Des témoins encore choqués évoquent un cataclysme et surtout "une odeur de chair brûlée" au milieu des cris des blessés. Des gens paniqués, apeurés courent dans tous les sens. Devant le Palais du gouvernement, symbole évident du pouvoir, le chaos : carcasses de voitures calcinées, débris de verre sur un vaste rayon, du sang et des cris... Alger a bien été replongée, mercredi 11 avril, dans la terreur des années 1990. Le Palais du gouvernement algérien, au coeur de la capitale, et un commissariat de police à Bab-Ezzouar, sur la route de l'aéroport, ont été simultanément, en milieu de matinée, la cible de trois voitures piégées conduites par des kamikazes. Le bilan est particulièrement lourd : 33 morts et un grand nombre de blessés. Le véhicule qui a foncé sur l'entrée du Palais du gouvernement portait une charge de 700 kg d'explosifs. La déflagration a été si puissante que de nombreux Algérois ont d'abord cru à un séisme. L'édifice où le chef du gouvernement a ses bureaux, et qui abrite le ministère de l'intérieur, a accusé le coup : un trou le mutile. Douze personnes y sont mortes. Des norias d'ambulance ont transporté les blessés, des fonctionnaires du ministère de l'intérieur et des passants. Dans la banlieue est d'Alger, à Bab-Ezzouar, deux attentats à la voiture piégée ont ciblé un commissariat de police et une compagnie de la gendarmerie nationale, faisant 12 morts et 80 blessés. Dans un communiqué publié dans l'après-midi sur un site internet islamiste, "Al-Qaida au Maghreb", la nouvelle appellation du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien revendique l'action de trois de ses "combattants", affirmant qu'à Bab-Ezzouar, "le siège d'Interpol" et "le siège des forces spéciales de la police" étaient visés. Le communiqué parle de 53 morts et annonce d'autres attentats. Déjà, mercredi, à Alger, des rumeurs sur l'existence d'autres voitures piégées ont réveillé psychoses et mauvais souvenirs. Une vingtaine d'alertes auraient été données après les attentats. Toutes n'étaient pas fausses cependant. Selon le journal Al-Khabar, une bombe placée dans une Mercedes a été désamorcée vers 15 heures dans le quartier résidentiel d'Hydra, non loin de l'ambassade du Danemark mais également des résidences du général Larbi Belkheir, actuel ambassadeur à Rabat, et d'Ali Tounsi, patron de la police algérienne. Les attaques de mercredi, synchronisées, interviennent alors que l'armée algérienne est lancée dans un mouvement de ratissage contre les maquis islamistes en Kabylie. Le 7 avril, 9 militaires sont tombés dans une embuscade alors qu'ils étaient en mission dans la région de Aïn-Defla, au sud-ouest d'Alger. La menace s'approchait depuis quelques mois après des attentats contre des commissariats dans les faubourgs de la capitale. Après la série de 7 attentats simultanés à la bombe et à la voiture piégée qui a fait 7 morts, le 13 février, le ministre algérien de l'intérieur, Yazid Zerhouni, avait évoqué la possibilité d'attentats spectaculaires à l'approche du scrutin législatif du 17 mai. Les attentats de mercredi ont été qualifiés de "criminels et lâches" par Abdelaziz Belkhadem, chef du gouvernement. "C'est une provocation médiatique avant les élections", a-t-il estimé. "Que (les terroristes) sachent que le peuple algérien n'accepte pas leur approche et leur style", a-t-il ajouté. Conformément à l'habitude en pareilles circonstances, le président algérien, Abdelaziz Bouteflika, ne s'est pas exprimé. Unanimement condamnés par les partis politiques, les attentats pourraient constituer un tournant dans la stratégie du GSPC. Le recours aux kamikazes n'est pas, en effet, une "tradition" des radicaux algériens. Un, et peut-être deux attentats contre des bâtiments de la police ont pu être attribués à des kamikazes en 1995 et 1996. Mais les mouvements islamistes, pour des raisons d'interprétation religieuse - l'islam prohibant le suicide - n'ont pas emprunté cette voie. Certains présentent ces attaques comme une tentative de desserrer l'étau imposé aux islamistes armés par l'armée. Mais le choix des cibles et les méthodes utilisées constituent des nouveautés indéniables et la confirmation d'une audace qui s'est déjà manifestée dans l'attaque armée contre des agents d'une filiale de la société américaine Halliburton à Bouchaoui, près d'Alger, en décembre 2006. Le recours aux kamikazes conforte ceux qui pensent que le GSPC a abandonné les logiques locales pour s'inscrire, comme il le revendique, dans la mouvance "internationaliste" d'Al-Qaida. Confronté à ce nouveau défi sécuritaire, le président Bouteflika a tenu, immédiatement après les attentats, une réunion extraordinaire avec les responsables des services de sécurité. Une série de mesures, dont la nature n'a pas été précisée, y ont été prises "pour mettre ces criminels hors d'état de nuire", a annoncé le chef du gouvernement. Le pouvoir algérien, qui a constamment minimisé les choses en parlant de "terrorisme résiduel", est dans l'embarras. Jeudi matin, le journal Liberté prenait sa défense en estimant qu'il ne fallait pas l'accuser d'un "quelconque laxisme sécuritaire", citant le cas de l'armée américaine qui n'arrive pas à "trouver de solution, seule face aux kamikazes en Irak". Quant au quotidien El-Watan, il appelle à l'"union nationale contre le terrorisme" tout en considérant que celle-ci n'est possible que si elle a pour cap "la construction de la démocratie" et le recul des "pratiques autoritaires".