Le terrorisme, sous toutes ses formes, ne date pas d'aujourd'hui. Dans sa version moderne, il remonte à la fin du XIXème siècle. Mais depuis les attentats suicides du 11 septembre 2001, perpétrés sur le sol américain et considérés comme les plus meurtriers de l'histoire contemporaine, aucune parcelle du globe terrestre n'échappe désormais à la menace terroriste. Ces attaques ont montré la vulnérabilité des systèmes sécuritaires étatiques face à un ennemi asymétrique et diffus. De nos jours, les attentats terroristes n'épargnent quasiment aucun continent. Les terroristes sont en mesure d'opérer partout, quels que soient les systèmes de défense mis en place et le poids du pays ciblé. Mais face à une lutte antiterroriste de plus en plus organisée et de mieux en mieux concertée, qui resserre l'étau autour des groupes terroristes, ces derniers ont trouvé dans la bande sahélo-saharienne, qui s'étend de l'Atlantique à la mer rouge, où l'autorité des Etats est absente, un terrain vaste et privilégié, à la fois pour lancer leurs opérations et pour recruter des combattants. Présentement, les actions terroristes dans cette zone sont bien monopolisées par une filiale de la nébuleuse internationale Al-Qaïda. Il s'agit d'Al-Qaïda aux pays du Maghreb islamique (AQMI). Celle-ci est, depuis janvier 2007, la nouvelle dénomination du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), né en 1998 d'une scission avec les Groupes islamiques armés (GIA). Depuis cette date, les terroristes ont changé de démarche en passant du djihad local au djihad global à partir de l'Algérie vers le Sud. De là, la zone sahélo-saharienne est devenue le point de départ des actions d'AQMI. Cette dernière, véritable menace, constitue un défi pour l'Afrique et pour l'Europe en raison de sa nature inscrite dans une ligne radicale potentiellement violente. La trajectoire sahélienne permet l'exportation de cette menace en Afrique et ailleurs notamment en Europe. En cherchant à créer une « figure de l'ennemi », cette mouvance affaiblit les autorités publiques pour prendre leur place. Dans une posture où prédomine l'instrumentalisation du discours religieux, les recruteurs d'AQMI jouent sur la frustration des masses pour les mobiliser tout en s'appuyant sur l'exploitation du désespoir social des populations. Il s'agit d'une menace transversale dans la mesure où elle est locale, régionale, nationale et internationale. Pour l'accomplissement de ses opérations, AQMI a trouvé dans la sous-région un partenaire stratégique. Il s'agit en l'occurrence du Front Polisario. Tous les indicateurs le confirment et nombreuses sont les sources qui mettent en exergue l'existence d'un lien étroit entre ces deux acteurs aussi dangereux l'un que l'autre. En fait, AQMI, pour mener ses actions sanguinaires, a besoin de ressources financières. Ce qui l'incite à profiter de la porosité de la zone sahélo-saharienne, de son territoire désertique et de l'état d'esprit de sa population frappée par une pauvreté chronique et par un repli tribal, pour y ordonner trafic et banditisme. L'enlisement du conflit autour du Sahara occidental n'était pas sans rapprocher le Front Polisario des terroristes d'AQMI qui contrôlent désormais le nord du Mali. Les deux acteurs poursuivent le même objectif, à savoir la déstabilisation de la région. Les jeunes Sahraouis de Tindouf constituent dans ce sens une cible potentielle en mesure de prêter allégeance à AQMI. Celle-ci, pour vivre ou survivre, assure la protection de tous les trafics dans la bande sahélo-saharienne puisque tous les ingrédients facilitateurs y sont réunis. Par conséquent, les retombées financières importantes générées par le commerce illicite incitent AQMI à établir un projet politique « révolutionnaire » à l'instar des Brigades rouges en Italie. Les preuves qui démontrent une certaine collusion entre le Polisario et AQMI ne manquent pas. A titre d'exemple, et à en croire l'hebdomadaire Jeune Afrique, dans son numéro du 26 décembre 2010 au 8 janvier 2011, les forces de sécurité mauritaniennes et maliennes ont intercepté, au cours du mois de décembre 2010, un important réseau de contrebande formé d'une quinzaine de Sahraouis, issus des camps de Tindouf, et de quelques Touaregs maliens. Les autorités ont estimé que le chef de ce groupe pourrait être un polisarien dénommé Soultani Ould Ahmadou Ould Baddi, alias Sléitine. L'un des hommes arrêtés a confirmé avoir « livré à plusieurs reprises des vivres à AQMI, pour des raisons financières ». Parmi les personnes interceptées, selon Jeune Afrique, figurent Breika Ould Cheikh, présenté comme un membre du Polisario, Farha Ould Hmoud Ould Maâtallah, ancien militaire vivant dans les camps de Tindouf, ainsi que Omar Sid Ahmed Ould Hamma, dit Omar le Sahraoui, et El Kouiry Ould Ney, deux anciens collaborateurs de Mohamed Ould Laatik, le chef de la sécurité militaire du Polisario. Pire encore, aux dires de Jeune Afrique, l'ambassade des Etats-Unis à Alger a rédigé une note, en décembre 2009, où elle s'inquiétait sérieusement de la montée des sentiments djihadistes à l'intérieur des camps de Tindouf. A cette date, une soixantaine d'ex-militaires sahraouis auraient rallié les rangs d'AQMI, qui les considère comme des recrues privilégiées en raison de leur formation militaire et de leur initiation au terrain. Ces informations viennent étayer les thèses marocaines sur une éventuelle dérive mafieuse et terroriste du mouvement séparatiste. Celui-ci a toujours nié sa complicité avec AQMI ou avec les réseaux du narcotrafic qui sillonnent la zone sahélo-saharienne. Or, des documents de la diplomatie américaine, diffusés par Wikileaks, avaient souligné la tentative d'arrestation d'un convoi de ravitaillement entre le Polisario et AQMI par un hélicoptère d'attaque de l'armée algérienne. De son côté, le quotidien américain New York Post a publié, le 2 novembre 2010, sous la plume de Richard Miniter, un article sur les liens avérés entre le Polisario et AQMI, et ce, au terme d'une tournée d'investigation effectuée par le journaliste et qui l'a conduit dans les camps de Tindouf et dans différentes villes des provinces marocaines du Sud. Sur les pages de ce journal, Richard Miniter affirme sans ambages que les guérilleros du Polisario et le réseau terroriste d'AQMI entretiennent sûrement des liens. Cette connexion s'étend notamment au narcotrafic, au trafic des armes et à l'enlèvement de ressortissants occidentaux. Selon Miniter, le territoire contrôlé par le mouvement séparatiste est un « no man's land » qui risque de devenir le prochain Afghanistan. En réalité, les camps sous contrôle de la direction polisarienne dépendent totalement de l'aide étrangère, de l'Algérie, de l'Organisation des Nations Unies (ONU), de l'Union européenne (UE), et des organisations non gouvernementales humanitaires. Mais cette assistance, détournée en grande partie par la direction du Front, ne suffit pas à la survie des séquestrés dont une bonne partie fuit les camps de Tindouf. Les plus chanceux parmi ces évadés réussissent à rejoindre le Maroc, d'autres rallient les contrebandiers de drogue ou les rangs d'AQMI. A s'en tenir aux propos de Miniter, quelques quatre à cinq mille personnes décampent chaque année de la région de Tindouf qui comporte cinq camps hébergeant des populations séquestrées dans des conditions funestes. Dans cette optique, en commentant le même événement, le premier vice-président du Comité national pour la politique américaine, John Peter Pham, a affirmé que le groupe terroriste AQMI « (...) a de plus en plus recours aux mercenaires du Polisario pour mener ses opérations criminelles dans la région du Sahel ». Cet expert américain, dont les propos ont été rapportés par la radio Voice of Amercia, en octobre 2010, a précisé que « (...) durant ces deux dernières années, AQMI a recruté des mercenaires du Polisario, qui sont des combattants aguerris, capables d'assurer le succès des opérations menées par ce groupe terroriste ». Ce recrutement « (...) se fait sur la base de considérations pragmatiques et non idéologiques, car il s'agit d'exécuter des opérations de prise d'otages ou encore de protéger le passage du trafic de drogues transitant par la région du Sahel ». Les propos émis par l'expert américain seront entérinés lorsqu'en pleine révolution libyenne, en 2011, le Conseil national de transition avait fait savoir que ses combattants ont arrêté des mercenaires du Polisario engagés par le régime, désormais déchu, de Kadhafi. Cette collusion entre le Front Polisario et AQMI est porteuse de risques sécuritaires pour toute la région. Lesquels risques se multiplieront en raison de la nature géopolitique de la zone sahélo-saharienne. Certainement, l'Afrique et d'autres régions du monde, notamment l'Europe, risquent sérieusement d'être embrasées par ce fléau si des mesures appropriées ne sont pas prises, très prochainement, en vue de mettre fin aux visées déstabilisatrices qui se prolifèrent dans cette « zone grise ». Par conséquent, une coopération collective concertée en matière de lutte antiterroriste sur les plans, régional et international, réunissant tous les Etats intéressés, est fort recommandée. * Zoom sur le CEI Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), « Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies » (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, « La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires ». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.