Les billets gratuits accordés aux étudiants sahraouis ont fait des victimes: deux morts et un blessé grave. Est-il justifié de maintenir un privilège source de multiples dérives ? Deux morts, un blessé grave et un blessé léger dans un «accident» d'autocar à Agadir. Sauf que cette fois, ce n'est pas de violence routière qu'il s'agit. C'est le résultat d'un affrontement entre des étudiants sahraouis qui poursuivent leurs études à Agadir et les responsables de la gare routière «Supratours» de cette ville. Lundi, vers 19h30, des dizaines d'étudiants sahraouis débarquent dans la gare et somment les guichetiers, sur présentation de tickets de transport gratuits (réquisition dans le jargon professionnel), d'être servis les premiers pour rejoindre les leurs au Sahara. Ils ont exigé que leur transport soit assuré le jour même, malgré que les bus soient déjà complets, refusant de patienter jusqu'au lendemain matin. La situation dérape très vite. Les étudiants bloquent l'accès de la gare aux voyageurs et entravent la circulation des autocars. Le drame a eu lieu quand, dans un accès de colère, des étudiants tentent de s'accrocher à un autocar à destination d'Inezgane pour l'empêcher de quitter la gare. «Ils ont cassé les vitres et s'en sont pris au chauffeur qui n'a pas pu s'arrêter», assure Réda Taoujni, président de l'association Le Sahara Marocain (ASM), qui se base sur le rapport des militants de son association présents sur place au moment de l'incident. Résultat : le car poursuit son chemin et écrase accidentellement des étudiants, provoquant le décès de deux d'entre eux. Les étudiants démentent la version officielle. Ils assurent que les forces de l'ordre s'en sont pris aux manifestants et que le car en question aurait foncé sur eux à toute vitesse. Chantage indépendantiste Quelles que soient les circonstances du drame, il soulève aujourd'hui la question de la pertinence des «réquisitions» de transport à titre gratuit octroyées aux étudiants sahraouis. L'ASM a même adressé une lettre au ministre du Transport, lui demandant d'abolir ce système hérité de la fin des années 1980. Les étudiants sahraouis qui poursuivent leurs études dans les principales universités du Maroc bénéficient en effet d'un quota annuel de billets gratuits. La CTM, Supratours et l'ONCF sont les sociétés tenues d'accepter les «réquisitions» dont la philosophie initiale est de venir en aide aux personnes ayant un besoin pressant d'être transportées. Les «réquisitions» sont censées profiter aux indigents, aux malades nécessitant une prise en charge médicale dans un grand hôpital et aux prisonniers qui achèvent leur séjour carcéral notamment. Comment s'est opéré ce glissement ? A l'image des multiples avantages et subventions accordés «aux provinces du Sud», les billets gratuits ont été mis en place sous l'impulsion du ministère de l'Intérieur du temps de Driss Basri. C'était au départ destiné à «Achbal Hassan II» (les «lionceaux» de Hassan II), ces fonctionnaires sahraouis embauchés dans l'administration publique au milieu des années 1980 afin de faire taire les éventuelles revendications indépendantistes. Ce privilège leur permettait de regagner leurs villes d'origines sans débourser un centime. Cet avantage s'est étendu aux étudiants et est devenu aujourd'hui l'objet de trafics en tout genre. Les «réquisitions» sont scannées, vendues au marché noir et leurs porteurs font du chantage, en exigeant d'être servis avant les voyageurs qui, eux, ont payé leur place. Les «supermen» des transports «Je me rappelle que lors d'un voyage à destination de Guelmim, des gens ont empêché le bus de rouler en se couchant sur le sol. Ce n'est pas nouveau, le phénomène s'est amplifié depuis 1999, ou les quotas de billets gratuits ont été revus à la hausse», explique une source sahraouie. Aujourd'hui, les étudiants sahraouis font du chantage avec ce privilège et l'Etat persiste dans son erreur, continue notre source. «L'Etat se fourvoie en croyant faire taire les revendications indépendantistes en perpétuant cet héritage et les étudiants se trompent en se prenant pour des supermen quand ils prennent les transports en commun. Le plus simple aurait été de mettre en place une carte, à l'image de ce qui existe pour les autobus urbains», propose notre source. Et ça ne s'arrête pas là. Les quotas de billets d'avions pour les vols régionaux accordés aux provinces sahariennes bénéficient essentiellement à certains notables. Des accusations que les responsables du ministère du Transport n'ont pas voulu commenter, malgré nos tentatives répétées. Ils ont constamment été en réunion durant la journée du mardi 2 décembre.