Si la Constitution adoptée par le peuple marocain par voie référendaire le 1er juillet 2011 se distingue surtout par l'accroissement significatif des pouvoirs dévolus au gouvernement et plus particulièrement à son chef, c'est en grande partie dû au choix du constituant de pleinement consacrer le principe de subsidiarité politique. Si l'on entend communément par subsidiarité le principe selon lequel, toutes les décisions prises par les pouvoirs publics, qu'elles soient politiques ou administratives, doivent l'être au niveau le plus bas des institutions, et donc au plus près des citoyens, il conviendra tout de même de nuancer cette définition dans ce contexte précis. En effet, bien qu'il soit procédé au niveau de l'exécutif à une redistribution des pouvoirs en faveur du chef du corps ministériel, dans le cadre de l'application du principe de subsidiarité, il n'existe pas de prééminence de l'institution royale sur le chef du gouvernement, qui serait «l'entité inférieure» par rapport au souverain. En effet, ni le texte constitutionnel ni la pratique politique ne permettent d'affirmer qu'il existe une hiérarchisation entre les deux tenants du pouvoir exécutif, mais bel et bien une différenciation fonctionnelle et une complémentarité de leurs actions, appuyant ainsi la pertinence du choix d'un exécutif bicéphale. Il convient cependant de soigneusement mettre l'accent sur le fait que la fonction suprême d'arbitrage incombant au Roi ainsi que son statut de commandeur des croyants ne sont pas mises en équation dans l'organisation du pouvoir exécutif. Dans le cadre de ce dernier, il existe un espace de subsidiarité, défini par la Constitution, entre le roi et le chef du gouvernement, illustrant davantage la redistribution, le rééquilibrage et la collaboration entre les différents organes détenteurs de pouvoir. Premier aspect de cette subsidiarité, la mise en place du contreseing du chef du gouvernement, qui concerne tout les dahirs royaux, à l'exception de ceux relevant de l'exercice des attributs de la souveraineté. Il conviendra donc de souligner le fait que les actes royaux soumis à contreseing sont tous ceux relatifs à la fonction gouvernementale. Rappelons que le contreseing est l'un des éléments essentiels du régime parlementaire, puisqu'il se justifie en grande partie par l'irresponsabilité juridique et politique du roi, chef de l'Etat. Ainsi, la responsabilité politique de l'acte contresigné par le chef du gouvernement va être endossée par ce dernier, en tant qu'autorité responsable devant le parlement. Pour ce qui est du deuxième aspect, il s'agit de la délégation, qui pour sa part puise ses origines dans le droit public musulman, et plus particulièrement dans la théorisation des systèmes juridiques des régimes arabes faite par Mawardi. Ainsi, selon ce dernier, tout détenteur d'une prérogative peut la déléguer, à moins qu'il n'existe de difficultés liées directement à la nature de la prérogative. Pourtant, la nouvelle Constitution marocaine prévoit que le roi puisse déléguer au chef du gouvernement, dans des conditions précises, la présidence du Conseil des ministres, ou encore celle du Conseil supérieur de sécurité, ainsi que la nomination à certains emplois militaires. Si la nature de la première disposition ne semble pas soulever de questions, les deux autres quant à elles nous permettent d'affirmer qu'au Maroc, depuis la réforme constitutionnelle de 2011, le roi peut déléguer des compétences régaliennes de souveraineté, alors même qu'il est le garant de l'unité nationale et de l'intégrité territoriale. La consultation et les compétences partagées constituent le troisième aspect de cette zone de subsidiarité constitutionnelle. Ainsi est établi un système de relations qui rompt avec la prise de décision unilatérale au profit de l'institution royale, au sein même du pouvoir exécutif, pour consacrer le caractère bicéphale de ce dernier. C'est là que cette dualité prend tout son sens, dans la mesure où une décision va faire l'objet d'une discussion, et donc, peut-être dans certains cas, d'une confrontation d'idées. C'est dans cette optique précise que la Constitution marocaine prévoit que le roi consulte le premier ministre avant de mettre fin aux fonctions d'un ou de plusieurs membres du gouvernement, et que le chef du gouvernement consulte le souverain avant de dissoudre, par décret, la Chambre des représentants. Concernant les compétences partagées entre le roi et le chef du gouvernement, elles sont l'ultime illustration du bon fonctionnement de l'exécutif, puisqu'elles caractérisent elles aussi la double structure du pouvoir exécutif, sans que soit établie la suprématie de l'une de ses composantes ou de l'autre. Ainsi et à titre d'exemple, la réunion du Conseil des ministres peut se faire soit à l'initiative du roi, soit à la demande du chef du gouvernement. De cette manière, l'exécutif bicéphale mis en place au Maroc, bien que reposant à la base sur une dissociation entre le roi, qui en est la composante constante, et le chef du gouvernement, qui, quant à lui, est variable, doit en fait son équilibre à cet ordonnancement. * Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, «Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009)» (décembre 2009), «Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile» (janvier 2011) et «Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies» (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.