· Une enquête contestée sur les «jeunes leaders marocains» · Beaucoup de lacunes dans la méthode Le regard d'un jeune «leader» diffère de celui d'un «simple» jeune. Ceci est un nouveau critère de catégorisation suggéré par «Le Maroc des jeunes», livre récemment publié mais qui ne tardera pas à faire du bruit. Ses auteurs, deux universitaires: Noureddine Affaya, également membre de la HACA (Haute autorité de la communication et de l'audiovisuel) et Driss Guerraoui, conseiller auprès du Premier ministre, y présentent la perception des jeunes du Maroc actuel et de son avenir. Ils se basent dans cela sur les résultats d'une enquête qui présente de flagrantes lacunes dans la méthode. On s'attend à une polémique sévère. Selon le livre, l'étude a ciblé une centaine de jeunes, membres de la délégation marocaine présente au sommet panafricain des jeunes leaders, tenu à Ifrane en août dernier. On y précise que ces jeunes, âgés entre 18 et 35 ans, ont été sélectionnés pour leur «distinction dans différents secteurs de formation et d'action». Leur choix a été également conditionné par le respect de la parité sexuelle, de l'équilibre rural-urbain et de la représentativité géographique. Quelques pages plus loin, on apprend pourtant que le plus jeune enquêté est âgé de 16 ans, le moins jeune, de 43 ans, mais également que 74% de l'échantillon est de sexe masculin…Contradiction donc. Selon le livre, l'enquête a été réalisée sur la base d'un échantillon de 100 jeunes. Vérification faite, la délégation marocaine présente au sommet est formée de 2 représentants officiels et 40 délégués observateurs seulement. Ces derniers, dont plusieurs ont été contactés par l'Economiste, «tombent des nues» à l'évocation d'une enquête à laquelle ils auraient répondu. Certains déclarent, toutefois, avoir rempli des questionnaires qui leur ont été distribués sans en connaître l'objectif. Le livre, lui, ne fait rien pour rassurer sur sa crédibilité. Les détails techniques de l'enquête ne sont pas publiés, aucune information n'est donnée sur les enquêteurs et le questionnaire soumis est également gardé secret. En termes de contenu, «Le Maroc des jeunes» laisse le lecteur sur sa faim. Ce n'est qu'à partir de la 2e partie que les auteurs se décident à parler des «jeunes». Dans toute la première partie, d'ailleurs démesurément développée par rapport à l'énoncé du livre, il n'est question que de l'évolution historique de l'espace politique au Maroc, ses mécanismes et fonctionnement, de la légitimité religieuse et modernité, d'urbanité et ses enjeux sociaux… Néanmoins, les résultats présentés par l'enquête ne dévoilent pas de nouvelles tendances chez la jeunesse, mais s'alignent sur les constats d'autres études notamment l'enquête sur les jeunes de L'Economiste. Ils dressent ainsi l'image d'une jeunesse qui a perdu toute confiance en ses partis politiques mais qui affiche un grand attachement aux valeurs sociales, à la famille… L'idée d'une enquête sur des «jeunes leaders» était très attirante. Il s'agissait de deviner les futures orientations et choix politiques et sociaux du Maroc via des tendances constatées chez «les décideurs de demain». Restait à définir les caractéristiques d'un jeune leader. Une notion difficile à déterminer sauf dans des cas évidents. Etre à la tête d'une entité qui prouve son leadership par des statistiques ou par une influence mesurée sur la société par exemple. Dans le cas de l'enquête présentée dans le «Maroc des jeunes», les critères fixés restent tout aussi vagues: «être leader dans le secteur», «être reconnu par ses pairs»… · Leader Les conditions plus objectives, c'est-à-dire la réalisation de projets d'action au profit de la communauté ou la maîtrise des langues française et anglaise, n'ont pas été remplies par la majorité des participants. Au sommet d'Ifrane, moins d'une vingtaine de projets ont été présentés et seulement 2 parmi eux avaient déjà été entamés. Aujourd'hui, on ne sait rien des autres. Il aurait ainsi été plus pertinent de s'attarder sur cette situation inquiétante: la commission nationale chargée de la sélection (formé de représentants des différents départements ministériels) a eu du mal à trouver 40 «jeunes leaders» dans les secteurs politique, social et culturel à travers tout le pays. Cela confirme les tendances constatées par l'enquête de l'Economiste qui avait fait état d'une grande indifférence des jeunes vis-à-vis de ces champs d'actions. Une grande partie avait même déclaré être plus concernée par la politique étrangère que national.