Un débat pseudo-savant est en train de s'installer, relatif à une supposée inconstitutionnalité qui aurait, semblait-t-il entaché les premiers pas du nouveau gouvernement, notamment dans ses relations avec le Parlement. Derrière ses allures d'apparence académique, il révèle en réalité une superficialité dommageable dans l'analyse juridique et partant, emporte des conséquences politiques fâcheuses. Rien, absolument rien dans les actes du nouvel exécutif ne relève de l'inconstitutionnalité. De fait, nous avons parfois l'impression que dans le désir –au demeurant légitime- de l'opposition et de ses experts publicistes d'en découdre avec la nouvelle majorité, les adversaires de celle-ci en sont réduits à puiser dans un véritable bric-à-brac juridique qui ne résiste pas à l'examen. Un rapide florilège de ce qui nous a été servi depuis une dizaine de jours sera édifiant. Sans passer par la case de la soi-disant inconstitutionnalité de l'élection du Président de la première chambre ou de la séance consacrée à l'installation de ses instances et que nous avons réfutée en son temps, arrêtons-nous sur les objections récentes les plus saillantes. 1- Le nouveau gouvernement serait inconstitutionnel car composé outre des ministres, d'un ministre d'Etat et de ministres délégués, postes ne figurant pas dans la loi fondamentale. 2- La passation des pouvoirs aux nouveaux ministres par leurs prédécesseurs, serait inconstitutionnelle parce qu'elle ne pouvait valablement intervenir qu'après investiture parlementaire. 3- La réunion du conseil de gouvernement, jeudi dernier, serait inconstitutionnelle, pour la même raison, ce conseil ne pouvant se réunir qu'après investiture parlementaire. 4- L'annonce de la présentation du programme de gouvernement devant le conseil des ministres, annonce faite par le chef du gouvernement, contreviendrait aux dispositions constitutionnelles. En vérité, si ce gouvernement devait être effectivement responsable de tant d'incongruités juridico-politiques, ce serait la preuve d'une incompétence structurelle particulièrement grave et cette équipe, devrait être immédiatement congédiée pour forfaiture. En vérité aussi, le sujet est si important qu'il ne saurait se prêter à des lectures à l'emporte-pièce. La matière est vitale et ne saurait être l'objet d'accusations aussi lourdes. Il faut avoir raison garder et, loin de toute excitation et de toute précipitation, lire attentivement les textes, pour en tirer les conclusions sérieuses, appropriées. Il faut clairement dire que les quarte propositions sus-évoquées, sont totalement fausses. Examinons - les, rapidement et sereinement : 1- Il est inexact d'affirmer que ce gouvernement est inconstitutionnel parce que la constitution ne prévoit pas les titres de ministres d'Etat et de ministres délégués. Il est en effet inconsistant de déclarer la violation de l'article 87 qui dispose : « le gouvernement se compose du Chef du Gouvernement et des ministres… ». doit-on rappeler en effet ici, une évidence éclatante, à savoir que les ministres d'Etat et les ministres délégués, ne sont finalement que des … ministres !!! quant à la contestation de la présence du Secrétaire Général du Gouvernement parmi les membres de celui-ci, il s'agit d'une pratique constitutionnelle très ancienne qui n'a jamais fait l'objet de récrimination par le passé. On comprend mal dès lors que ceux qui n'y ont jamais rien vu de répréhensible, se mettent aujourd'hui à la décrier… Le SGG a toujours exercé ses fonctions en tant que ministre et le gouvernement a toujours profité de la pertinence de son intervention en son sein. 2- Il est inexact d'affirmer l'inconstitutionnalité des passations de pouvoirs entre les anciens et les nouveaux ministres, parce que le nouveau gouvernement ne serait pas encore investi par la Chambre des Représentants. Ces passations, selon cet argument, ne pouvaient valablement intervenir qu'après cette investiture. Passons sur le fait que les tenants de cette thèse soutiennent implicitement qu'après la nomination par le Roi, du nouveau gouvernement, ses membres doivent s'en retourner chez eux et laisser le gouvernement Abbas EL FASSI continuer à gouverner en attendant l'investiture parlementaire. Ils doivent aussi attendre l'élaboration du nouveau programme gouvernemental (qui doit être confectionné par on ne sait quelle officine, puisque les nouveaux ministres n'ont pas le droit de se réunir) ! Des arguments qui débouchent sur des conclusions aussi absurdes devraient interpeller leurs auteurs. ! En vérité les passations sont parfaitement conformes à la constitution, autrement on devrait s'interroger sur la signification même de la nomination royale prévue à l'article 47. D'ailleurs l'article 88 qu'ils appellent en renfort de leur thèse dispose que c'est « après la désignation des membres du gouvernement par le Roi, (que) le Chef du gouvernement présente… le programme… le gouvernement est investi après avoir obtenu la confiance de la Chambre des Représentants… ». Cela signifie en clair que le processus de nomination du gouvernement se déploie en deux étapes successives : l'étape royale, préliminaire, qui est la nomination –prérogative exclusive du monarque- et l'étape parlementaire, du vote d'investiture de la Chambre Basse, prérogative exclusive de celle-ci et qui intervient chronologiquement en second lieu après la première étape. En d'autres termes, nous sommes face à un système de double investiture, royale et parlementaire, aucune ne pouvant faire défaut. Nous parlons bien de double investiture parce que le gouvernement est doublement responsable devant le Roi (le Roi est l'autorité de nomination et dispose du pouvoir de démettre les ministres selon l'article 47) ainsi que devant le Parlement, sa première chambre disposant du pouvoir de l'investir (article 88) et de le censurer (article 105). Dès lors, la conséquence de la nomination royale est que les nouveaux ministres, en cette qualité, constituent le gouvernement, qui exerce tous les pouvoirs devant le mener à l'étape de l'investiture parlementaire, mais, sans engager stratégiquement l'Etat (ce qui ne devient possible qu'après l'étape finale de l'onction parlementaire). Or cette dernière étape s'articule sur l'acceptation du programme gouvernemental, c'est-à-dire sur un travail que seul le gouvernement peut préparer. D'où la nécessité de la passation des pouvoirs avant présentation devant le Parlement. Conclusion : la contestation de la constitutionnalité de la passation des pouvoirs est farfelue. 3- Troisième argument aussi redondant qu'inconsistant : la réunion du Conseil du Gouvernement, jeudi dernier serait inconstitutionnelle pour les mêmes raisons, puisqu'antérieure à l'investiture parlementaire. Argument irrecevable pour le même contre-argumentaire développé dans le point précédent : il faut bien que le Conseil de Gouvernement se réunisse pour discuter du programme de gouvernement à soumettre au Parlement ! Autrement il faudrait qu'on nous dise qui va préparer le programme gouvernemental. 4- Quatrième argument spécieux : l'annonce faite par Monsieur BENKIRANE de la soumission prochaine du programme de gouvernement à l'examen du Conseil des Ministres serait inconstitutionnelle ; la loi fondamentale ne la prévoyant pas dans les dispositions de l'article 49 ! A notre sens, l'erreur des analystes critiques et que, dans leur fougue oppositionnelle, ils ont omis de procéder à une analyse combinée des deux articles pertinents concernant la problématique de la déclaration gouvernementale (l'article 88) et les matières soumises au Conseil des Ministres (l'article 49). Si le premier n'exige pas l'intervention du Conseil des Ministres en amont, le second, lui, dispose dans son premier alinéa : « le Conseil des Ministres délibère sur … les orientations stratégiques de la politique de l'Etat… ». En l'occurrence, est-il raisonnable d'exclure la déclaration gouvernementale –celle-là même qui sert de base au vote d'investiture et qui permettra au nouveau gouvernement de s'installer aux commandes pendant cinq ans – des « orientations stratégiques de la politique de l'Etat » ?!. Il n'y a pas plus « stratégique » que les choix qui vont fonder l'action d'un gouvernement issu d'une majorité parlementaire, par définition nouvelle !!. Alors trêve de bavardages stériles ; élevons le débat au niveau des exigences de sérieux et de crédibilité. Les critiques sont un exercice sain pour une démocratie en construction dès lors qu'elles sont pertinentes.