L'éventuel résident marocain et l'illusion du DNI espagnol La proposition de l'octroi d'une autorisation de résidence en Espagne en échange de l'acquisition d'un appartement a suscité énormément de commentaires dans les médias et nourri de fausses illusions chez les potentiels propriétaires marocains. Le ministère marocain, par le biais de l'Office des Changes, a dû intervenir pour remettre les choses à leur place et apaiser la fièvre d'un appartement à la Costa Del Sol (Sud de l'Espagne). L'idée est partie d'un comité technique espagnol qui se concertait sur les plaintes des promoteurs immobiliers espagnols incapables de se débarrasser du stock des appartements neufs, relancer le secteur du bâtiment et libérer les banques du poids des hypothèques non honorées. C'est le secrétariat d'Etat au commerce qui s'est approprié de l'idée pour la médiatiser et en faire un ballon d'essai et explorer le terrain auprès des ministères de l'intérieur, des finances, des affaires extérieures, du développement et du travail. Offrir aux étrangers des appartements à 160.000 euros en contrepartie d'une autorisation de résidence est ainsi devenue une proposition viable sur le papier mais pas valable pour toutes les nationalités, particulièrement la marocaine. Les arguments divergent mais diffèrent selon les analyses. D'abord du côté espagnol, la proposition a une connotation purement mercantile. Elle est destinée à une catégorie d'étrangers au fort pouvoir d'achat eu égard au bon moment que traverse l'économie de leur pays. Actuellement, l'Espagne dispose de 818.000 appartements sans acheteurs alors que le secteur du bâtiment est loin de reprendre son rythme d'il y a six ans. Ensuite, les 160.000 euros pour un appartement de superficie moyenne de 80 mètres carrés est le prix moyen en Espagne soit 2.000 euros le mètre carré. Ce prix concerne surtout la banlieue des grandes villes telles Barcelone, Valence ou Madrid. Dans certains villages ruraux et villes moyennes, il baissera jusqu'au 500 euros le mètre carré. Le futur acheteur est appelé à acquérir un appartement dont le prix fait partie de la fourchette des appartements moyen standing se trouvant sur la côte. Généralement, ceux-ci font partie de résidences loin des plages. Il s'agit uniquement d'un prix orientatif et non définitif, c'est-à-dire que ceci peut monter pour se situer au prix du marché selon la zone choisie. La clientèle cible est surtout les citoyens non communautaires, surtout ceux de la République Russe et de la Chine, deux grandes puissances économiques en plein essor. L'économie espagnole a besoin des investissements de ces deux pays qui se disputent dans le monde les opportunités de placer leurs capitaux dans des secteurs malades. Ils se trouvent déjà sur le marché espagnol comme résidents, commerçants ou investisseurs. Ce sont en fin de compte de potentiels acheteurs solvables. Les études préliminaires révèlent l'existence d'un important stock d'appartements neufs dans la communauté valencienne et dans la Costa Del Sol (Malaga, Torremolinos et Marbella). Cette dernière zone est très prisée par les marocains en été. Pour la mise en pratique de cette proposition, reste à revoir l'arsenal juridique en place. Un non résident marocain a-t-il la chance d'acquérir un appartement en Espagne? Plusieurs éléments entrent en jeu pour comprendre la situation du potentiel propriétaire marocain. D'abord, il existe une convention sur la protection des investissements réciproques entre les deux pays datant d'octobre 1990. De nombreuses entreprises espagnoles opèrent au royaume avec les garanties prévues dans les accords de coopération bilatéraux. Ensuite, la législation espagnole n'interdit pas aux Marocains résidant (en situation légale) d'accéder à un logement en tant que propriétaire y compris les logements de protection civile (logements subventionnés par l'Etat). Au plan pratique, la législation espagnole prévoit la «résidence temporaire son lucrative» qui autorise aux étrangers d'acquérir une seconde résidence, comme c'est le cas depuis plusieurs décennies pour les britanniques sur la cote valencienne, les allemands dans les îles Baléares ou les français au pays basque et en Catalogne. Cette disposition ne peut par contre s'appliquer à des ressortissants de certains pays, tels les Marocains pour la simple raison qu'elle exige du résident de justifier des ressources économiques et moyens de subsistance suffisants pour pouvoir vivre en Espagne. Les propriétaires britanniques, allemands ou français peuvent transférer une partie ou la totalité de leurs pensions de leurs pays vers l'Espagne en cas d'y disposer d'une résidence secondaire, ce qui n'est pas le cas pour les marocains. Pour l'obtention du Numéro d'identification d'étranger (NIE : doucement d'identité attribué aux résidents étrangers en Espagne), il est nécessaire de remplir une série de conditions obéissant à une longue procédure administrative qui dure généralement des années. La Résidence temporaire non lucrative demeure la procédure la plus souple mais exige également la justification des ressources mensuelles quatre fois supérieures à l'Indicateur public de rentes multiples (IPREM), qui est l'équivalent de 532 euros/mois. A ce montant, le résident doit apporter l'équivalent de l'IPREM pour chaque membre de sa famille. Actuellement, l'Espagne compte un total de 123.167 étrangers qui bénéficient de ce statut, soit 15,2% du total des résidents temporaires autorisés en Espagne, selon le ministère de l'Emploi et de la sécurité sociale. Ils se sont installés en Espagne en accomplissant toutes les dispositions prévues aussi bien dans la législation espagnole que dans celles de leurs pays d'origine. D'autant plus qu'ils ne font pas partie de l'immigration économique. Ils constituent par conséquent une communauté de grands consommateurs. En face, le potentiel propriétaire marocain d'un bien immobilier en Espagne doit accomplir des conditions infranchissables. La législation marocaine interdit la sortie de devises sauf dans des conditions bien déterminées (pèlerinage, soins médicaux, études, etc.). La proposition espagnole (qui n'est pas encore concrétisée) est destinée aux ressortissants de pays non communautaires au fort pouvoir d'achat qui ne seraient pas une éventuelle charge pour les services sociaux et sont prêts à contribuer à rehausser le niveau de consommation des biens et services et à financer leur propre assistance sanitaire. La proposition n'ouvre pas non plus la voie devant les candidats au blanchiment d'argent de manière que l'ouverture d'un compte bancaire en Espagne sera méticuleusement analysée et le virement à partir du Maroc de toute grande somme d'argent devra être justifié auprès des autorités financières des deux pays. Contrairement aux caisses de retraites allemandes, britanniques ou françaises, celles du Maroc n'autorisent pas le virement des pensions à l'étranger pour les nationaux. D'ailleurs, les pensions de retraite du marocain sont insuffisantes pour pouvoir survivre en Espagne. Actuellement, l'Espagne compte 151.485 demandeurs d'emploi marocains (36,4% du total des sans-emploi non communautaires) et 64.093 autres qui bénéficient de prestations de chômage. Le collectif marocain est aussi de loin le plus nombreux des étrangers des pays hors Union européenne. Ce sont là les arguments réels qui rendent impossible pour tout Marocain de pouvoir accéder à une autorisation de résidence temporaire en Espagne en prétendant acquérir un appartement. Le coût de vie monte en flèche depuis la mise en pratique des réformes introduites par le gouvernement, les perspectives de récupération économique ne sont guère optimistes et la législation marocaine est extrêmement rigide quant à la sortie de devises. Dans ces conditions, à quoi va-t-il servir un DNI espagnol pour un marocain?