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Initiatives de réparation du préjudice collectif dans le sud-est du Maroc : Une expérience pionnière en matière de consécration de la justice transitionnelle
Assurément, la question de la réparation du préjudice collectif résultant des violations passées des droits de l'Homme au Maroc, constitue un défi majeur pour les différentes forces vives de la société marocaine sur la voie de la consécration de la justice transitionnelle et du processus de transition démocratique au Maroc. Certes, la décennie des années 90 du siècle dernier a vu la naissance de nombreuses initiatives historiques qui s'inscrivent dans le cadre des réformes démocratiques touchant notamment les volets juridique et institutionnel. Mais, l'installation en 2004 de l'Instance Equité et Réconciliation (IER) a conféré une impulsion sans précédent au chantier des droits de l'Homme au Maroc qui suscitait depuis l'intérêt de tout un chacun aux niveaux national et international. Le rapport final de l'IER, publié à l'issue de ses travaux en 2005, a constitué un document de référence qualifié par de nombreux observateurs comme unique en son genre, du fait qu'il a pu établir la nature, la gravité et le contexte des violations des droits de l'Homme, à la lumière des principes et normes du droit international relatif aux droits de l'Homme, élucider des cas de disparition forcée et préconiser des procédures de règlement et de réparation du préjudice individuel et collectif dans les régions et communautés ayant souffert collectivement, de manière directe ou indirecte, des séquelles de ces violations, dont la région du Sud-est du Maroc relevant du Bureau régional du Conseil national des droits de l'Homme à Ouarzazate comprenant les provinces de Zagora, Tinghir et Ouarzazate. Conscientes de la détermination ferme du Maroc de tourner la page des violations passées des droits de l'Homme et d'entamer le processus de réconciliation, plusieurs ONG dans ces trois provinces se sont mobilisées pour la mise en oeuvre d'un programme de réparation du préjudice collectif dans ces régions. Ainsi, les projets et initiatives de réparation du préjudice collectif dans le sud-est ont reçu un écho favorable auprès des partenaires, et des personnes intéressées par la question des droits de l'Homme qui les ont considérés comme une sorte de libération du sentiment de peur qui a régné durant des décennies chez les habitants de la région. De même, l'existence de centres de disparition forcée dans la région (Tagounit, Agdez, Skoura et Kalaat Magouna) a eu un effet d'entraînement négatif chez la population locale. Le changement des mentalités s'est répercuté de manière positive sur la dynamique dont jouit actuellement la société civile locale qui a bénéficié d'un soutien financier de plusieurs instances locale, nationale et internationale, dont la Fondation de la Caisse de Dépôt et de Gestion (CDG), plusieurs départements ministériels, la délégation de l'Union européenne à Rabat, l'Institut arabe des droits de l'Homme, le Centre international de la justice transitionnelle (CIJT) et le Fonds de développement des Nations Unies pour la Femme (UNIFEM). Ce soutien a pris diverses formes à savoir la formation et l'encadrement pour le montage de projets, le renforcement de la gouvernance locale, le soutien financier, l'accompagnement des projets, ainsi que d'autres formes de soutien s'inscrivant dans la cadre de la mise en application des recommandations de l'IER dans son volet relatif à la réparation du préjudice collectif, considéré comme un moyen pour concrétiser la justice transitionnelle. A l'instar des autres régions du Royaume ciblées par l'opération de réparation du préjudice collectif, de nombreux centres ruraux et urbains relevant des provinces de Zagora, Tinghir et Ouarzazate ont connu le lancement et la concrétisation de plusieurs projets générateurs de revenus, la mise en place de forums de préservation de la mémoire collective et le lancement d'initiatives relatives à l'éducation sur la citoyenneté et les droits de l'Homme, ainsi que le soutien aux programmes d'intégration de la femme et de consécration de la justice transitionnelle, et ce en harmonie avec les dispositions du “ Plan national en matière de démocratie et ses droits de l'Homme “ et la “ plate-forme citoyenne pour la promotion de la culture des droits de l'Homme “ . De même, les coordinations locales de réparation du préjudice collectif au niveau de ces trois provinces et le Bureau régional du Conseil national des droits de l'Homme à Ouarzazate ont joué un rôle capital dans la concrétisation des différents projets, à travers l'organisation de rencontres et de sessions de formation au profit des organisations de la société civile. Aussi, le Bureau régional du Conseil national des droits de l'Homme à Ouarzazate a déployé des efforts considérables pour la mise en application des dispositions des accords conclus entre d'une part le Conseil Consultatif des droits de l'Homme (CCDH) et les secteurs gouvernementaux et les instances publiques et semi publiques d'autre part. Parmi les projets de réparation du préjudice collectif lancés dans les trois provinces, figure le projet intégré qui est en cours de réalisation à Douar “ Afanour “ dans la province de Tinghir pour un coût de 454.000 DH financés par l'UE et la CDG. Ce projet prévoit la réparation des terres, l'implantation des palmiers et l'introduction de la technique d'irrigation goutte-à-goutte outre le programme de lutte contre l'analphabétisme et de promotion de la condition de la femme et de l'enfant, l'éducation et la santé etc. Lancé en 2009, ce programme a permis, entre autres, d'encourager les agriculteurs de la région, d'améliorer la production des palmiers-dattiers, de réduire le taux d'immigration et de créer des opportunités d'emploi. Concernant les projets de préservation de la mémoire collective dans les trois provinces, il y a lieu de citer le “Forum Beni Zouli pour le développement et la communication “ animé par plusieurs jeunes bénévoles et actifs dans le domaine de la défense des questions du développement durable, de la promotion de la citoyenneté et de la consécration des droits de l'Homme et de l'égalité du genre. Le Forum publie actuellement une revue périodique intitulée “Mémoire vive” et lance des initiatives visant à renforcer les capacités de plusieurs centres d'éducation à la citoyenneté et aux droits de l'Homme dans plusieurs régions relevant de la province de Zagora. S'agissant des projets de réparation du préjudice collectif relatifs à la promotion de la condition de la femme et le renforcement de leur rôle dans la consécration du processus de la justice transitionnelle, la région du Sud-Est du Royaume a vu le lancement de nombreux projets notamment “ l'espace féminin “ à la commune rurale d'Ait Boubker à Kalaat M'gouna, inauguré en avril dernier et le projet “ espace de qualification de la femme “ à la province de Zagora. Fort de constater que les projets de réparation du préjudice collectif dans les provinces de Zagora, Tinghir et Ouarzazate ont affiché un succès remarquable, attribué, selon le président du Conseil National des Droits de l'Homme, M. Driss El Yazami, à “l'adoption d'une approche participative dans la conception et la mise en exécution des projets”. Il a, à cet égard, rappelé l'atelier national organisé en septembre 2004 à la ville d'Agdez en présence de Feu Driss Benzekri, président de l'IER et le forum national de la réparation du préjudice collectif organisé fin octobre et début novembre 2005 à Rabat, soulignant que ces deux rencontres ont joué un rôle déterminant dans la formulation des recommandations de l'IER. Dans une déclaration à la MAP, M. Yazami a estimé que l'enjeu posé après la réussite de cette expérience, qu'il a qualifiée de “première véritable expérience de longue haleine dans la réparation du préjudice collectif au niveau mondial “, réside dans la recherche de moyens susceptibles d'assurer la durabilité de ces projets que ce soit dans les régions du Sud-est du Royaume ou dans les autres régions concernées par la réparation du préjudice collectif au niveau national. Il a souligné que le Conseil national des Droits de l'Homme (CNDH) placera cette question parmi ses priorités. Les acteurs de la société civile partagent cette même conviction avec le CNDH. Ceci a été traduit par les recommandations adoptées lors de la dernière rencontre nationale sur les droits de l'Homme, tenue en juillet dernier à Ouarzazate et qui ont plaidé pour la durabilité des projets de réparation du préjudice collectif, la nécessité de procéder à une évaluation du programme de réparation du préjudice collectif, la compilation des expériences et la mise en oeuvre des accords conclus avec les secteurs gouvernementaux, ainsi que la création de nouveaux mécanismes pour le suivi de la constitutionnalisation des recommandations de l'IER. Plusieurs acteurs associatifs ont formé le voeu que les résultats de la rencontre nationale sur la réparation du préjudice collectif puissent constituer un vecteur privilégié pour la conception d'une vision future pour permettre à l'ensemble des acteurs d'adhérer au programme de réparation du préjudice collectif, le but étant de faciliter l'opération de réconciliation et de réaliser la justice transitionnelle.