La date de levée du confinement a été repoussée de trois semaines. Nombreux sont les Marocains qui se demandent pourquoi. Pour vous apporter plus d'explications, nous avons contacté le professeur Mohamed Amin Berraho, Médecin-Professeur d'enseignement supérieur en épidémiologie clinique à la Faculté de médecine et de pharmacie de Fès. Voici ses éclairages. Une prolongation pour éviter une rechute La prorogation du confinement pour trois semaines est « raisonnable pour permettre de réduire le risque à un niveau maîtrisable permettant d'avoir plus d'assurance pour éviter une rechute, avoir une marge d'action en cas de reprise de l'épidémie et de se préparer mieux pour la levée du confinement », explique l'universitaire, relevant que « la question à se poser sur la fin du confinement n'est pas seulement « quand », mais aussi « comment ». C'est un processus complexe qui doit être progressif, contrôlé et contextualisé ». Selon lui, « pour pouvoir atteindre les objectifs du déconfinement et afin de progressivement et partiellement relâcher les contraintes du confinement tout en maintenant un faible niveau de transmission de virus. Que faire pour déconfiner ? Des critères épidémiologiques doivent être vérifiés et une série de prérequis et de mesures doivent être mises en place avant de lever le confinement à savoir: 1. « Notre système de santé doit être capable de faire face simultanément à une éventuelle nouvelle vague épidémique, et en même temps répondre aux autres besoins de santé et aux problèmes de santé liés aux conséquences du confinement ». 2. « Notre système d'identification et de prise en charge des cas doit être rapide et la traçabilité de leurs contacts doit être efficace. Aussi, notre système doit être capable d'isoler des patients covid-19 et les contacts à haut risque ». 3. « Notre système de surveillance épidémiologique doit être capable de mesurer les tendances et de détecter une reprise de l'épidémie ». 4. « Disposer de stock en matériels de protection individuelle et collective (Masques, désinfectants, gels hydro-alcooliques etc) ». 5. « Mise en place d'une gouvernance en charge de la sortie du confinement (Nationale et régionale) ». Les conditions de sortie du confinement n'est pas synonyme d'une levée des mesures de contrôle Pour M. Berraho, la sortie de confinement doit s'inscrire dans la stratégie de contrôle de l'épidémie jusqu'alors adoptée. « L'objectif principal doit être poursuivi, le contrôle de l'épidémie. Il est important de souligner que préparer les conditions de sortie progressive du confinement n'est pas synonyme d'une levée des mesures de contrôle contre COVID-19 ». « La situation épidémiologique actuelle est maîtrisée avec une amélioration lente mais continue. Mais, malgré la diminution des cas actifs et la baisse du taux de reproduction, le seuil de la circulation de la maladie, surtout dans certaines régions du Maroc, est à un niveau où le risque de rechute et de reprise de la maladie est assez élevé », souligne-t-il. Un seul mot d'ordre: « Prévention » En l'absence de vaccin et de traitement spécifique curatif ou prophylactique « nous sommes réduits au seul moyen en notre main : les mesures de distanciation sociale et les mesures barrières », fait remarquer M. Berraho. « Cet épisode épidémique ne permettrait pas d'atteindre l'immunité collective permettant à la population marocaine d'avoir une barrière communautaire face à une nouvelle dissémination du virus. De ce fait, notre pays restera vulnérable à toutes circulations et introductions du virus », met-il en garde. Aux grands maux, les grands remèdes Les mesures mises en place par « le Maroc ont permis de ralentir significativement la vitesse d'apparition des cas et de ce fait réduire le nombre de cas et éviter une saturation de notre système de santé », a-t-il souligné, ajoutant que « les mesures de détection précoce et de traçabilité des contacts ainsi que leur mise en quarantaine contrôlée ont permis de maîtriser cet épisode épidémique avec réduction significative des sujets atteints et de décès ». A son avis, « le Maroc a réussi à diminuer l'ampleur de l'épidémie et à en réduire les conséquences ». L'annonce de cette prolongation été rendue publique, lundi, par le Chef du gouvernement, Saad Dine El Otmani, devant les deux chambres du parlement : Pour lever le confinement, le R0 doit être inférieur à « 1 » pendant deux semaines Les indicateurs épidémiologiques actuels au Maroc, notamment le taux de reproduction (R0) qui doit être inférieur à « 1 » pendant au moins deux semaines consécutives, souligne le professeur, notant que pour obtenir une marge de sécurité satisfaisante, cet indicateur doit être à 0.7. Actuellement, ce taux a atteint 0.9 au Royaume. Inquiétudes vis-à-vis des clusters épidémiologiques industriels et familiaux Selon le Chef du gouvernement, ce qui demeure inquiétant c'est la prolifération de clusters épidémiologiques industriels, commerciaux ou encore familiaux. Depuis le début de la pandémie au Royaume, 467 clusters ont été recensés dans pas moins de 10 régions, causant 3.800 cas d'infection, soit 56% du total des contaminations à la Covid-19 au Royaume. Près de la moitié des clusters sont familiaux, et un cinquième (20.7%) industriels, a-t-il précisé, ajoutant que 29 clusters sont encore sous suivi médical. La Santé du citoyen, priorité des priorités : « Dès lors que notre pays a choisi de donner la priorité à la santé du citoyen au-dessus de toute autre considération, et au regard des acquis positifs réalisés, il a été décidé de prolonger l'état d'urgence et l'isolement sanitaires de trois semaines supplémentaires », explique M. El Otmani, ajoutant que « la situation demeure stable et sous contrôle, mais pas entièrement rassurante, eu égard à l'apparition de temps à autre de clusters familiaux et industriels du virus et à un certain relâchement observé dans le respect des dispositions du confinement ». Un tel constat risque de favoriser un retour en arrière à la fois insupportable et difficile à tolérer, a-t-il tenu de préciser, estimant qu'il est «inadmissible de mettre en péril les acquis et les sacrifices consentis depuis le début du confinement sanitaire ». Quand faut-il amorcer le déconfinement ? Le processus de déconfinement sera amorcé dès que les conditions épidémiologiques et logistiques seront réunies, fait savoir le Chef du gouvernement. « Les préparatifs ont commencé pour la mise en œuvre des mesures de déconfinement, et ce une fois remplies les conditions d'ordre épidémiologique et dès le parachèvement de la mise en place des conditions logistiques », a-t-il dit. M. El Otmani a énuméré quatre prérequis pour l'atténuation des mesures de confinement. Il s'agit, selon lui, des capacités du système de santé, du potentiel en dépistage, de la capacité de suivi de tous les cas et d'un stock suffisant d'équipements sanitaires. L'atténuation des mesures de confinement ne signifie aucunement une levée automatique de toutes les mesures de prévention à caractère personnel ou professionnel, a-t-il mis en garde.