La manipulation politique par le langage, dans le cas précis du Front Polisario, vise à la fois les populations de Tindouf et la Communauté internationale. Manipuler par le langage est dès lors le seul recours des dirigeants polisariens pour maintenir un ascendant psychologique sur les populations, et plus généralement, un élément majeur de la soumission aux rapports de force, que le Front impose dans le domaine politique. De plus, la sensibilité aux questions identitaires d'un grand nombre d'acteurs internationaux est délibérément mise à profit par le Front séparatiste, qui, occasionnellement, réussit à s'attirer la sympathie de certains organismes à vocation internationale, en distillant des informations fausses ou souvent tronquées. Paradoxalement, le recours systématique du Front Polisario à la manipulation politique est intrinsèquement lié au déclin qualitatif de la parole publique de ses dirigeants, marquée par le triomphe de la forme sur le fond dans le discours de ces derniers. Précisément, ce déclin est le résultat direct de la déchéance de l'argumentation fondée sur des données sociales vérifiables, au profit d'une rhétorique démagogique, dont l'aspect qui nous intéresse ici réside dans l'utilisation instrumentale de trois notions fondamentales : l'identité, la nation et l'Etat. De cette manière, les discours officiels, communiqués ou courriers émanant des dirigeants du Front Polisario se distinguent par les multiples références faites à des concepts se rapportant à l'identité, instrumentalisant de la sorte le fait que cette dernière ait clairement regagné les champs, politique, culturel et anthropologique. En effet, à l'heure de la globalisation, la réalité culturelle, et plus encore identitaire, des pays pris dans cet engrenage libéral, se trouve régulièrement placée au cœur du débat. L'identité, quand elle n'est pas instrumentalisée, donne un sens à l'exercice de la politique et le légitime, du fait de sa double inscription, d'une part dans la singularité d'un destin commun, et d'autre part, dans la dimension collective d'une culture donnée. La politique peut, dès lors, être considérée comme l'expression d'une identité collective dans un espace clairement défini. De cette manière, nous nous intéresserons d'une part à l'instrumentalisation du concept même d'identité et à la tendance fallacieuse du Front Polisario à procéder à une « censure » de l'Histoire et de l'anthropologie, dans le but de donner une consistance aux thèses qu'il prône ; et d'autre part nous relèverons une particularité des plus curieuses de la stratégie propagandiste du Front, consistant à créer l'amalgame, en interchangeant sciemment les concepts d'Etat et de nation. Le discours du Polisario au regard de la dimension sociale du concept d'identité Il s'impose tout d'abord de définir la notion d'identité, telle qu'entendue dans la présente contribution. Selon Samuel Huntington, « L'identité résulte de la conscience de soi, du sentiment de constituer une entité individuelle ou collective (...) ». Cette conscience peut être plus ou moins proéminente, du fait de la variation de l'importance que l'individu ou le groupe accorde à cette identité, et dépend largement du contenu que chacun donne à cette notion. De cette manière, l'individu ou le groupe, possède en propre ou en commun des caractéristiques qui le différencient des autres individus et des autres peuples. L'identité, à entendre ici, précisons-le, au sens d'identité nationale, est certes une notion qui entretient un flou sémantique, mais qui néanmoins peut être définie par un sentiment d'appartenance à un groupe partageant des points communs, intériorisés en habitus. Bien que ce sentiment soit tributaire de la manière dont ont été intériorisés ces points communs par chacun, le sentiment d'appartenance généré par des repères identitaires tels que l'histoire, la langue, la culture ou la pratique sociale, transcende cette différence. Dans la mesure où cette unité nationale est partagée avec un grand nombre de personnes, il se révèle opportun de s'attarder sur quelques exemples d'inadéquations qui ressortent des discours, largo sensu, des dirigeants du Front Polisario. A travers leurs discours, l'on comprend l'étendue de la fragilité de cette notion essentielle, mais également sa dimension psychologique, qui rend, de facto, la notion d'identité telle qu'utilisée par eux, largement moins transparente qu'elle ne le donne à penser. Dans ce contexte particulier, où un groupe séparatiste cherche par tous les moyens à accabler un Etat-nation préexistant, des dérapages possibles et dangereux des identités, ou de l'une de leurs formes, se veulent être une menace pour le gouvernement légitime. Elles tendent à être manipulées, instrumentalisées ou encore à servir de critère dans la désignation d'un bouc émissaire. Le Front Polisario s'emploie, pour ce faire, à diffuser une thèse dichotomique selon laquelle il existerait, d'un point de vue identitaire, une différence significative entre le nord et le sud du Maroc, en termes de diversités, culturelle, religieuse et ethnolinguistique. Différence dont il use comme pour insinuer que les conditions d'une scission identitaire sont remplies au Maroc. Se poserait donc, selon l'information biaisée que diffusent les séparatistes, le problème de la coexistence de ces catégories, qui ne doit en aucun cas mener à une fusion des diverses identités, au risque que l'une d'elles phagocyte l'autre. Ainsi, le journal algérien Le Jeune Indépendant, paru le 26 juillet 2011 et relayant la stratégie propagandiste du Polisario, affirmait en ce qui concerne l'affaire du Sahara, qu'il existe « (...) un conflit entre deux nationalismes distincts ». Pourtant, même une approche ethnologique traditionnelle, attribuant une culture singulière à un groupe donné, rassemblé sur un espace qu'il revendique comme sien, et possédant une langue propre, ne fonctionne pas vis-à-vis des Sahraouis établis à Tindouf. En effet, ces derniers, en plus d'être en grande partie contraints de vivre dans des conditions inhumaines, sont installés sur le sol algérien, parlent le hassani, variété linguistique de la langue naturelle arabe, constitutionnellement érigée en langue officielle du royaume du Maroc, nation de rattachement de ces populations. Notons également que depuis le 1er juillet 2011, date de l'adoption par voie de référendum populaire de la nouvelle Constitution marocaine, le dialecte hassani est reconnu et promu, aux termes du préambule de ladite Loi fondamentale, en composante essentielle de l' « (...) identité nationale [marocaine] une et indivisible ». Telles qu'entretenues par la connivence algéro-polisarienne, ces thèses révèlent, en plus de susciter de sérieux doutes quant à l'objectif réel recherché par ceux qui les avancent, une méconnaissance profonde de la structure sociale multiséculaire du royaume marocain. Au Maroc, comme dans les formations étatiques comparables, le réveil des identités tribales est allé de pair avec la prise de puissance du modèle centralisateur de l'Etat unitaire moderne. Dans les collectivités infra-étatiques où les structures ethno-sociales ont gardé un certain ancrage culturel et historique, comme, par exemple, dans les provinces du sud marocain, les deux niveaux d'organisation n'ont jamais été ressentis comme incompatibles ni par le pouvoir central ni par les populations locales elles-mêmes. Bien au contraire, les deux ordres se sont harmonieusement imbriqués, participant de la sorte à forger une identité singulière, où la fierté tribale n'a d'égal que le sentiment d'appartenance transhistorique à une nation. De ce fait, l'on peut affirmer que le nationalisme peut, dès lors, être entendu comme une ethnicité aspirant à l'intégration culturelle et territoriale dans un ensemble plus global. La stratégie propagandiste du Polisario, s'attaque même à l'Histoire, en faisant son credo de la négation du fait tribal. Ainsi, dans une interview publiée dans le magazine marocain Telquel n° 171, couvrant la période du 9 au 15 avril 2005, Ali Salem Tamek, militant séparatiste, a affirmé que « D'un point de vue nationaliste, les considérations tribales sont un crime », niant de la sorte la nature même de la société qu'il prétend représenter, et, du coup, l'identité première des habitants des provinces du sud. Lors de la même interview, Ali Salem Tamek qualifiait l'ordre tribal, consubstantiel à la société saharienne de « (...) forme obsolète et dépassée ». Le Polisario a donc choisi de s'en tenir au discours – suranné, à l'en croire –selon lequel le développement exponentiel de l'économie, de la politique et de la société conduirait les populations à renier leur identité ethnoculturelle, pour s'approprier une identité commune et fabriquée de toutes pièces imposée par le Front séparatiste. L'Histoire a par ailleurs prouvé, et ce, à maintes reprises, qu'une telle analyse est fausse. En effet, le seul moyen de construire véritablement une identité nationale, est de s'opposer à l'aliénation des identités premières, propres à chacun et à chaque sous-groupe, et de proposer un cadre consensuel transcendant les différences, sans pour autant les nier. La négation du fait tribal par le Front séparatiste, trahit la simple volonté de manipulation, avançant l'annihilation des fondements sociétaux de nature tribale. Le Maroc a quant à lui répondu par l'autonomie, seul mode d'organisation socio-politique à même de concilier entre les deux échelons d'identification, locale et nationale, des populations sahraouies. Ainsi, le 11 avril 2007, l'ambassadeur représentant permanent du Maroc auprès des Nations Unies, El Mostapha Sahel, remet à New York au Secrétaire général de l'Organisation des Nations Unies (ONU), un document intitulé « Initiative marocaine pour la négociation d'un statut d'autonomie pour la région du Sahara », qui, d'entrée de jeu, a été qualifié par le Conseil de sécurité de l'ONU de proposition sérieuse et crédible. En marge des discours des dirigeants du Front Polisario se rapportant à la question identitaire, et face à la vanité de leur aspiration à la construction factice d'une identité propre, l'observateur avisé saura déceler, au niveau de leurs propos, une nette propension à entretenir l'amalgame autour de deux concepts, allant le plus souvent de pair, mais néanmoins bien différenciés, à savoir l'Etat et la nation. La tentative de construction nationale comme palliatif à l'échec d'une construction étatique On peut affirmer, sans risque d'erreur, que construction étatique et construction nationale sont deux processus qui interfèrent nettement tout en restant conceptuellement distincts. Certes, idéalement, l'Etat coïncide avec la nation, définie en fonction d'une identité commune qui lui confère sa légitimité, mais il n'en demeure pas moins que, dans bien des cas, cette coïncidence est loin d'être totale. L'édification effective de ce que l'on appelle « Etat-nation », doit mêler simultanément et successivement, les deux constructions, étatique et nationale. Face à cette réalité, il est chose aisée de prétendre, à la manière du Front Polisario, adepte de l'autodétermination externe, qu'il défend comme étant la plus importante des valeurs, que toutes les nations devraient utiliser le cadre étatique comme moyen pour la construction de leur culture et de leur identité. Ainsi, le « président » de la prétendue République Arabe Sahraouie Démocratique (RASD), Mohamed Abdelaziz, en exercice depuis plus de 35 ans, et cumulant également la fonction de Secrétaire général du Front Polisario, soulignait dans un discours donné le 22 avril 2011 à l'occasion du 6ème Congrès de « l'Union nationale des femmes sahraouies », le « (...) rôle [primordial] joué par les femmes sahraouies dans la gestion des institutions de l'Etat et de l'espace public dans les domaines politiques et sociaux, dans la santé, l'enseignement, la diplomatie (...) ». Cette affirmation, loin d'être anodine, cherche à créer l'illusion de l'existence d'institutions, qu'il cherchera plus tard, dans le même discours à conforter par la mention du « parlement national », et du fait que les femmes puissent « (...) élire et (...) [être] élues dans les instances nationales (...) ». D'où la tendance du « leader » à systématiquement apposer des qualificatifs afférents au concept de nation. Or, le Front Polisario, armé de ces seules paroles, semble oublier que non seulement il n'existe pas de « nation sahraouie », mais également que « l'Etat sahraoui » relève tout autant de la fiction. Pour preuve, les populations des provinces du sud marocain, ont lors du référendum constitutionnel du 1er juillet 2011, été les plus nombreuses à se rendre aux urnes. Réaffirmant de la sorte leur attachement au royaume, les citoyens marocains d'origine sahraouie ont usé de cette consultation référendaire comme d'un véritable référendum d'autodétermination. Et pour cause : la Charte fondamentale disposant en son article 5 que «L'Etat œuvre à la préservation du Hassani, en tant que partie intégrante de l'identité culturelle marocaine unie (...)», il est évident que la nation marocaine ne se projette aucunement comme un simple agrégat pluri-identitaitre, mais comme un ensemble national cimenté par une «volonté de vivre ensemble». Concernant la chimère étatique du Front Polisario, le 27 février 1976 à Bir Lahlou, ce dernier proclamait de manière unilatérale, la création de la « RASD », qui n'est reconnue ni par l'ONU, ni par l'Union du Maghreb Arabe, ni par la Ligue des Etats Arabes, ni par l'Organisation de la Conférence Islamique, ni par aucun Etat européen ni Etat membre permanent du Conseil de sécurité de l'ONU. A travers la prétendue RASD, le Front Polisario entretient ses prétentions étatiques. Or, l'Etat désigne une personne morale de droit public qui, sur le plan juridique, représente une collectivité, un peuple ou une nation, à l'intérieur d'un territoire déterminé, sur lequel elle exerce, de manière effective, le pouvoir suprême : la souveraineté. Critères auxquels il faudrait ajouter l'effectivité et la reconnaissance la plus étendue de la Communauté internationale. Il est aisé de démontrer qu'aucun de ces critères constitutifs de l'Etat ne se vérifie dans le cas de la « RASD ». Ainsi, le Front Polisario a appelé le 22 mars 2011 à la cessation de toute activité d'exploration de la compagnie américaine Kosmos Energy, sous prétexte que « Le gouvernement de la RASD avait déclaré, le 21 janvier 2009, que les eaux adjacentes au territoire du Sahara occidental sont une Zone Economique Exclusive (ZEE) ». Il va sans dire que les dirigeants séparatistes n'ont aucun titre les habilitant à formuler de telles exhortations, du simple fait que le territoire dont il est question est sous juridiction du Maroc, qui y exerce de manière effective sa souveraineté, tandis que le Front séparatiste et la « RASD » sont établis au Sud-ouest de l'Algérie. De plus, la ZEE est un espace maritime sur lequel un Etat riverain exerce des droits souverains en matière d'exploration et d'usage des ressources. Or, la « RASD » n'est pas une entité en mesure d'exercer une souveraineté effective sur la zone en question. Du reste, outre leur caractère manifestement factice, les « institutions », dont se réclament les dirigeants polisariens, sont dirigées de la manière la plus arbitraire et sans possibilité de responsabilisation aucune par la junte séparatiste. Quant au facteur humain, les séquestrés des camps de Tindouf, vivent selon le quotidien marocain Le Matin, dans un article paru le 17 mai 2011, une « (...) condition inqualifiable (...) » et ces Marocains et autres, dont le « (...) sort dépend du bon vouloir des autorités algériennes » sont victimes du refus d'Alger de permettre au Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés de procéder à un recensement. Souvent désignés par « peuple » ou « citoyens sahraouis » par les dirigeants du Front Polisario, ces populations séquestrées ont besoin, plus que des revendications chimériques, des conditions de vie décentes et du respect de leurs droits fondamentaux. Dès lors, la Communauté internationale, de plus en plus consciente des enjeux réels dans l'affaire du Sahara, n'envisage plus aucune perspective de construction étatique, ni à moyen ni à long terme, comme le démontre la déclaration de l'ancien Envoyé personnel du Secrétaire général de l'ONU pour le Sahara occidental, Peter Van Walsum, qui a affirmé devant le Conseil de sécurité de l'ONU le 21 avril 2008, que la « (...) l'indépendance du Sahara occidental n'est pas une option réaliste », la stratégie des séparatistes s'étant muée en une tentative de construction nationale. S'il est désormais acquis qu'un Etat sahraoui ne saurait voir le jour, une « nation sahraouie », même contrefaite, est à plus forte raison inenvisageable, ne serait-ce que parce que les groupes ethniques convoités par les séparatistes possèdent d'ores et déjà un ancrage géographique et politique marocain, et s'identifient, en tant que tels, à une communauté supra-tribale. Cette référence à l'espace n'implique en aucun cas l'existence de frontières internes au Maroc, qui s'est toujours imposé avec succès comme un Etat à la fois pluriel et unitaire. En effet, la Constitution du royaume marocain précitée, consacre le « (...) pluralisme linguistique, culturel et politique de la société marocaine », conformément aux dispositions de son article 28. On ne s'en étonnera donc point : dans les sociétés où pluralisme et unité nationale sont savamment combinés, les groupes reliés par des références culturelles communes ne sauraient entrer en compétition. La consécration constitutionnelle des caractères identitaires qui les distinguent, et le renforcement, via des politiques publiques de reconnaissance, de l'esprit citoyen qui les unit, offrent, il est vrai, la meilleure alternative pour chasser le spectre de fragmentation territoriale qui pèse, telle une épée de Damoclès, sur bien des pays de la région. Zoom sur le CEI Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.