Le pont de la grande artère Hadi Nasrallah, dans la banlieue sud de Beyrouth, s'est effondré sous les bombes israéliennes dès les premiers jours du conflit. Cette rue porte le nom de l'un des quatre fils de cheikh Sayyed Hassan Nasrallah, mort à 18 ans en combattant l'armée israélienne –qui occupait alors le sud du pays. A la différence du Premier ministre libanais, Fouad Siniora, qui a pleuré à la télévision sur la tragédie du Liban, le secrétaire général du Hezbollah n'a jamais versé une larme, même en apprenant la disparition de son fils. Au contraire, aux visiteurs venus lui présenter leurs condoléances, il avait alors répondu: «Mon fils a eu cette chance extraordinaire de mourir en martyr. Si sur le plan personnel je souffre, sur le plan national, je suis heureux». Hassan Nasrallah n'est pas un homme susceptible de flancher. Ni les bombes israéliennes, qui se sont abattues pendant la guerre sur chaque endroit où il pouvait se cacher, ni les terribles épreuves imposées à la communauté chiite par l'attaque israélienne ne l'ont jamais empêché de sourire lorsqu'il s'exprime à la télévision. Cette placidité devant la mort, loin de les indigner, contribue à galvaniser ses partisans, d'autant que l'homme a aussi le sens de la mise en scène. Le 18 juillet, lorsque les missiles de son parti ont frappé de plein fouet une frégate israélienne, c'est lui qui, terminant alors un discours, a annoncé l'événement quasiment en temps réel sur la chaîne Al-Manar. Les Libanais n'en sont pas encore revenus et ses adorateurs y ont vu l'acte d'un démiurge. A 46 ans, le Khomeiny libanais est d'abord un chef de guerre. C'est lui qui a transformé une milice armée en une véritable armée, certes peu nombreuse –entre 6.000 et 8.000 hommes– mais capable de prouesses militaires que lui envie tout le monde arabe. C'est ensuite un chef politique qui a fait du Hezbollah un véritable parti, avec une large base sociale, imposant deux ministres à l'actuel gouvernement après son triomphe aux élections du printemps 2005. C'est enfin un leader religieux, dont le rang subalterne est en partie transcendé par sa qualité de sayyed (descendant présumé de Mahomet, une plus-value chez les chiites) et, surtout, ses dons de tribun qui saisissent la foule lorsqu'il prêche le vendredi à la mosquée de Haret Hreik, le cœur des faubourgs chiites de Beyrouth. L'homme pondéré, calme se transforme alors en un oracle porteur de foudre. Mais plus encore, il est devenu le saint guerrier de la communauté chiite qui le vénère comme aucun de ses précesseurs à la tête du parti. Issu d'un milieu modeste, il fait des études à Nadjaf, en Irak, et peut-être aussi à Qom, en Iran. Puis, il il rejoint le mouvement Amal, une organisation clientéliste pro-syrienne, qui fédère alors les chiites libanais. A l'occasion d'un voyage en Iran, il semble avoir été approché par les services secrets iraniens qui remarquent sa personnalité exceptionnelle et le convainquent de participer à la fondation du Hezbollah, une émanation des gardiens de la révolution, qui doit servir de tête de pont à Téhéran dans la région. Il en devient l'un des responsables militaires. Puis, à la mort d'Abbas Moussaoui, assassiné en 1992 avec sa femme et son fils par les Israéliens, il prend la tête du parti. Même si elle a l'aval de ses pairs, sa nomination a été décidée à Téhéran par le Guide de la révolution, Ali Khamenei, auquel il doit, sur un plan religieux, allégeance. Elle a reçu l'approbation d'un autre parrain, le Syrien Hafez el-Assad. C'est alors que le Hezbollah prend son envol, supplantant Amal chez les chiites, devenant un parti de masse et un pilier de la politique libanaise. Il crée ce qu'on appelle «l'Etat hezbollah». Sur le plan militaire, les victoires se succèdent, dont la principale est le retrait israélien du Liban-Sud après près de 30 ans d'occupation, obtenu de surcroît contre la volonté de son parrain syrien, Damas souhaitant qu'il y poursuivre sa confrontation avec l'Etat hébreu. C'est à cette époque que Nasrallah dévoile une facette inconnue de sa personnalité: le pragmatisme. Alors que les chrétiens du sud, qui ont collaboré avec l'occupant israélien, s'attendent à des représailles, il s'oppose à tout à règlement de compte. Il dédie même sa victoire à tous les Libanais, montrant ainsi sa dimension de leader national. En 2005, il fera même une étrange alliance avec le général chrétien Michel Aoun, témoignant de sa capacité à dialoguer avec un homme qui défend des idées laïques. Mais dans le jeu compliqué libanais, il reste l'agent d'influence de Damas et Téhéran et se doit de défendre leurs intérêts. Lors de la «révolution du Cèdre», qui a chassé les Syriens du Liban, il s'affiche à leurs côtés. Sur la question du nucléaire iranien, il est aux ordres du régime des ayatollahs, ce qui explique le kidnapping des deux soldats israéliens alors que, quelques semaines plus tôt, il avait promis au gouvernement libanais un été calme. Ambitieux, le leader chiite aspire à une dimension qui dépasse celle de sa communauté et même du Liban. Si dans son premier discours apès l'attaque israélienne, il se dit défenseur «des enfants de Mohammed, Ali, Hassan et Hussein», c'est-à-dire les quatre principales références religieuses des chiites, il rectifie le tir dans le second en se réclamant de l'Ouma, c'est-à-dire de tous les musulmans. Aujourd'hui, il apparaît comme le vainqueur dans le conflit de juillet-août, sous réserve d'un inventaire des pertes des combattants du Hezbollah. Mais nombre de Libanais, notamment chrétiens, Druzes et sunnites, aimeraient qu'il rende des comptes pour sa responsabilité dans la destruction du Liban.