leurs prévisions à la hausse dans la mesure où ils savent que la demande publique va avoir un effet positif sur la demande privée. La Tunisie d'aujourd'hui est dans une importante « trappe à la liquidité » que la politique monétaire seule ne saurait régler. Il est important que la politique budgétaire et qu'une relance forte de l'économie puissent jouer leur partition afin de rassurer les acteurs économiques et restaurer la confiance dans l'avenir et commencer à répondre aux attentes qui étaient au cœur de la révolution. * Economiste et intellectuel arabe