Dans cette série d'entretiens, l'architecte de renommée internationale Rachid Andaloussi raconte l'histoire de Casablanca à sa manière. Avec son regard perspicace, sa vision des choses exceptionnelle, l'enfant de la métropole nous fait découvrir cette ville mouvementée qui brille par la richesse de son patrimoine architectural et ses édifices hors pair. Et ce n'est pas tout. Ce militant, défenseur acharné de la modernité, nous raconte son combat intense, mené depuis des années, afin de concilier la capitale économique avec son passé glorieux et la remettre sur le bon chemin à l'instar des plus belles cités mondiales. Bourré d'espoir et d'un optimisme inégalé, Andaloussi place haut la barre, espérant qu'un jour Casablanca organise les Jeux olympiques. Un rêve tout à fait légitime, martèle-t-il, soulignant dans ce sens la nécessaire implication de toutes les bonnes volontés. Les propos. Al Bayane : A quelle date remonte la création de la ville de Casablanca ? Rachid Andaloussi : Difficile de répondre à une telle question, étant donné que même les historiens ne s'accordent pas sur une date bien précise. Mais, ce qu'on peut affirmer c'est que la création de Casablanca remonte à la préhistoire. Les travaux de l'archéologue Plem Biberson mettent l'accent sur le fait que cette région a été considérée comme étant l'un des espaces qui a connu les premières activités humaines dans l'Afrique du nord. Cette hypothèse a été vérifiée en se basant, en premier lieu, sur la découverte à carrière Deprez (Ahl Al Oughlam actuellement) d'un certain nombre d'objets réputés taillés par l'Homme. A en croire Biberson, ces objets figurent parmi les plus anciens du Maroc et aussi dans l'Afrique du nord. Y-a-il d'autres arguments qui confortent la thèse de Plem Biberson ? Evidemment oui. Casablanca est devenue célèbre à l'échelle mondiale par les multiples découvertes de restes d'Homo erectus. Il s'agit en l'occurrence de l'Homme de Sidi Abderrahmane découvert dans la grolle des Littorines, des mandibules de la carrière Thomas1 avant de découvrir d'autres restes humains dans la carrière Thomas III. Il s'agit donc d'une des plus anciennes villes préhistoriques dans le monde. Cette ville qu'on peut placer sous un label de mythisme a été un espace de rencontre et d'acculturation vu le nombre de civilisations qui se sont succédé sur la ville, à commencer par la romaine, phénicienne, juive, berbère et arabe puis occidentale. Cela ne témoigne, en effet, que d'une seule chose, c'est que la métropole a été une ville en plein cœur de la mondialisation. Cela signifie exactement quoi ? Je veux juste dire que la ville de Casablanca s'est toujours inscrite dans tout ce qui est moderne par rapport à son temps. Dans son fameux livre «Description de l'Afrique », Léon l'africain décrit scrupuleusement Casablanca au début du 16e siècle dévoilant une beauté pittoresque de la cité. Ainsi on peut lire dans son livre : «A l'intérieur d'Anfa, nombreux étaient les temples, les belles boutiques, les hauts palais» qu'ainsi qu'on peut le voir et s'en rendre compte à présent d'après les restes que l'on en trouve. Ces restes sont dus selon l'auteur à la destruction d'Anfa par le frère du Roi Alphonse V du Portugal en 1468 qui a bombardé et embrasé la ville en mobilisant une armada de 50 navires dotés de canons nec plus ultra de cette époque. Les Portugais n'avaient nullement l'intention d'entamer une telle action qu'après s'être assurés que la cité s'est transformée en une base-arrière pour les corsaires qui attaquaient les navires Portugais au large, en constituant une véritable menace pour les intérêts du Portugal dans la région. En quoi également consiste le mérite du livre de Léon l'Africain qui n'est autre qu'El-Hassan el-Ouazzani? Léon l'Africain a eu le mérite de raconter une étape charnière de l'histoire de la ville avec un sens de l'historien et de l'anthropologue, se focalisant surtout sur les aspects culturel, sociologique et économique de la cité, levant ainsi le voile sur une ville qui a été souvent connectée à la modernité et à tout ce qui provient de l'extérieur. «Les habitants d'Anfa étaient très bien habillés en raison de leurs étroites relations avec les commerçants portugais et anglais. Il y avait parmi eux des hommes très instruits», note en substance Léon dans son livre. Par ailleurs, il fait savoir qu'Anfa était une très grande ville, splendidement construite et dotée de grands jardins. Selon vous, quels sont les facteurs qui ont fait de Casablanca à travers l'histoire une ville-phare? Primo, c'est l'emplacement géographique de la ville sur l'océan atlantique. Secundo, le port d'Anfa qui a connu à cette époque un essor sans précédent de l'activité commerciale, grâce à la pratique de la navigation menée par les Portugais. Presque toutes les denrées, telles le blé, orge, laine...ont été exportées vers l'Espagne, le Portugal, l'Italie, à travers cette infrastructure portuaire, faisant de Casablanca une plate-forme de commerce et d'échange. Que représente pour vous aujourd'hui la ville de Casablanca, en tant qu'architecte? Aujourd'hui, elle m'inspire beaucoup de choses en tant qu'architecte. C'est la cité de la modernité. C'est une ville dont on peut tirer plusieurs leçons au niveau architectural. C'est la vraie école pour moi. Autrement dit, l'architecture moderne se trouve à Casablanca et nullement ailleurs. Casablanca avec l'avènement du protectorat va renaitre de ses cendres en connaissant un boom économique et démographique qui va la propulser parmi les destinations les plus envoûtantes du royaume. Un chercheur dénommé Charton avait écrit dans les Annales de la géographie en 1924, soulignant qu'une fois le protectorat installé, « l'évolution du Maroc va se faire en fonction de Casablanca. La grande ville va être outillée pour réaliser l'idée qui l'a fait naitre. C'est-à-dire pour devenir la porte d'entrée, l'entrepôt, et la gare centrale du Maroc.» Propos recueillis par K.Darfaf