Il s'en passe des choses la nuit à Casablanca Comme son précédent «Casa Négra», le réalisateur N.Lakhmari investit une ville dans ce qu'il a de plus sombre, de caché mais évident, de non conforme à l'image en rose que le quotidien montre mais qui n'est que partiellement réelle. Cette fois-ci en privilégiant les ingrédients du polar, de la série noire. Ça donne un film noir, violent, sanglant, où l'amour se mêle à la brutalité, le désir de vivre bien et cool aux contraintes les plus variées, le présent gouverné par les affres d'un passé et d'une éducation. Le film va dans la droite lignée des films américains du même genre. Un loser au grand cœur s'appelant Zéro (rien, wallo), policier désabusé traine son quotidien tant bien que mal, comme marchant sur des clous à chaque pas. Un père infirme et râleur à souhait qu'il lui faut entretenir, une jeune prostituée en compagnie de laquelle il complote pour escroquer et chanter de vieux libidineux, un supérieur commissaire véreux. Un beau monde sans grand attrait mais partie prenante d'un décor propice au cinéma et à l'éclatement singulier. Il y a un peu du marocain, du mondial et de l'individuel humain dans ce film. La corruption, le crime, le chantage, le vol, l'amour, la lutte, la réalisation de soi. On ne vit pas dans un monde sain et simple. Zéro l'apprend à ses dépens, dans son corps et dans son âme. Mais une pointe d'humanité lui ouvre les yeux, et il décide de se convertir en justicier, et combattre le vice dans les racines, à côté de lui, et faire une bonne action. Ne plus se sentir une mauviette, ne plus se faire apostropher à tout bout de champ. Le film nous parvient en plein figure, en gros plans, en rapproché comme pour nous faire pénétrer dans son univers et nous lier sans nous laisser une échappatoire suave. Le film devient par moment une ruelle sombre de la ville qu'on oublie qu'on est bien installée dans une salle de cinéma douillette. Le secret : la pluie d'injures ordurières qui sortent des personnages impitoyables avec les autres et avec eux-mêmes, les coups portés à l'un ou l'autre agressifs, les scènes de cruauté représentées par des mendiants, des fous, des voyous, et des prostituées. Une image de la ville actuelle quand on est obligé de passer par-là, semble dire la façon par laquelle elle est prise. Des quartiers de vieilles maisons coloniales délabrées et oubliées. Ce centre laissé à l'abandon. Il n'est pas si important de connaitre l'histoire du film, qui plaira vraiment à un large public, puisque truffés de situations cocasses, véridiques, proches du vécu, données tel quel sans pinces moraux ni fausse pudeur. Tout le monde ne fait qu'injurier toute la journée, hommes, femmes et enfants, reflétant le malaise général de notre époque. Le plus important c'est ce cinéma élu par le réalisateur, ce choix d'aller au devant et ne pas se contrôler, s'autocensurer. S'il faut retenir des moments forts, se sont ceux où figurent ses deux forts personnages les plus marquants, le père de Zéro et la jeune prostituée et qui ont dessinés avec une grande sincérité et tant de maitrise. Leur jeu est d'un attrait éblouissant. Mohammed Majd est dans l'un de ses plus beaux rôles jusqu'à maintenant. Il s'est investit profondément. Un blasé chic, dirait-ton. Le parfait désabusé qui en veut à tout le monde, dont la nostalgie des vieux temps guide le quotidien. La prostituée est un personnage nouveau dans le cinéma marocain. Elle s'est investit à son tour à fond, ne mâchant pas ses mots ni ses coups de griffes, une fille dont la vie est un combat intransigeant. On reconnait un réalisateur aux détails plus qu'à l'ensemble. N.Lakhmari a su créer ses deux personnages à la marocaine dans un conte urbain et moderne universellement reconnaissable. On réussit parfois en faisant cette sorte de corrélation. Casablanca participe au tumulte du monde, mais montrer en quoi elle diffère est le plus demandé. Zéro est l'homme qui vit, normal, ni bon ni mauvais comme nous tous. Zéro est un film qui nous raconte un peu, qui nous fait passer un moment de cinéma.