A l'occasion du Printemps des poètes, l'Institut français a souhaité rendre hommage à deux auteurs ayant marqué la littérature francophone du 20ème siècle, René Char et Khaïr-Eddine. Rencontre posthume entre ces deux poètes qui, bien qu'ils ne se soient jamais effectivement connus, ont participé, à travers leurs oeuvres, d'un même questionnement sur l'utilité de la poésie. La confrontation des textes, des thèmes récurrents et des biographies des auteurs par les intervenants, aura permis de mettre en évidence deux figures distinctes d'un même personnage mythique, d'un même archétype, selon la définition qu'en donne Jung, celui du poète engagé. La conférence s'est ensuite plus particulièrement axée sur l'oeuvre de Khaïr-Eddine. Elle était présentée par Abdellah Baïda, enseignant à l'Ecole Normale Supérieure de Rabat et traducteur vers l'arabe des textes de l'auteur soussi. Premier point de frottement entre les deux auteurs, l'engagement poétique. De Baudelaire à Rimbaud en remontant le long du XXème siècle, avec Apollinaire notamment, la figure du poète engagé s'est développée puis enracinée dans la littérature et dans l'histoire française. Celles des guerres mondiales, et de libération. Char et Khaïr-Eddine s'inscrivent donc, eux aussi, dans ce long déroulement chacun à sa manière. L'un fut résistant durant la seconde guerre mondiale, armé de son carnet et d'un fusil, pour « libérer ». L'autre, assistant social de formation, constatant avec son premier roman Agadir, qu'il était là pour « redresser une situation particulièrement précaire », doit se résoudre à l'exil face au mauvais accueil, par le pouvoir, de ses descriptions empoisonnées. Tous deux se positionnent dans le conflit entre les deux blocs, influencés par les idées socialistes et les luttes de libération des peuples. Ils se retrouvent également sur leurs emprunts d'un certain nombre de techniques aux surréalistes. Char découvert par André Breton, chef de file du mouvement, participera de l'effervescence des idées de l'époque. Il se joindra notamment à la revue Le surréalisme au service de la révolution. Il témoigna, par ailleurs, tout le long de sa vie d'un grand intérêt pour des artistes tels que Picasso ou Matisse. Cette influence se reflète dans son œuvre, foisonnant de figures de styles et d'allitérations, jouant sur les paradoxes et interrogeant en permanence les grandes certitudes. Khaïr-Eddine, « l'enfant terrible » du royaume, aura pu puiser dans ses paysages soussis, dans le nom même de son village Azrou Ouadou, « la pierre au vent », le matériaux de son écriture. Une écriture portée par un souffle onirique, qui survole le réel. Une écriture, par ailleurs, influencée par les lectures de Lautréamont et Mallarmé. Ces trois aspects : résistance, surréalisme, origines, se retrouvent dans son concept de « guérilla linguistique ». Il s'agissait en effet pour l'écrivain d'utiliser la langue du colon d'une manière subversive, à l'instar des grands poètes de l'indépendance, plus radicalement qu'eux encore. Cette langue qui s'impose comme une règle et qui ne se laisse point approcher. Il la contourne en en refusant les fondamentaux, allant jusqu'à écrire sans ponctuation. Il en atteint le cœur, use du Petit Robert comme d'un coffre au trésor, contenant le matériau le plus « rugueux » et le plus brut pour écrire. Cette liberté d'écriture se retrouve également chez Char qui fut notamment charmé par la forme des Haikus bouddhistes, quelques vers assemblés pour incruster une émotion fugace. Les intervenants ont également insisté sur la nécessité de comprendre les deux œuvres, de s'attarder sur la notion de « destruction ». La mort rôde en effet dans un recoin de chacun de leurs textes. Char, en tant que poète, s'identifie, dans ses feuillets, écrits durant la guerre, au personnage mythique de Hypnos le sommeil, « Fils de la nuit, frère de la mort ». Il considère que le besoin d'écrire découle de « l'impression d'avoir manqué quelque chose dans la vie ». Khaïr-Eddine entame sa carrière littéraire par une nouvelle intitulée « L'enterrement » et l'achève par son « Testament d'un moribond ». Cette omniprésence du tragique est d'autant plus remarquable chez lui, qu'il a traversé une vie de malheur. Déconstruite, à l'image de ses œuvres. Sismique à l'image du tremblement d'Agadir qui marqua pour toujours son imaginaire. Sa mère répudiée alors qu'il n'avait qu'onze ans, il sera marqué par une haine contre la figure paternelle, dont M.Baïda dira que l'on peut l'étendre à celle du Roi voire même à celle de Dieu. Une rébellion qui lui vaudra la censure et qui le suivra jusqu'à sa mort, bien qu'elle fût estompée à son retour d'un éprouvant exil français. Finalement, sa « flamme » s'éteindra, un 18 novembre de l'année 1995, alors que dans la rue, la parade défilait pour fêter l'anniversaire de l'indépendance. La conférence s'est achevée sur une série de témoignages de personnes ayant partagé la vie du poète. Du peintre M'Seffer dont il commenta, pour sa dernière apparition sur le papier, un recueil de toile. A un architecte français ayant partagé avec lui, entre Paris et Casablanca plusieurs soirées littéraires arrosées. Ces moments de vie partagés auront donné un éclaircissement appréciable sur la personnalité de ce grand nom de la littérature marocaine pourtant méconnu du public.