«La Constitution marocaine de 2011- Analyses et commentaires » est le titre du nouveau livre initié et réalisé sous la direction du Centre d'Etudes Internationales* (CEI), paru aux éditions LGDJ le 24 avril 2012 et distribué au Maroc depuis le mois de juin 2012 par La Croisée des Chemins. Dans cet ouvrage collectif, Abderrahim El Maslouhi** explique comment s'articule la séparation des pouvoirs prévue par la nouvelle Charte fondamentale avec le régime parlementaire que celle-ci instaure. La séparation des pouvoirs renvoie à une technique d'ingénierie constitutionnelle visant à garantir la liberté via des modes de différenciation et de distribution des fonctions de l'Etat entre plusieurs autorités. Elle constitue, de ce point de vue, un instrument efficace pour enrayer le danger de l'abus du pouvoir au moyen d'une distinction des fonctions étatiques et de contrôle mutuel entre les différents détenteurs de ces fonctions. Critère principal pour classer les régimes politiques, la séparation des pouvoirs ne s'est pas moins heurtée à des objections théoriques et pratiques. Une des principales réserves, à cet égard, est que cette théorie serait incompatible avec le principe d'unité de la souveraineté autant qu'avec le régime parlementaire. Ce dernier renvoie à un système d'aménagement des pouvoirs où le parlement et le gouvernement possèdent des moyens d'action et de dissuasion mutuelles, si bien qu'il devient difficile de parler de séparation entre ces deux organes. Cette réserve explique la prudence des rédacteurs de la Constitution marocaine de 2011 où les termes « équilibre » et « collaboration » ont été associés à « séparation » comme pour rappeler le caractère impraticable d'un des grands « mythes » du constitutionnalisme libéral. « Le régime constitutionnel du royaume est fondé sur la séparation, l'équilibre et la collaboration des pouvoirs », lit-on dans le premier article de la nouvelle Constitution. Le fonctionnement de tout l'édifice se trouve dès lors soumis à des logiques composites faites à la fois de frontières, de passerelles et de contrepoids entre les organes de l'Etat. Ainsi, le nouveau texte constitutionnel rattache les organes politiques par des diffusion de l'autorité pour assurer freins et contrepoids au fonctionnement du régime constitutionnel marocain et instaurer une monarchie parlementaire où le roi régnerait sans gouverner. Les spécialistes du droit constitutionnel savent que, précisément, ce dernier vœu est loin d'être compatible avec les postulats de la séparation des pouvoirs, la logique du régime parlementaire supposant à sa base une large interférence des organes. De toute manière, le constituant marocain de 2011 a donné une suite favorable aux revendications des partis politiques et de la société civile sans pour autant s'en tenir à une conception littérale de la séparation des pouvoirs. En clarifiant de façon très précise le fonctionnement des rouages constitutionnels, il a résolument réduit les champs de l'implicite et établi des frontières de moins en moins ambigües entre les organes de l'Etat. Ainsi, outre l'article premier précité, la séparation des pouvoirs se trouve consacrée par d'autres dispositions de la Constitution à savoir, l'article 70 stipulant que « Le Parlement exerce le pouvoir législatif », l'article 89 disposant que « Le gouvernement exerce le pouvoir exécutif » et l'article 107 selon lequel « Le pouvoir judiciaire est indépendant du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif ». L'accentuation des traits parlementaires du régime constitutionnel marocain s'est traduite par une série d'infléchissements de l'équilibre entre le roi, le gouvernement et le parlement. Lesquels infléchissements ont pris principalement deux formes différentes : d'un côté, la création de zones de « subsidiarité constitutionnelle » au niveau des rapports entre le roi et le gouvernement (contreseing, délégation, consultation), zones qui semblent favoriser l'émergence au Maroc d'un exécutif fort, mais non moins soumis à la majorité parlementaire. De l'autre côté, le maintien des mécanismes de collaboration entre l'exécutif et le législatif a pour objet principal de satisfaire aux exigences d'équilibre et de rationalisation du travail parlementaire. On notera enfin que d'autres formes de séparation sont repérables dans le nouveau texte constitutionnel marocain. Ainsi, par-delà l'axe central articulant le législatif à l'exécutif, les nouveaux clivages qui animeront le régime politique marocain sont ceux qui opposeront désormais majorité et opposition, juges et pouvoirs publics, Etat et collectivités territoriales et Etat et société civile. La séparation verticale des pouvoirs, peu explorée par la doctrine constitutionnelle, acquiert ainsi ses lettres de noblesse. *Créé en 2004 à Rabat, le Centre d'Etudes Internationales (CEI) est un groupe de réflexion indépendant, intervenant dans les thématiques nationales fondamentales, à l'instar de celle afférente au conflit du Sahara occidental marocain. La conflictualité structurant la zone sahélo-maghrébine constitue également l'une de ses préoccupations majeures. Outre ses revues libellées, « Etudes Stratégiques sur le Sahara » et « La Lettre du Sud Marocain », le CEI initie et coordonne régulièrement des ouvrages collectifs portant sur ses domaines de prédilection. **Abderrahim El Maslouhi est docteur en science politique et enseignant-chercheur à la faculté de droit de Rabat-Agdal. Conseiller auprès du Centre d'Etudes Internationales, il est notamment secrétaire général de l'Association marocaine de sciences politiques, membre de l'Association marocaine de droit constitutionnel, du bureau du Réseau africain de droit constitutionnel (RADC), de l'Association française de sciences politiques et du Conseil scientifique du Centre d'études et de recherches en sciences sociales (CERSS).