Internet a révolutionné les schémas classiques des rencontres entre les deux sexes. Désormais, c'est aussi sur la Toile que les couples se forment. Pour le meilleur et pour le pire… “Se marier par Internet ? Wa lemssakh hada !”, répond une sexagénaire à sa petite-fille, qui s'extasiait en lui racontant comment ses amies ont trouvé leur deuxième moitié sur le Web. La vieille femme n'en revient pas. Il y a 40 ans, son mari est venu demander sa main… sans l'avoir jamais rencontrée. Aujourd'hui, c'est devant un écran, vulgaire boîte en plastique, que les jeunes se découvrent. Jusqu'à présent, aucune étude n'a traité du phénomène des mariages par Internet au Maroc. Pourtant, il a complètement révolutionné les canaux classiques. Entremetteuses traditionnelles, drague dans la rue, Roukn Taârouf (pages de rencontres dans les journaux)… les anciens espaces de rencontre sont aujourd'hui dépassés par l'évolution technologique, qui a imposé les rencontres virtuelles, où les internautes se “skypent” (en référence au logiciel de téléphonie gratuite sur Internet) pendant des heures, chattent par Webcam et s'envoient leurs podcasts respectifs. Un véritable marché qui a vu naître des sites de mariage payants, mais aussi des forums et autres salons de chat... Toute la planète communique, élargissant le spectre du choix du futur partenaire et d'autant les chances de tomber sur l'âme sœur. “Je suis agréablement surprise par le nombre et la qualité des profils des personnes inscrites sur notre site. Nous avons des cadres et même des directeurs à la recherche de Bent Nass ou Ould Nass, qu'ils n'ont pas réussi à rencontrer dans leurs vies de tous les jours, essentiellement à cause des contraintes professionnelles”, se félicite Nawal Berrada, qui vient de créer avec une amie Maroc-zawaj.com, une agence matrimoniale payante sur Internet. Pour autant, la toile n'offre pas de solution-miracle. Tous ceux qui ont franchi le pas s'accordent à dire que le Net n'est qu'un outil, un simple moyen de communication pour approcher la personne désirée. Passer à l'étape du mariage nécessite la rencontre du prétendant(e) “en chair et en os”. “La rencontre physique est obligatoire. Internet contient une dimension de rêve qui s'évapore inévitablement au contact de la réalité”, prévient Aboubakr Harakat, psychothérapeute et sexologue. Recherche active ou fruit du hasard ? “C'est notre rencontre dans la vraie vie qui a fait que nous nous sommes connus, aimés et mariés. Internet n'était qu'un carrefour où nous nous sommes croisés”, racontent Salah, 34 ans et Lamia, 26 ans. Le couple s'est découvert grâce au blogging, cette nouvelle tendance de la communication virtuelle, qui compte pas moins de 20 000 adeptes au Maroc. Salah a été séduit par ce qu'écrivait Lamia sur son blog littéraire, ses élans romantiques, sa finesse d'analyse... Sans trop hésiter, il l'a contactée par e-mail et a demandé à la voir. “Je voulais simplement connaître cette personne qui m'intriguait. Je n'avais absolument pas en tête l'idée d'une relation amoureuse”, assure-t-il. La rencontre ne s'est faite que quelques mois plus tard, sa correspondante ne voulant pas précipiter les choses. Tout a changé après la première entrevue : trois semaines plus tard, les deux tourtereaux décident de convoler en justes noces. La période de connaissance connaît généralement des échanges intensifs : 50 e-mails par jour entre Salah et Lamia, une connexion 24 heures sur 24, par messagerie instantanée et Webcam, pour Houda et Didier, un couple mixte actuellement en pleine procédure (fastidieuse) de mariage au Maroc. Les amoureux parlent de tout et de rien. Comme on a besoin de connaître encore plus la personne, on se “lâche” sur le clavier… avec généralement davantage de spontanéité : le contact par écran interposé, derrière la protection de l'anonymat et avec la possibilité de tout arrêter à n'importe quel moment, vient à bout de la plus farouche des timidités. “C'est finalement cette franchise qui nous a accrochés”, témoigne Jawad, qui a rencontré sa deuxième moitié Imane sur le réseau Mirc, l'ancêtre des sites de chat. C'était en 2000, au tout début de la connexion bas débit. À cette époque, une heure de connexion coûtait 20 DH. Jawad rencontre Imane par hasard, parce qu'elle a le même pseudo qu'une de ses interlocutrices habituelles sur le chat. “Au départ, notre discussion était tendue. Je croyais que j'avais affaire à l'une de mes connaissances et je lui avais tenu un discours osé. Elle m'a remis gentiment à ma place, expliquant qu'elle n'était pas la bonne personne”, se rappelle ce vieux combattant de la Toile, âgé de 40 ans. La sauce finit par prendre. Les deux internautes prennent l'habitude de chatter tous les soirs… durant six mois ! “J'étais devenu un Internet addict. À l'époque, la connexion était rudimentaire. Je flippais quand elle tombait en panne et partais chercher un cybercafé où je pouvais poursuivre la discussion”. Là aussi, les choses sérieuses ne commencent qu'après la rencontre physique. Un an plus tard, le mariage est célébré. Et Jawad a supprimé son profil sur Mirc. Une arme à double tranchant Mission accomplie ? Pas toujours. Internet, cet outil qui permet à deux êtres de se rencontrer, peut tout autant précipiter leur séparation. “Les filles disparaissent complètement de la Toile de peur d'être rattrapées par un passé pas toujours flatteur”, explique Abdelhak Bentaleb, spécialiste des NTI. Et de la même manière qu'il facilite des unions, Internet peut abriter des infidélités. Mohamed Ezzouak, webmaster du site Yabiladi.com, cite le cas d'une femme dont le mari, rencontré sur le Net, était revenu “à la chasse”, sous un autre pseudo. Car les rencontres via Internet sont loin d'être la panacée. Oussama, 22 ans, a répondu aux sollicitations d'une admiratrice de son blog, qui a insisté pour le voir. “Au départ, nous étions euphoriques. Mais au fil des jours, la relation s'est banalisée. C'était déprimant. Je me suis rendu compte que nous n'avions pas grand-chose en commun”. La jeune internaute n'était finalement qu'une sorte de groupie, atteinte du syndrome du “coup de foudre virtuel”. Une catégorie de personnes constituant une cible facile pour les prédateurs de la Toile. Les cas les plus courants concernent la filière des pays du Golfe, qui recrute énormément parmi les Marocaines sur des sites européens (amour.fr, meexup.com, hi5.com…). L'envie de quitter le pays tourne à l'obsession chez plusieurs filles qui s'inscrivent en masse sur ces sites, espérant dénicher l'oiseau rare. Quitte à prendre le risque, fréquent, de se faire piéger. Anaruz, le réseau associatif de lutte contre le tourisme sexuel, rapporte le cas d'une lycéenne arrêtée en flagrant délit avec un Saoudien qu'elle a rencontré sur le Net et qui lui aurait promis le mariage. “Quand les flics ont fait irruption, la fille était toute nue, mais encore vierge. Le Saoudien a nié avoir parlé de mariage. Il a été expulsé. Quant à la fille, elle est en cours de jugement pour prostitution”, témoigne Abderrahmane El Yazidi, secrétaire général du réseau. Les Casanova du web En somme, et comme le précise Aziz Harcha, webmaster du site lamarocaine.com, “Comme dans le monde réel, on trouve de tout. Des gens sérieux qui veulent vraiment fonder une famille, mais aussi ceux ou celles qui cherchent une aventure ou une occasion pour quitter le pays”. C'est le cas de Hamza que ses amis internautes mettent au défi de “séduire une fille plus jeune que les femmes âgées qu'ils avaient entraînées dans leurs filets”. Le jeune Casablancais relève le défi et, au bout de plusieurs correspondances, arrive à amadouer une jeune Québécoise de 22 ans. Complètement obnubilée par ce Marocain “à la fois viril et tendre”, elle quitte son compagnon avec qui elle avait une petite fille, pour rejoindre son soupirant à Casablanca quelques mois plus tard… sans lui demander son avis. Mis devant le fait accompli, Hamza finit par l'épouser. Les choses se compliquent davantage lorsque la mariée repart au Canada et décide de faire venir sa fille au Maroc en toute illégalité. Voyant que l'histoire prenait une tournure franchement dangereuse, Hamza fait tout pour faire fuir sa dulcinée cybernétique. Il parvient à divorcer après une série de rebondissements dignes d'un feuilleton mexicain. Ses challengers du Net ne se sont pas mieux débrouillés. Surtout Rachid, 25 ans, qui voulait se marier avec une Canadienne pour décrocher un visa pour l'eldorado québécois. Sa prétendante, âgée de 57 ans mais qui avait, apparemment, toute sa tête, l'a abandonné après l'avoir utilisé… comme guide pour ses voyages touristiques au Maroc. Envolée, la “belle promise”. Et surtout le visa qui allait avec. Couples mixtes. Le coup de pouce du Net Les couples mixtes qui se sont constitués grâce à Internet recèlent quelques histoires de succès, notamment ceux qui ont choisi de s'installer au Maroc. “C'est une infime minorité”, selon Abdelhak Bentaleb. “Dans ces cas, les filles sont instruites et ont un certain statut social. Partir en Europe ou ailleurs ne leur dit absolument rien”, argumente-t-il. Houda et Didier se sont rencontrés par hasard sur deux sites différents de chat, qui s'échangeaient visiblement les bases de données. Elle est chargée de mission dans une ONG à Casablanca. Il est directeur d'un cabinet de formation à Bordeaux. “Je l'ai taquinée dès le premier jour en lui proposant le mariage. Cela l'a plus amusée qu'autre chose. Nous avons continué notre conversation le plus normalement du monde et en toute amitié”, se rappelle Didier. À l'époque, il était “mal dans sa peau et voulait changer de vie”. Didier débarque au Maroc et décide de s'y installer. Une nouvelle histoire d'amour vient de commencer grâce à la Toile. Sites islamiques. La razzia marocaine “Salam Alaikoum, j'ai 45 ans et je cherche un homme qui craint Dieu et fait sa prière. J'ai besoin d'avoir 1 ou 2 enfants, plus s'il le désire. Je l'accepte s'il a des enfants. Je ne demande qu'à vivre dans la paix et la tranquillité”. Voilà à quoi ressemble la grande majorité des annonces déposées sur les sites Internet islamiques consacrés au mariage. Caricatural ? Pas vraiment. Voulant se marier coûte que coûte, de nombreuses Marocaines jettent leur dévolu sur la Toile. Sur zawaj.com, elles sont les premières en nombre dans le monde arabe (près de 500), loin devant leurs “rivales” égyptiennes, qui ne sont que 213. La tendance s'inverse chez les hommes, puisque les Egyptiens arrivent en tête (579 inscrits), suivis des Emiratis et des Saoudiens. Les Marocains arrivent en quatrième position avec 365 inscrits. Les tranches d'âge sont également intéressantes à étudier. Sur le site indexnikah.com, plus de la moitié des Marocaines inscrites ont entre 30 et 40 ans, période charnière dans la vie d'une femme célibataire. Inversement, les candidats masculins sont plus jeunes, 62% des inscrits ayant entre 20 et 30 ans. Reste à savoir si, entre ces centaines d'annonces, ne se glissent pas de simples sollicitations de rencontres coquines...