«Amoureuses» de Siham Benchekroun En donnant la parole à neuf femmes amoureuses, si différentes soient-elles («Ardente», «Conjointe», «Sauvage», «Cachée», «Vénéneuse», «Semblable», «Vassale», «Marchande», «Eternelle»), Siham Benchekroun chante l'hymne à l'amour et à la féminité. Elle nous invite, par la même occasion, à réfléchir sur la notion de l'amour au féminin pluriel, dans toutes ses dimensions et aussi à découvrir ses facettes les plus secrètes. Toutes ces femmes brûlent d'amour : «comme cette bougie de sa propre cire...». La nouvelliste nous présente l'amour ardent d'une femme qui fond dans l'univers de son homme, montrant clairement sa présence essentielle sinon vitale dans sa vie : «l'univers de ma vie, le socle de ma vie», «Tu es Zmani : mon destin». Progressivement le rôle de l'homme change, il devient à la fois l'ami, le tendre, le fidèle, le compagnon... Néanmoins, chemin faisant, la narratrice nous conduit vers un amour diamétralement opposé au premier. Cette fois, l'amour rime avec rébellion, affirmation de soi : «Je suis si bien d'être moi», provocation : « le désir d'avoir plusieurs hommes dans sa vie et de n'appartenir à aucun d'eux», liberté : «L'amour m'est liberté sinon tombeau». « Ainsi au nom de l'amour, on enterre l'amour dans les linceuls des serments». «Je ne menace personne de l'aimer à vie. Autant lui promettre la lune qui ne m'appartient pas. Que sais- je de demain moi qui vacille sans cesse dans l'étonnement du présent ? Que sais-je de mon devenir ? » A cela s'ajoute, le refus à la fois catégorique et philosophique de se condamner dans l'amour et par l'amour : «Je n'ai rien vu de plus lugubre, de plus aberrante invention que la fidélité. Exige-t-on des êtres humains qu'ils ne goûtent qu'un seul fruit, qu'ils ne respirent qu'une seule fleur. Qu'ils contemplent pour le restant de leurs jours le même paysage ? Non bien-sûr ce serait ridicule» De l'amour libre à l'amour interdit, Siham Benchekroun nous plonge, dans la sphère d'une amoureuse «cachée», qui par souci de la morale et des apparences dictées par la structure sociale, est acculée à se cacher. Elle vit un amour jalonné de souffrances, d'incertitudes, d'humiliations et refuse de voir la réalité en face: «C'est humiliant, je sais mais je bande les yeux». Pour préserver cet amour, elle se contente des miettes, devient la disponibilité personnifiée : «Vivre avec un homme marié, c'est vivre des restes d'une autre, tu entends ? Et apprendre à s'en contenter, à ne pas en perdre une miette !» Afin d'approfondir la réflexion sur la notion de l'amour, la narratrice livre d'autres vécus possibles de l'amour amoureux : charnel, marchand, totalement soumis... et achève son recueil de nouvelles par une revendication de la liberté de l'amour lui-même : « Un jour je t'avais dit : je t'aimerai encore même si je ne t'aime plus. Je veux t'aimer au-delà du temps, au-delà de toi, au-delà de moi. Et il me semble que plus j'avancerais, dans cet amour, plus je me libérerai de toi. Je ne veux plus avoir besoin de toi pour t'aimer.» Cette revendication de la liberté de l'amour relève-t-elle de la prise de conscience de l'aspect fugitif du sentiment amoureux ? Ou bien plus on aime, plus on se libère de l'être aimé? A chaque lecteur de répondre ...