S'il y a une disposition véritablement fondamentale de la Constitution marocaine, c'est certainement celle qui fait du roi le titulaire d'une fonction suprême en vertu de laquelle il est le garant du bon fonctionnement des institutions du royaume. C'est en effet une nécessité constitutionnelle que de prévoir des mécanismes permettant de faciliter le bon fonctionnement des institutions politiques et éventuellement de résoudre les conflits qui peuvent s'élever entre elles. Par conséquent, tous les textes constitutionnels qui ont été en vigueur depuis la Constitution de 1962 ont consacré cette fonction d'arbitre suprême en des termes qui n'ont pas véritablement varié. Sans doute, le fameux article 19 des Constitutions antérieures a disparu de la numérotation du texte de 2011. Son contenu a été réparti entre deux nouveaux articles à savoir, les articles 41 et 42 ; les attributions religieuses du roi se trouvent désormais énumérées dans l'article 41 et l'article 42 rassemble ses attributions de chef d'Etat au premier rang desquelles figure cette fonction d'arbitre suprême qui se concrétise par le fait qu'il est «(...) Garant de la pérennité et de la continuité de l'Etat et Arbitre Suprême entre ses institutions (...)» ; pour ce faire il «(...) veille au respect de la constitution, au bon fonctionnement des institutions constitutionnelles (...)». Le roi exerce cette fonction d'arbitrage par dahir en vertu des pouvoirs qui lui sont expressément dévolus par la Constitution (article 43). Ce qui exclut qu'il puisse exercer des attributions qui seraient déduites de la théorie des pouvoirs implicites. Quels sont donc ces pouvoirs qui lui sont expressément attribués et qui lui permettent d'exercer ce magistère suprême qu'est la fonction d'arbitre ? Ces pouvoirs sont de deux sortes. Les uns lui sont attribués de manière exclusive; d'autres en revanche sont exercés avec le contreseing du chef du gouvernement. La signification de ces pouvoirs est différente sur le plan juridique, mais se rapproche si on les envisage en fonction de leur portée politique. Ainsi, la Constitution prévoit que le roi dispose de certains pouvoirs de façon exclusive ; ce sont ceux qu'il exerce par dahir sans le contreseing du chef du gouvernement et qui sont énumérés par le dernier alinéa de l'article 42. Il s'agit tout d'abord des pouvoirs de nomination auxquels seul le chef de l'Etat peut procéder, par exemple, la nomination de certains membres du Conseil de régence ou du Conseil constitutionnel, ou encore la confirmation de la nomination des magistrats par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Naturellement, cela concerne aussi la nomination du chef du gouvernement ; toutefois ce pouvoir est désormais strictement encadré par la Constitution qui fait obligation au roi d'effectuer cette désignation dans les rangs du parti arrivé en tête des élections (article 47). On observera toutefois que la formulation de cette règle laisse au chef de l'Etat une marge d'appréciation dans cette désignation si le parti en question comporte plusieurs leaders d'envergure nationale entre lesquels il peut être permis de choisir compte tenu des circonstances liées à la situation politique interne ou internationale. En outre, le roi peut en vertu de l'article 51 dissoudre par dahir les deux chambres du parlement ou seulement l'une d'entre elles, après avoir consulté le président de la Cour constitutionnelle et informé le chef du gouvernement et les présidents des deux chambres du parlement (article 96). Le roi peut aussi soumettre au référendum les projets ou propositions de révision de la Constitution émanant du parlement ; il peut aussi, de sa propre initiative, soumettre au référendum un projet portant sur certaines dispositions de la Constitution mais, dans ce cas, après avoir consulté le président du Conseil constitutionnel (article 174). On évoquera enfin l'article 59 qui donne au roi la possibilité de déclarer l'état d'exception notamment lorsque se produisent des «(...) événements qui entravent le fonctionnement régulier des institutions constitutionnelles». Ceci étant, le chef de l'Etat dispose également de pouvoirs dont l'exercice est soumis au contreseing du chef du gouvernement et qui sont également des moyens d'arbitrage. La signification de ce contreseing est double. Tout d'abord, il est normal que le chef du gouvernement soit informé des décisions que souhaite prendre le chef de l'Etat. On observera cependant que ce n'est pas parce que l'exercice de certains pouvoirs échappe à l'obligation du contreseing que le chef de l'Etat peut vraiment se dispenser de tenir au courant le chef du gouvernement des décisions qu'il a l'intention de prendre ; tout dépend naturellement du contenu des décisions en cause ; quoi qu'il en soit, cela relève évidemment de la pratique des institutions et échappe à la sphère juridique. L'obligation du contreseing correspond en outre au fait qu'il est souhaitable que les décisions à prendre puissent faire l'objet d'un échange de point de vue entre les deux hauts responsables de l'Etat. Il s'agit par exemple des messages que le roi peut adresser au parlement ou de la demande d'une nouvelle lecture d'un projet ou d'une proposition de loi (article 95), de la saisine de la Cour constitutionnelle (article 132), de la décision du roi de mettre fin aux fonctions d'un ou de plusieurs membres du gouvernement ou à l'inverse de la demande du chef du gouvernement de mettre un terme aux fonctions d'un ou de plusieurs membres de son équipe (article 47). Enfin, le roi met fin dans les mêmes conditions aux fonctions de l'ensemble du gouvernement à la suite de la démission du chef du gouvernement. Mais il s'agit à ce niveau d'une conséquence du parallélisme des formes puisque c'est le roi qui avait nommé ce gouvernement sur la proposition de son chef. On peut donc constater que le souverain est effectivement en mesure d'assurer une régulation du fonctionnement des institutions. Mais la Constitution qui lui en donne les pouvoirs a également prévu, une sorte d'obligation de coopération avec le chef du gouvernement. Cette coopération passe en premier lieu par une obligation juridique d'informer qui résulte du contreseing du chef du gouvernement. Ladite coopération peut également résulter dans certains cas d'une obligation politique découlant de la nécessité d'assurer un fonctionnement harmonieux des institutions. On peut le constater aisément, la Constitution marocaine de 2011 a instauré un nouvel équilibre des pouvoirs entre le roi et le chef du gouvernement. Certes, le roi a préservé d'importantes attributions, de par sa qualité de chef de l'Etat et garant du bon fonctionnement des instituions. Mais le chef du gouvernement a également vu ses compétences élargies de sorte à disposer des moyens nécessaires au bon exercice de ses fonctions. Ce nouveau rééquilibrage des pouvoirs est révélateur de la nouvelle ère démocratique que va vivre le Maroc. Par : Michel ROUSSET* Professeur honoraire à la faculté de droit de Grenoble Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales * Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, «Etudes Stratégiques sur le Sahara» et «La Lettre du Sud Marocain», le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. Sous sa direction ont donc été publiés, auprès des éditions Karthala, « Une décennie de réformes au Maroc (1999-2009) » (décembre 2009), «Maroc-Algérie : Analyses croisées d'un voisinage hostile » (janvier 2011) et « Le différend saharien devant l'Organisation des Nations Unies» (septembre 2011). En avril 2012, le CEI a rendu public un nouveau collectif titré, «La Constitution marocaine de 2011 – Analyses et commentaires». Edité chez la LGDJ, ce livre associe d'éminents juristes marocains et étrangers à l'examen de la nouvelle Charte fondamentale du royaume.