En annonçant aux Américains son intention d'envoyer 21.500 soldats en renfort en Irak, le George W. Bush a laissé sceptiques nombre d'Irakiens et ses adversaires démocrates majoritaires au Congrès. "Reculer maintenant provoquerait l'effondrement du gouvernement irakien, disloquerait le pays et susciterait des massacres à une échelle inimaginable", a dit le chef de la Maison blanche mercredi dans une allocution, défiant ainsi ceux qui lui demandent d'amorcer un retrait militaire progressif. Au moment où est contestée l'idée de renforcer les effectifs après la perte de plus de 3.000 soldats américains en Irak, Bush a sommé le gouvernement irakien de soumettre les activistes de tous bords sous peine de ne plus recevoir son appui - ce que des analystes interprètent comme un "transfert de responsabilité" préventif pour le cas où aucun retour à l'ordre n'aurait lieu. "L'engagement de l'Amérique n'est pas illimité", a dit Bush à l'adresse du Premier ministre irakien Nouri al Maliki. "L'année à venir va demander davantage de patience, de sacrifices et de détermination." "Si le gouvernement irakien ne tient pas ses promesses, il perdra le soutien de la population américaine", a-t-il ajouté tout en reconnaissant ses erreurs passées, dont celle de ne pas avoir déployé plus tôt des effectifs militaires plus importants. Maliki s'est engagé à prendre en main une nouvelle opération de sécurité à Bagdad, en prenant soin de noter qu'elle ne viserait pas seulement les insurgés de la minorité sunnite à laquelle appartenait Saddam Hussein, mais aussi les miliciens de sa propre confession, la majorité chiite. Washington et les sunnites accusent l'Iran de soutenir les activistes chiites. LE GOUVERNEMENT MALIKI SOUS PRESSION La secrétaire d'Etat Condoleezza Rice a déclaré jeudi que Washington donnerait un "moment de répit" au gouvernement Maliki, mais en soulignant aussi qu'il devrait produire de meilleurs résultats en matière de sécurité qu'au cours de ses sept premiers mois d'existence. "Ils ne s'en sont pas bien tirés précédemment (...) Il faut qu'ils s'organisent correctement et ils s'y emploient", a dit Rice, qui part vendredi pour le Moyen-Orient. Elle a dit qu'elle se rendrait bientôt à Bagdad pour examiner les progrès réalisés. Pour les collaborateurs de Maliki estiment, la "nouvelle stratégie" de Bush se limite à un réglage limité. Mais d'après le secrétaire américain à la Défense Robert Gates, Maliki s'est engagé à faire en sorte que les responsables politiques ne protègent plus les activistes de leurs factions respectives: "Si nous voyons qu'ils se laissent aller, nous veillerons à y remédier." Les journaux américains sont divisés, le Wall Street Journal misant sur un "cercle vertueux" en matière de sécurité alors que le New York Times prédit "un désastre encore plus grand". En Irak, les réactions au dernier plan de sécurité pour Bagdad mettent en évidence les clivages confessionnels en Irak, les sunnites exprimant quelques espoirs et les chiites un ressentiment de plus en plus net face à la présence américaine. Le porte-parole de Maliki, Ali al Dabbagh, a réaffirmé jeudi que Bagdad jouait pleinement son rôle en prévision du nouveau plan de sécurité et que "les milices (...) extérieures au gouvernement seront considérées comme illégales". Il n'a pas précisé quand le plan serait mis en application. Bush a de nouveau dénoncé le rôle de la Syrie et de l'Iran chiite en Irak, et des soldats américains ont effectué jeudi une perquisition au consulat d'Iran à Arbil, dans le Nord irakien, interpellant cinq personnes. DEMOCRATES MECONTENTS MAIS SANS GRAND RECOURS A Sadr City, immense bidonville de Bagdad et bastion de la milice chiite de l'imam Moktada Sadr, des habitants ont fait état de raids nocturnes des forces américaines et irakiennes contre des activistes. Robert Gates a dit que Sadr City ne serait pas épargné par les nouvelles mesures de sécurité. L'envoi de renforts militaires en Irak - 17.500 soldats à Bagdad et 4.000 pour la province d'Anbar - a été dénoncé par les Démocrates, qui y voient une escalade du conflit. Bush n'a pas fixé de date-butoir pour le déploiement de ces troupes. Les démocrates, qui contrôlent désormais le Congrès, ont promis d'examiner attentivement le plan de Bush mais ont peu de chances d'en empêcher l'application - le président, commandant en chef des armées, ayant le dernier mot en matière militaire. Joseph Biden, président de la commission des Affaires étrangères du Sénat et candidat à l'investiture démocrate pour la présidentielle de 2008, a présenté la nouvelle stratégie de Bush comme une "erreur tragique". "Nous sommes dans un trou en Irak et le président dit que pour en sortir il faut creuser plus profond encore. Cela a-t-il un sens ? Quand on est dans un trou, la solution consiste-t-elle à creuser encore ?", a demandé Barbara Mikulski, sénatrice démocrate du Maryland. Bush a reconnu que sa nouvelle stratégie "ne mettrait pas immédiatement fin aux attentats suicides" et autres violences. Il a justifié les renforts par la nécessité d'une présence plus forte dans les secteurs d'où les insurgés ont été chassés. Si le gouvernement irakien s'effondre, Washington devra prolonger sa présence, a-t-il ajouté en affirmant la nécessité d'aider les Irakiens à briser le cycle des violences en vue de réduire le délai de rapatriement des soldats américains. Pour Mohammad Bachar al Fhaidi, dignitaire sunnite irakien, "Bush est prisonnier de ses rêves (et) ignore la réalité politique de l'Irak". Mais les habitants sunnites de Bagdad, qui était le centre de la résistance à l'invasion américaine en 2003, comptent aujourd'hui sur les Américains pour les protéger d'une domination croissante de la majorité chiite. "S'ils se retirent, ce ne sera pas bon pour l'Irak", déclare ainsi Abou Ahmed, 60 ans, en pleine heure de pointe dans la capitale irakienne.