sur les journalistes L'ONG Reporters sans frontières (RSF) a dénoncé la nouvelle forme de censure à laquelle recourent certains régimes autoritaires pour persécuter les journalistes, accéder au contenu de leurs messages et intercepter leurs écrits avant d'être publiés. Ce constat est contenu dans le rapport intitulé «Les ennemis d'internet», parvenu hier à Al Bayane à l'occasion du 12 mars, Journée mondiale contre la cyber-censure. «La surveillance en ligne représente un danger grandissant pour les journalistes, blogueurs, citoyens-journalistes et défenseurs des droits de l'homme», lit-on dans le document qui relève qu'en 2011, Wikileaks avait rendu publics les Spyfiles, «des documents qui montrent l'étendue du marché de la surveillance et le poids financier qu'il représente». Outre «la sophistication des produits proposés», cette opération mobilise un volume de cinq milliards de dollars. En détail, RSF épingle certains régimes totalitaires qui recourent encore à «la surveillance traditionnelle» au moment où «les mises sur écoutes téléphoniques des journalistes trop curieux ont grandement facilité le travail des services de renseignement». Dans son rapport, RSF «traite de la surveillance, l'activité de veille destinée à contrôler les voix dissidentes et la diffusion d'informations sensibles, une activité instrumentalisée pour conforter les pouvoirs en place et prévenir toute déstabilisation potentielle». En commémoration de la Journée mondiale contre la cybercensure, l'ONG a rendu publique une première liste de cinq «Etats ennemis d'Internet» (la Syrie, la Chine, l'Iran, le Bahreïn et le Vietnam) qui ne lésinent pas sur les moyens pour «s'engager dans une surveillance active, intrusive, des acteurs de l'information, permettant de graves violations de la liberté de l'information et des droits de l'homme». Ces Etats sont aidés, dans la persécution des journalistes, de cinq «Entreprises ennemies» qui agissent comme «mercenaires de l'ère digitale». Il s'agit, a révélé RSF, de Gamma, Trovicor, Hacking Team, Amesys et Blue Coat dont les instruments, programmes et systèmes informatiques sont «utilisés par les autorités pour commettre des violations des droits de l'homme et de la liberté de l'information». L'ONG, qui publie périodiquement des documents sur les difficultés rencontrées par les journalistes dans l'exercice de leurs fonctions, s'appuie dans son rapport sur les travaux de terrain réalisés par de grands médias tels Bloomberg, le Wall Street Journal ainsi des chercheurs du Citizen Lab de l'Université de Toronto (Canada). Ceux-ci sont arrivés à la conclusion selon laquelle certains régimes arabes, tels ceux d'Egypte, du Bahreïn et de Libye avaient recouru à «des technologies de surveillance», acquises auprès d'entreprises occidentales pour placer sous surveillance des défenseurs des droits de l'homme dans leurs pays. Parmi les instruments utilisés à cette fin, le rapport cite le «matériel d'écoute à grande échelle pour surveiller le réseau dans son ensemble, des logiciels espions (spyware) et autres dispositifs permettant de mettre en place une surveillance ciblée». RSF explique succinctement comment fonctionne «ces logiciels qui sont utilisés pour espionner le contenu d'autres disques durs, récupérer des mots de passe, accéder au contenu de messageries électroniques ou espionner des communication de VOIP (Voice over IP), une technique de communication via des flux multimédia). Ces produits peuvent être installés directement sur les ordinateurs ou via le réseau Internet par «l'intermédiaire de fausses mises-à-jour ou de pièces jointes dans un e-mail sans que l'utilisateur ne s'en aperçoive». Bien que l'usage civil de ce genre de programmes soit limité, relève le rapport, «certains fabricants les fournissent directement à des acteurs étatiques tels que les services secrets et les services de sécurité, d'autres n'hésitent pas à faire publicité de leurs capacités à surveiller et traquer les opposants politiques». En mettant en pratique ces programmes informatiques, les journalistes sont pris comme cible idéale pour «les espionner ainsi que leurs sources» afin de serrer l'étau autour de la liberté d'information. Ce qui est dangereux dans ces opérations, met en garde RSF, est que ces produits ont «un double emploi» dans la mesure où certaines technologies, «utilisées à des fins légitimes de lutte contre le cyber crime» risquent de devenir de «redoutables outils de censure et de surveillance contre les défenseurs des droits de l'homme et les acteurs de l'information». Il s'agit, en réalité d'«armes digitales permettant d'identifier des citoyens et journalistes pour s'en prendre à eux», estime RSF qui «demande la mise en place d'un contrôle de l'exportation de technologies et matériel de surveillance vers des pays qui bafouent les droits fondamentaux», une «démarche qui ne saurait être laissée au secteur privé». L'ONG, qui rappelle que l'Union européenne et les Etats-Unis, les grands exportateurs des systèmes informatiques, ont «interdit l'exportation de technologies de surveillance vers l'Iran et la Syrie», remarque en même temps que «les démocraties semblent céder progressivement aux sirènes de la surveillance nécessaire et de la cyber sécurité à tout prix». Elle cite particulièrement «la multiplication de projets et propositions de lois potentiellement liberticides, permettant la mise en place d'une surveillance généralisée» dans certains pays, tels les Etats-Unis, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas. «L'adoption par des régimes traditionnellement respectueux des droits de l'homme de ce type de législations liberticides donnerait des arguments aux dirigeants de pays répressifs qui se dotent d'un arsenal législatif contre les voix critiques», soutient RSF. Mettant en cause la difficulté de la mise en pratique de l'équation «besoin de protection personnelle/sécurité de leurs sources en ligne et nécessité de collecter et faire circuler l'information», l'ONG met en garde contre le fait que «la protection des sources ne relève plus seulement de l'éthique des journalistes, elle dépend de plus en plus de leur maîtrise de leur ordinateur». Ceci n'empêche pas que «journalistes et net-citoyens» sont appelés à prendre sérieusement en considération «les risques potentiels de surveillance et le type de données ou de communications à protéger afin de trouver la solution adaptée à leur situation, et si possible, simple d'utilisation». Le rapport attire, enfin, l'attention sur l'incapacité des journalistes de faire face à «La sophistication des moyens déployés par censeurs et services de renseignements» en dépit du soutien des «hacktivistes qui les épaulent». RSF appelle les journalistes à s'engager dans «un combat où, si l'on n'y prend pas garde, les ennemis de la réalité et des vérités pourraient imposer une domination absolue». Ce combat doit se dérouler sur un terrain «sans bombes, sans barreaux de prisons et sans encarts blanchis dans les journaux, conclut le rapport «Ennemis d'internet».