Le groupe Total et 12 autres personnes physiques et morales comparaissent à partir de lundi devant le tribunal correctionnel de Paris pour répondre de la pollution provoquée par le naufrage du pétrolier Erika en 1999 au large de la Bretagne. C'est la première fois qu'un dossier de pollution maritime de cette importance, impliquant une multinationale, sera jugé en France. Cinquante-neuf audiences ont été programmées jusqu'au 13 juin pour ce procès où seront jugées pour "pollution maritime" et "complicité de mise en danger de la vie d'autrui" trois entités du géant pétrolier français, la holding Total SA, les filiales Total transport et Total petroleum services. Bertrand Thouillin, chargé de la sécurité au sein du groupe, comparaîtra aussi à titre personnel. Le pétrolier Erika, qui battait pavillon maltais, s'était brisé en deux le 12 décembre 1999 dans une tempête et avait sombré au large des côtes bretonnes. Environ 20.000 des 31.000 tonnes de la cargaison, du "fioul n°2" hautement polluant et toxique destiné à la combustion, s'étaient échappées des cuves et avaient souillé 400 kilomètres de côtes, principalement dans le Finistère, le Morbiban, la Loire-Atlantique et la Vendée. Total encourt une simple amende, de l'ordre de plusieurs dizaines de milliers d'euros et surtout risque d'être condamné à verser des dommages et intérêts à l'Etat, aux associations et collectivités locales déjà parties civiles. L'Etat a annoncé qu'il demanderait à lui seul 153 millions d'euros. Sont déjà constituées actuellement 61 autres parties civiles, chiffre qui devrait doubler à l'audience. Tirant parti de la hausse des cours du brut, Total, quatrième groupe pétrolier mondial, a enregistré en 2005 un bénéfice record de 12,27 milliards d'euros. En pleine campagne électorale, le procès aura un parfum politique. La candidate PS à la présidentielle Ségolène Royal, présidente de la région Poitou-Charentes, partie civile, ainsi que le candidat d'extrême-droite Philippe de Villiers, président du conseil général de Vendée, aussi partie civile, entendent être physiquement présents à son ouverture, de même que l'avocate écologiste Corinne Lepage. Des centaines d'avocats, de témoins et d'experts doivent participer à ce procès où les débats seront, fait exceptionnel, traduits simultanément en anglais, italien et hindi. PROBLEMES JURIDIQUES Une autre personne morale, la société de classification italienne Rina (Registro italiano navale), de réputation mondiale, qui a donné son agrément à l'Erika et a mené son inspection annuelle entre le 16 août et le 24 novembre 1999, sera jugée. Parmi les autres prévenus figureront le propriétaire du navire italien, Giuseppe Savarese, Antonio Pollara, responsable de la société italienne de gérance technique de l'Erika, Panship, Alessandro Ducci et Mauro Clemente, qui ont sous-affrété le navire à Total et le capitaine indien du pétrolier, Karun Mathur. Trois militaires et un employé civil de la préfecture maritime de Brest sont aussi renvoyés pour le pilotage du navire dans la tempête. La présence au procès de Karun Mathur, sauvé de justesse par la marine avec son équipage puis brièvement incarcéré avant un retour en Inde, n'est pas encore certaine. Les deux tiers des audiences d'interrogatoires seront consacrées à la période qui a précédé l'accident. L'accusation estime que Total a affrété en connaissance de cause un navire-poubelle vieux de 24 ans et 10 mois, hors d'état et qu'il avait commis des fautes pendant son acheminement. Un premier rapport d'experts lui a donné raison, soulignant notamment l'absence de procédure de "vetting" (contrôle mené habituellement par Total) et le fait que la compagnie se refusait normalement à affréter des navires vieux de 25 ans. Un autre rapport, remis dans le cadre d'une autre procédure devant le tribunal de commerce de Dunkerque et versée au dossier au printemps 2003, a cependant semblé dédouaner Total. Total se voit reprocher d'avoir pris un risque pour honorer un contrat de livraison dans les délais. La compagnie nie et estime qu'il n'était pas dans son rôle de contrôler l'état du navire, ni de le piloter. Ses avocats plaideront la relaxe. Des parties civiles et des médias ont par ailleurs affirmé que l'Erika transportait non seulement du fioul mais aussi des déchets toxiques, mais ce point ne ressort pas du dossier, des expertises non contestées du dossier parlant seulement de fioul. La compagnie Total souligne qu'elle a déjà payé des indemnités, directement et par l'intermédiaire du Fipol, un fonds d'indemnisation de l'industrie pétrolière.