Mohamed SassiMohamed Sassi, secrétaire général adjoint du Parti socialiste unifié (PSU), fait un tour d'horizon politique à trois mois des élections législatives du 7 septembre 2007. ALM : Le PSU, le PADS et le CNI viennent de créer une union et conviennent d'aborder les législatives du 7 septembre avec des listes communes. Cette initiative n'est-elle pas dictée par un simple enjeu électoral ? Mohamed Sassi : La création de l'union des trois partis (Parti de l'avant-garde démocratique socialiste, Congrès national ittihadi et Parti socialiste unifié) est le résultat d'un processus long et patient, porté par une volonté tenace de créer une force de gauche innovatrice, capable de prendre part à la compétition politique et faire pencher la balance en faveur de l'option du changement global. Dans ce cadre, nous avons créé le Rassemblement de la gauche démocratique (RGD), élaboré un plan d'action commun, et avons accumulé une série d'actions sur le terrain comme la protestation contre la hausse des prix. Aujourd'hui, nous voulons passer au stade de la consolidation de ce cumul militant sur le plan électoral, en suscitant l'espoir chez les jeunes quant à l'utilité de la politique et en rétablissant chez eux la confiance en la possibilité de voir émerger une force intègre, initiatrice et en mesure de tenir ses engagements. Avec quel programme allez-vous disputer la bataille électorale ? Nous avons élaboré un programme électoral qui se décline en quatre axes principaux : D'abord, œuvrer pour permettre à notre pays d'adopter une nouvelle Constitution, qui puisse remettre de l'ordre dans l'architecture institutionnelle de manière à lier la décision aux urnes, responsabiliser le système politique, amener les responsables à rendre des comptes, améliorer et promouvoir la gouvernance et assurer l'efficacité de la gestion économique et sociale. Deuxièmement, adopter une nouvelle approche sociale à travers une méthodologie globale en vue de lutter contre la marginalisation, le chômage et la pauvreté sur la base d'une dimension à la fois contractuelle et solidaire, qui consiste à élever le Smig à 3000 DH, instituer des allocations aux chômeurs, octroyer des subventions directes à 1 million de familles et initier une campagne nationale pour l'emploi. Pour atteindre ces objectifs, une enveloppe budgétaire devra être assurée à travers une révision radicale du système fiscal visant à explorer de nouveaux gisements fiscaux, élargir l'assiette fiscale (Impôt sur l'héritage, suppression de l'exonération dans le domaine agricole, impôt sur les grandes fortunes…) et convertir les dettes intérieures en investissements. Toisièmement, élaborer un plan global pour la moralisation de la vie économique et sociale, en partenariat avec la société civile, en vue de mettre fin aux détournements de fonds et aux gaspillages, protéger la compétitivité dans le domaine économique, en finir avec «le makhzen économique» et édifier l'Etat du droit économique (suppression du système des agréments et des privilèges et mise en place des bases d'un contrôle permanent et efficace). Quatrièmement, réguler l'ouverture sur l'étranger et traiter avec la mondialisation en assurant le minimum social à l'ensemble des citoyens, généraliser l'informatique et créer un circuit financier efficace, ouvrir le chantier pour une unité économique maghrébine, lier l'ouverture sur l'extérieur au processus de réformes et l'exigence de protéger les équilibres intérieurs, créer un Fonds pour la mise à niveau de l'économie nationale, réviser l'accord de libre-échange, préserver la sécurité alimentaire, adopter des critères différenciés dans le traitement avec les secteurs économiques en fonction de la disposition de chacun à l'ouverture, et soutenir méthodiquement leur mise à niveau, le tout en s'associant aux efforts en vue de l'édification d'une mondialisation à visage humain. Que pensez-vous de la politique de «la main tendue» de Mohamed Elyazghi ? J'aimerais faire trois remarques à ce sujet. Je tiens d'abord à préciser que cette «main tendue» est la même qui dirige le quotidien «Al Ittihad Al Ichtiraki», lequel désigne le Parti socialiste unifié (PSU) comme l'ennemi numéro1. Il n'existe pas au Maroc un autre parti que le quotidien en question traite de la même manière : attaques personnelles, amplification d'une information concernant le départ de quelques membres d'une petite section du parti en en faisant ses grandes manchettes. Si cela peut être mis sur le compte de la liberté d'expression, le danger reste la diffusion de fausses informations sur le PSU. Imaginez que ce quotidien a écrit, sans scrupule, que le congrès national du PSU, - que la presse nationale a été unanime à saluer -, n'a connu la participation que du tiers des congressistes officiels, évoquant, dans une autre circonstance, que la direction du parti désigne ses candidats aux élections sans se référer à ses bases. Les journalistes qui ont assisté aux réunions de notre conseil national savent que ces propos sont dénués de tout fondement, sachant bien que la liste des congressistes présents a été délivrée aux autorités conformément à la loi ; que l'ensemble des données a été communiqué lors d'une conférence de presse ; que les sections ont reçu une circulaire au sujet du choix des candidats depuis déjà un an, et que les bases choisissent les candidats en toute liberté. Il était de notre droit de porter plainte, mais nous attendons toujours des excuses de la part de nos frères à l'USFP. Ensuite, cette main qui nous est tendue est la même que l'on tend aux notables des élections qui étaient par le passé dans les partis administratifs que l'on veut aujourd'hui recruter à travers différentes régions du Royaume. La direction de l'USFP tend la main aux partis administratifs et aux notables qui en sont issus pour pouvoir rester au gouvernement, Qu'en est-il également des partis de la gauche dite non-gouvernementale ? L'USFP tend la main aux autres partis de gauche pour donner l'apparence que l'USFP est toujours de gauche. C'est un paradoxe que l'USFP doit résoudre. Et puis, la direction de l'USFP se dirige, de plus en plus, dans certains cas, vers l'adoption de positions conservatrices, revenant ainsi sur une grande partie de ses engagements précédents. A titre d'exemple, cette direction prend ses distances avec la presse indépendante et une partie de la société civile ; elle a également une vision sélective de la réforme constitutionnelle en l'astreignant à des limites, tout en étant prête à faire alliance avec tout le monde (communiqué conjoint avec l'Union démocratique UD, à titre illustratif). Cela dit, l'USFP reste capable de jouer des rôles progressistes, du moins au niveau de la modernité sociétale. Il y a donc des domaines où l'on peut collaborer, et ces domaines pourraient s'élargir si l'USFP parvenait à respecter ses principes de départ en tant que force démocratique de gauche. Comment imaginez-vous la carte politique post-2007 ? Toutes les conditions administratives, politiques, médiatiques et juridiques ont été préparées de manière à déboucher, en fin de compte, sur un statu quo avec, toutefois, quelques retouches. Malgré cela, le taux de participation sera déterminant lors des prochaines élections législatives. Si ce taux augmente de 20 à 30 % par rapport au taux enregistré lors du scrutin du 27 septembre 2002, cela serait synonyme de beaucoup d'agréables surprises pour le camp démocratique et moderniste de gauche. Cela permettrait d'enrayer l'efficacité des réseaux des notables et de donner une signification politique à la compétition électorale. Croyez-vous au «raz-de-marée islamiste» lors de la prochaine échéance électorale ? Pour moi, les sondages créditant en général le Parti de la justice et du développement (PJD) d'une nette victoire lors des prochaines élections sont pertinents. Cela s'explique par un déficit de crédibilité accusé aujourd'hui par des élites démocratiques modernistes et par les déceptions qui se sont accumulées chez les jeunes. Il ne faut pas oublier non plus le retour en force de la question de l'identité en réponse à la mondialisation, la nature des développements que connaît le Proche-Orient, la fracture sociale, l'échec des politiques de l'enseignement, la pauvreté et tout ce que ces phénomènes représentent comme facteurs de désespoir et d'irrationalisme. Malgré cela, on peut dire qu'avec l'approche de la date du scrutin, on décèle les limites de ce raz-de-marée annoncé. On peut, dans ce sens citer, quatre principaux facteurs. Premièrement, le processus de «réajustement» du programme du PJD, pour rassurer quelques parties à l'intérieur et à l'extérieur, va lui faire perdre nombre de ses électeurs qui pourraient considérer qu'il s'agit là d'un éloignement de l'idéologie et du projet des islamistes. Deuxièmement, les relations et les contacts répétitifs du PJD avec les responsables américains et que ce parti ne peut plus passer sous silence. Troisièmement, le recul de la démocratie interne (l'affaire de la désignation du chef du groupe parlementaire à la première Chambre). Et quatrièmement, la détérioration des relations avec les membres d'Al Adl Wal Ihssane. N'oublions pas que beaucoup de sympathisants de la Jamaâ fournissaient une base électorale non négligeable au PJD. Mohamed Sassi, un politique chevronné Mohamed Sassi fait partie de cette rare lignée de politiciens qui ont su, en dépit d'épreuves difficiles, rester fidèle à leurs principes de départ. Ancien dirigeant à l'Union socialiste des forces populaires (USFP), où il a assumé plusieurs responsabilités, dont celle de secrétaire général de la Jeunesse ittihadie (1987-1998), et celle de membre du comité central et du comité administratif du même parti, il s'en retirera en 2001, pour protester contre «les dérives anti-démocratiques» ayant entaché les travaux du 6ème congrès. Dès lors, il fonde une association nommée «Fidélité à la démocratie», critiquant «l'absence de démocratie interne au sein de l'USFP» et «le paternalisme peu innocent » de ses dirigeants. En 2005, il co-fonde avec son compagnon de route Mohamed Moujahid et autres militants du camp de la scission» (le Parti socialiste unifié (PSU). Aujourd'hui, il est l'une des figures de proue de la gauche dite non-gouvernementale. Parallèlement à ses activités politiques, Mohamed Sassi enseigne depuis 1978 à la Faculté de Droit de l'université Mohammed V-Agdal, à Rabat. Spécialisé en Droit privé, il publie en 1998 un livre intitulé «Détails politiques» dont 30 000 exemplaires ont été vendus. M. Sassi, qui a été choisi en 2000 par le magazine français «L'Express», comme étant «l'une des 100 personnalités qui font bouger le Maroc», compte aussi des contributions à plusieurs publications, dont notamment «Les Intellectuels marocains et les attentats du 16 mai», et «Le projet de modernisation au Maroc».