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A la fin de 2002, l'un des membres les plus influents du Congrès des États-Unis a reçu une leçon sur le pouvoir des nouveaux médias.
Publié dans Agadirnet le 01 - 05 - 2006

A la fin de 2002, l'un des membres les plus influents du Congrès des États-Unis a reçu une leçon sur le pouvoir des nouveaux médias. Lors d'une fête d'anniversaire organisée pour l'un de ses collègues, le sénateur Trent Lott, républicain de l'État du Mississippi, avait exprimé sa nostalgie d'une époque particulièrement déplaisante du passé des États-Unis où la ségrégation raciale était la politique officielle dans la majeure partie du pays. Sa déclaration était passée pratiquement sous silence dans la grande presse.
Mais des rédacteurs des journaux Internet alors naissants appelés weblogs, ou plus communément blogs, ne se montrèrent pas aussi disposés à laisser passer sa remarque. De la gauche à la droite politique, les blogueurs, comme on appelle ces rédacteurs, exprimèrent leur consternation. Une partie de leur colère était dirigée contre la presse pour son inattention et, au bout de quelques jours d'attaques de la part des blogueurs, les principaux organismes de presse décidèrent de parler de cette affaire. Quelques jours plus tard, le soutien dont Trent Lott bénéficiait jusque-là auprès de ses collègues s'amenuisa et il finit par démissionner de son poste de chef de la majorité républicaine au Sénat.
Cet incident était en quelque sorte un avertissement pour les politiciens, les personnages publics de toutes sortes et les professionnels des médias. Il signalait l'accélération de l'évolution des communications. Les blogs avaient trouvé leur justification et leur influence n'a fait que croître depuis lors.
Qu'entend-on exactement par blog ? Il n'y pas de définition unique du terme mais la plupart d'entre elles ont au moins trois caractéristiques communes : les blogs se composent typiquement de courts billets appelés « postings », qui apparaissent en ordre chronologique inverse, c'est-à-dire que les plus récents d'entre eux figurent en tête. Et ils ont des liens vers d'autres pages du Web.
Les blogs sont un moyen de conversation. La plupart des meilleurs blogs permettent à leurs lecteurs d'afficher leurs commentaires et les blogueurs aiment signaler leurs contributions réciproques afin de les mettre en valeur et d'en discuter.
Ils se prêtent aussi à la conversation car les meilleurs d'entre eux sont rédigés avec une voix nettement humaine. On peut les opposer à un article typique de journal qui semble avoir été écrit selon une formule et par un comité et non par une personne. L'humanité même du blog est un atout capital pour cette forme de communication.
Les blogs devraient également être compris dans un contexte plus large, en tant que l'une des nombreuses façons grâce auxquelles l'utilisateur moyen de l'Internet est maintenant en mesure de communiquer ses propres œuvres en ligne dans divers formats, y compris le son et la vidéo. Ce phénomène fait partie de la démocratisation des médias en matière de création et de distribution. Les outils que nous utilisons pour créer un contenu numérique sont de plus en plus puissants mais de moins en moins onéreux. Et nous pouvons montrer nos œuvres à un auditoire pratiquement mondial. Il n'existe aucun phénomène équivalent dans l'histoire de l'humanité.
Selon le Pew Internet Project, organisation sans but lucratif qui fait des recherches sur l'influence de l'Internet sur les divers aspects de la vie aux États-Unis, la lecture des blogs a progressé au fur et à mesure de leur création. Plus du quart de la population des États-Unis a lu un blog et, bien que les chiffres se soient stabilisés quelque peu en 2005, leur couverture par les grands moyens d'information a donné aux blogs plus de visibilité que jamais.
Ce sont leurs articles sur les grandes questions d'actualité, la technologie et autres sujets de ce genre qui ont valu aux blogueurs le plus d'attention. Il faut cependant reconnaître que la plupart des blogs - la vaste majorité des millions de blogs actuellement en ligne - ne visent pas de vastes audiences mais ont cependant une grande valeur. Pour certains blogueurs, les journaux en ligne ont essentiellement remplacé la lettre traditionnelle à la famille et aux amis proches. La valeur que le lecteur attache à ces blogs très personnels doit sûrement être plus grande, par lecteur, que la valeur équivalente des sites les plus populaires.
C'est aux États-Unis que les blogs ont vu le jour. C'était prévisible étant donné que les premiers outils en ligne venaient des fabricants américains de logiciels. Mais ils sont en train de devenir un phénomène mondial. C'est ainsi que la Chine compte actuellement quelque 5 millions de blogueurs, estimation approximative qui représente un pourcentage relativement faible de la population de ce pays. Les Chinois sont de plus en plus nombreux à créer leurs propres blogs en dépit de la censure gouvernementale (et avec l'aide des fabricants de technologie).
L'Afrique est le continent qui a le nombre le plus faible de blogueurs. Ethan Zuckerman, co-fondateur du projet Global Voices Online au Berkman Center for Internet and Society de l'université Harvard, indique que, selon les meilleures estimations, il y aurait environ 10.000 blogueurs en Afrique sub-saharienne. Leur nombre s'accroît au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, indique-t-il, où 50.000 personnes, la plupart des jeunes, affichent leurs blogs.
Parmi les pays qui pratiquent le plus ardemment les blogs, en dehors des États-Unis, figure la France avec plus de 2 millions de blogueurs, d'après Loïc Le Meur, directeur d'une société de logiciels. Ces blogueurs exercent de l'influence. M. Le Meur signale que trois ministres ont invité des blogueurs à les interviewer ; il a lui-même participé à l'un de ces entretiens. Il note que les blogs sont en train de devenir l'un des modes d'expression les plus importants en France et qu'ils suscitent de l'inquiétude dans les rangs du journalisme traditionnel.
Les rapports qui existent entre blogueurs et journalistes sont intéressants. Certains professionnels ont adopté les blogs avec enthousiasme. D'autres rejettent au contraire ce genre de communication.
J'ai lancé ce que l'on considère comme le premier blog d'un journaliste américain de la grande presse en 1999, alors que les logiciels de blogging commençaient tout juste à faire leur apparition.
J'écrivais des articles sur la technologie, et les blogs, qui s'ajoutaient à ma chronique dans le San Jose Mercury News de la Silicon Valley, en Californie, sont devenus une partie indispensable de mon travail. Pourquoi ? Parce que cela me permettait d'avoir davantage de conversations avec mes lecteurs. J'avais vite appris, en écrivant sur la technologie dans la Silicon Valley, le centre de l'industrie des techniques de pointe, que, collectivement, mes lecteurs en savaient plus que moi et que le blog était une nouvelle façon d'apprendre.
Depuis lors, les blogs se sont toujours entrecroisés avec les nouvelles. Le Pew Internet Project a découvert que les journalistes américains avaient beaucoup plus de chances de lire des blogs que le grand public. Cela n'a rien de surprenant, étant donné que les blogs remplissent un rôle comparable à celui des revues professionnelles, source précieuse de renseignements pour les journalistes dans toutes sortes de disciplines.
Pourtant, même à présent, la plupart des journalistes professionnels ne publient pas de blogs. Ce format, qui tend à encourager une voix personnelle, semble peu naturel aux professionnels qui ont été formés pour tenir leurs impressions et croyances personnelles à l'écart de ce qu'ils écrivent et diffusent.
Les éditorialistes sont l'exception manifeste à cette règle générale et plusieurs éditorialistes de journaux d'affaires sont parmi les meilleurs de ce genre, offrant des aperçus plus profonds sur les questions qu'ils couvrent dans la presse écrite. Cette approche donne également de bons résultats chez les journalistes qui couvrent d'autres genres de sujets, notamment les spectacles.
Les blogs peuvent aussi donner à la couverture des nouvelles une qualité relativement rare : la transparence.
Les journalistes exigent la transparence des autres mais se montrent généralement moins disposés à faire la lumière sur leurs propres activités. Les choses s'améliorent cependant et les blogs sont un outil utile dans ce processus. Le blog PublicEye de CBS News, par exemple, donne un aperçu des activités de cette chaîne de télévision.
Les blogs paraissent se prêter tout particulièrement aux nouvelles de dernière heure comme les catastrophes naturelles, sur lesquelles les lecteurs sont impatients de recevoir la moindre information nouvelle. Dans un cas particulièrement remarquable, le blog a remplacé pendant un certain temps la une des journaux. Le New Orleans Times-Picayune, qui, comme les habitants de la ville, avait dû quitter son immeuble que venait de détruire l'ouragan Katrina, tenait ses lecteurs informés avec un blog quand l'édition imprimée ne pouvait paraître.
Les blogs des journalistes représentent un très faible pourcentage de tous les blogs, bien sûr. Certains blogueurs font par eux-mêmes un travail superbe de journalisme, se faisant concurrence pour obtenir l'attention des lecteurs et le respect des autres sources de nouvelles. Bill Gates, co-fondateur et président de Microsoft Corporation, a accordé des interviews à des blogueurs qui écrivent en ligne. D'autres directeurs de sociétés constatent que les principaux blogueurs peuvent leur fournir un excellent moyen d'atteindre le grand public.
Inévitablement, les médias professionnels envisagent d'accaparer les meilleurs blogueurs. Une société, Weblogs Inc. qui produit des blogs sur des sujets tels que la technologie et les automobiles, a été achetée par la division AOL de Time Warner pour 15 millions de dollars. Il est probable que d'autres acquisitions de ce genre vont avoir lieu.
Cependant, même si les grandes sociétés de médias essaient de coopter le mouvement des blogs, elles n'y parviendront pas. L'obstacle financier à la pénétration sur ce marché est déjà pratiquement nul. Toute personne ayant le talent et le temps nécessaires peut créer un blog - ou podcast, ou tout autre site médiatique - sans dépenser une fortune.
Il est également inévitable que le succès du blogging suscite des questions et des critiques sur la fréquente tendance qu'ont les blogueurs à tirer avant de viser. L'impartialité et la profondeur ne figurent pas non plus parmi les meilleures qualités des blogueurs. Mais sur le marché des idées, les inexactitudes tendent à être découvertes et signalées et les réputations s'améliorent ou se détériorent dans une large mesure en fonction de la qualité. En attendant, les lecteurs de blogs apprennent à faire preuve du scepticisme qui convient à l'égard de ce qu'ils lisent en ligne.
Les blogs et les médias citoyens qui s'y rapportent ne vont pas disparaître. Ils sont devenus un moyen libérateur de se faire entendre. Une vieille maxime des médias américains dit que la liberté de la presse appartient à ceux qui possèdent une presse. À la nouvelle ère des médias numériques, nous possédons tous une presse - et plus il y a de voix qui se font entendre et mieux c'est.
Dan Gillmor est Directeur du « Center for Citizen Media » et auteur de « We the Media : Grassroots Journalism by the People, for the People ».


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