Ahwach à Ain Sbaâ Chaque dimanche que le bon Dieu fait et dès les premiers rayons chaleureux du printemps, le grand parc ouvert qui fait face à la préfecture de Ain Sbaâ, se transforme en un vaste champ de festivités populaires. Des troupes folkloriques «proposent» vers le coup de 17h, juste après la prière de l'Asr, des séances de la célèbre danse du Souss, l'ahwach. Ce sont évidemment des troupes improvisées, constituées généralement de jeunes gens issus de la même région, voire du même village. Ils se constituient aussi parfois en association légale pour assurer l'animation artistique des soirées de mariage et autres événements familaiux ou relogieux. Le spectacle est d'une épaisseur sémantique inouïe. C'est un champ de signes fertile ouvert sur des lecturess multiples. Il dit éloquemment le rapport complexe, ambiguë qu'entretient une large frange de la population avec l'espace public, la mémoire, la ville...Il dit tout simplement commment les relations sociales subissent la violence des changements qu'introduit l'urbanisation. Ce vaste espace, décrit pas le petit peuple comme une Jamaa El Fna loacale, offre plusieurs indices sur la nature réelle de ce que les experts appellent « l'informel » et son extention à d'autres niveaux, notamment le niveau de la circulation des signes culturels. Il est révélateur de souligner d'emblée la spécificité du lieu choisi pour devenir l'assaiss (place en amazigh) où s‘expose la culture populaire. C'est un espace situé à la proximité de lieux de pouvoirs institutionnels et consacrés : la Préfecture, le Grand tribunal, la commune et l'arrondissement, le commissariat...C'est aux frontières de ce lieu de pouvoir que vient s'exhiber la fête populaire. Une forme de trangsression d'un espace interdit. Longtemps en effet, ces lieux étaient des « lieux interdits », en référence au film de Laila Kilani ; dans leur architecture même, ils disent un rapport distancié à la population. Conçus à l'origine pour imposer une forme de rapport à l'Etat basé sur l'éloignement (la distance hiérarchique et sécuritaire) et l'inaccessibilité. L'architecture renvoie à l'image de la forteresse avec de larges terrains qui tiennent lieu de frontières implicites mais réelles ; images renforcées par la présence de gardes et vigiles. Ces terrains entretenus comme des jardins avec espace gazonné sont envahis aujourd'hui et ramené à leur forme originelle : des terrains vagues où tantôt jouent des enfants, des adultes qui font de la marche ou encore le dimanche après midi, ils se transforment en scènes populaires. Cette iruption dans un espace longtemps inaccessible est comme célébrée chaque week end par une animation foraine. Au formalisme de façade, la vox populi oppose l'infomel dans ses multiples dimensions. Car, outre ces groupes de danse, se développe toute une cativité commerciale florissnate faite de bricolage, de vente de détails... restituant une ambiance de souk hebdomadaire. Cette réappropriation d'un espace dédié originellement à une fonction ornementale du pouvoir (c'est la façade verte de la préfecture) peut se lire alors comme une tentative de retrouver un autre espace, celui de la tribu d'origine. Une approche sociologique approximative des acteurs de cette manifestation hebdomadaire nous apprend à vue d'œil que pour l'essentiel ce sont des populations issues des vagues successives de l'immigration interne. Ce sont les descendants des premiers chleuhs qui sont arrivés à Casablanca. Ce sont des ouvriers qui peuplent la périphérie industrielle de la garnde métropole, des commerçants, des apprentis... Arrachés à leur espace naturel (la campagne de Souss, les montages de l'anti-Atlas, les villages reculés de Ouarzazate...), ils sont acculés, face à la déshumanisation de la vie urbaine à restituer, dans des formes primaires de sociabilités, des liens déchus et ce en domestiquant un espace (re)conquis. Le repli vers la langue maternelle, les chants et les danses de l'espace d'origine prend une dimension symbolqiue si ce n'est thérapeutique. Une fois pâr semaine, ces populations se retrouvent dans un lieu pour restituer un lien. Une catharsis grandeur nature. Tout cela sous une forme conviviale et festive ; nulle exclusion ou geste agressif. Car, dans son essence même cette manifestation n'est pas l'expression d'un refus ; notamment de la modernité : les téléphones portables, les moyens modernes de communication sont intégrés à ce rituel collectif. On peut y voir une manifestation de la nostalgie collective vers ce que Michel Maffesoli appelle «le temps de la tribu». Le retour à la tribu étant une des expressions de la modernité. C'est quoi Facebook, ou telle ou telle variante des réseaux sociaux, si ce n'est une variante numérique de la tribu. D'autres préfèrent réinventer la tribu, une nouvelle manière d'être ensemble... en investissant l'espace public dans un cérémonial collectif. Une tentative pour briser l'étau de ce que Tahar Benjelloun avait appelé, à propos d'une autre immigration, «la plus haute des solitudes».