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«La morphologie urbaine de Casablanca est la résultante de l'histoire la plus contemporaine» Rachid Andaloussi: Regard d'un architecte sur la ville de Casablanca (4)
Rachid Andaloussi: Regard d'un architecte sur la ville de Casablanca (4) Dans cette série d'entretiens, l'architecte de renommée internationale Rachid Andaloussi raconte l'histoire de Casablanca à sa manière. Avec son regard perspicace, sa vision des choses exceptionnelle, l'enfant de la métropole nous fait découvrir cette ville mouvementée qui brille par la richesse de son patrimoine architectural et ses édifices hors pair. Et ce n'est pas tout. Ce militant, défenseur acharné de la modernité, nous raconte son combat intense, menée depuis des années, afin de concilier la capitale économique avec son passé glorieux et la remettre sur le bon chemin à l'instar des plus belles cités mondiales. Plein d'espoir et d'un optimisme inégalé, Andaloussi place haut la barre, espérant qu'un jour Casablanca organise les jeux olympiques. Un rêve tout à fait légitime, martèle-t-il, soulignant dans ce sens la nécessaire implication de toutes les bonnes volontés. Les propos. Al-Bayane : Dans l'une de vos déclarations, vous avez indiqué que la ville de Casablanca est unique par rapport à d'autres villes européennes. N'estimez-vous pas que vous poussez le bouchon un trop eu loin ? Rachid Andaloussi : J'ai toujours essayé d'être objectif dans mes analyses. En visitant plusieurs villes européennes telles Berlin, Paris ou Rome, on se rend compte qu'elles racontent le passé, alors que Casablanca s'inscrit aux antipodes de cette vision. Casablanca est une ville qui raconte le présent. Toute la morphologie urbaine de Casablanca est la résultante de l'histoire la plus contemporaine. On a l'impression qu'elle est née toujours dans le sillage de la modernité. Certains la considèrent même comme l'expression parfaite de la modernité. A mon humble avis, cette modernité tient à plusieurs facteurs qui ont joué un rôle important dans son développement. Parmi lesquels on peut citer l'immigration des communautés européennes au Maroc, les projets d'industrialisation de la ville lancés par le protectorat, entre autres... Quelles sont les communautés étrangères qui ont opté pour Casablanca en tant que terre d'immigration ? Pour rappel, la population urbaine du Maroc en janvier 1917 dépassait à peine les 525.000 habitants dont 62.030 sont des Européens, soit l'équivalent de 9%. A elle seule, Casablanca occupait le premier rang parmi les autres villes du royaume, en abritant 37.500 Européens dont 21.000 sont de nationalité française. Il y avait également des Anglais, des Portugais, des Espagnols, des Belges, et les familles marocains... Selon les statistiques de l'Etat français, la population de la ville s'élevait en 1917 à 82500 personnes, dépassant de loin les autres villes du royaume. Casablanca a été donc un territoire propice au développement et à l'épanouissement social. A lire l'excellente thèse d'André Adam sur Casablanca : essai sur la transformation de la société marocaine au contact de l'occident, le chercheur nous révèle comment Casablanca s'est transformée au fil des temps à une cité industrielle par excellence. Avant l'indépendance, cette ville détenait les 3/5 des manufactures marocaines et 2/3 des industries de transformation. André Adam ajoute qu'en 1962, Casablanca abrite 57% de l'ensemble des établissements industriels et 42% des entreprises commerciales. André Adam nous apprend en plus que l'artisanat à Casablanca a constitué une preuve de son originalité, mais il n'a pas été un facteur déterminant quant à son industrialisation. Qu'est ce qui explique la présence de toutes ces communautés au Maroc ? Ces communautés ont été installées auparavant, avant l'arrivée du régime du protectorat, via des consulats installés dans l'ancienne médina. L'objectif escompté était de défendre les intérêts de leur Etat. Rappelons que le royaume chérifien ne figurait pas dans la ligne de mire des forces colonialistes. Mais, la France, l'Espagne et l'Angleterre avaient souvent des visées pour assurer leur hégémonie sur le Maroc. On croyait qu'il y a des gisements du pétrole au Maroc à l'instar de l'Algérie. Comment les Marocains se comportaient avec ces communautés ? En fait, ce qui nous pourrait surprendre lors de cette période, c'est le système de Himaya (protection) qui régissait les relations entre certains Marocains et les étrangers. .Autrement dit, les grandes familles marocaines résidant à Casablanca à l'époque, vivaient sous la tutelle de ces consulats qui défendaient les intérêts de leurs pays et celles des Marocains. Il s'agissait, en effet, d'un système qui se fondait en grande partie sur les relations d'intérêts. Alors quels sont les éléments majeurs qui ont contribué à l'industrialisation de Casablanca ? Il faut reconnaitre que l'accès de Casablanca à l'ère de l'industrialisation est passé par la connexion de la ville à la technologie ferroviaire. En 1915, si je ne me trompe pas, les tronçons ferrés atteignaient 733 km, mais en vertu des conventions diplomatiques, les Allemands ont exigé à ce que ce moyen de transport ne soit réservé qu'aux militaires. Mais, le déclenchement de la guerre mondiale a incité le régime du protectorat à ouvrir ce service aux voyageurs et aux transports de marchandise, et ce pour des raisons pécuniaires. Il a également été décidé de mettre une nouvelle ligne ferroviaire de 145 km reliant Casablanca à Kenitra et une autre de 240 km la reliant à Marrakech. Dans son article intitulé Casablanca publié en 1924 dans les annales de la géographie, Albert Charton souligne que «la création de Casablanca est le grand fait de l'histoire du Maroc depuis 1907 et il n'est pas étonnant que la ville nouvelle ait eu parfois tendance à se considérer comme essence même du nouveau Maroc». Autre point non moins important est celui qui concerne le port de Casablanca dont on va parler ultérieurement et qui a permis aussi l'essor de la ville devenue pour la plupart un lieu où on peut faire fortune et qui subjugue tout le monde. Il ne faut pas omettre que l'industrialisation de Casablanca a permis l'émergence d'un mouvement de grève des ouvriers marocains en juin 1936 à Casablanca et Khouribga. Quelle particularité à revêtu ce mouvement de ? Ce qu'il faut retenir c'est qu'il s'agit de l'un des premiers mouvements contestataires que la ville a connus. Ce mouvement de protestation a été un prélude pour la constitution d'un mouvement syndical organisé. Ce fut une première dans les annales du Maroc. Albert Ayyache, professeur d'histoire et militant du parti communiste, note dans l'un des articles concernant ces grèves que c'est «pour la première fois que des travailleurs marocains, hier encore des ruraux, se livraient, entraînés par l'exemple de leurs compagnons français, à des cessations concertées de travail ». L'autre nous clarifie que le mouvement de contestation a débuté le 11 juin dans l'usine de la compagnie sucrière marocaine (COSUMAR) et dans l'entreprise peinture Cueilleron.