Un dignitaire turc qualifie de «haineuses» et «hostiles» les paroles de Benoît XVI. Le Vatican explique que le Pape respecte l'Islam mais rejette «les motivations religieuses de la violence». LE SAINT-SIÈGE s'était toujours refusé de parler de «choc des civilisations». Sans reprendre formellement à son compte cette analyse, Benoît XVI a engagé le débat avec l'islam. L'affrontement, pourrait-on tout aussi bien écrire, au vu des réactions que suscitent les propos du Pape dans le monde musulman. «Pour la doctrine musulmane, a notamment déclaré Benoît XVI lors de son voyage en Bavière, Dieu est absolument transcendant ; sa volonté n'est liée à aucune de nos catégories, pas même celle de la raison.» Et d'en venir à une condamnation de «la Djihad» et des «conversions passant par la violence». C'est dans le grand amphithéâtre de l'université de Ratis-bonne que, pour la première fois, mardi, un pape vient donc d'aborder de front, à travers une réflexion théologique, la violence et le fanatisme au sein de la religion islamique. Un message avant tout adressé à l'Occident pour le mettre en garde contre la religion musulmane qui n'est pas, comme le christianisme, nourri par la «raison» héritée de la philosophie grecque. Personne, même en ce cinquième anniversaire des attentats du 11 septembre 2001, ne s'attendait à ce qu'un pape marque aussi profondément la différence entre la chrétienté et l'Islam à travers un discours ardu, qui a dérangé et effrayé. Mais Benoît XVI avait semble-t-il souhaité renouer avec l'intransigeance du cardinal Joseph Ratzinger. Il n'y a qu'une vérité, celle de l'Église catholique. «Prolongement des croisades» Les musulmans en sont restés abasourdis. Alors que le Pape regagnait Rome, hier, les réactions violentes se sont multipliées. Un responsable musulman italien a ainsi demandé au Pape de retirer ses propos et un membre du Conseil central des musulmans d'Allemagne a estimé que l'Église était «mal placée» pour critiquer après s'être «laissée récupérer par le régime nazi». En France, le représentant du culte musulman a demandé une «clarification». Le porte-parole du ministère des Affaires étrangères pakistanais, Tasmin Aslam, a pour sa part déclaré que les paroles de Benoît XVI «reflètent une ignorance de l'Islam» et a qualifié les propos du Pape «d'irresponsables». À la veille de la journée de prière du vendredi, les islamistes radicaux n'ont pas manqué d'élever la voix. Le guide spirituel des Frères musulmans en Egypte, a appelé le pape à s'excuser. Le secrétaire général du parti intégriste islamique Umma, au Koweit, Hakem al-Mutari, a demandé «des excuses immédiates» , accusant Benoît XVI de «calomnies contre le prophète et l'islam». Il a surtout estimé que ces déclarations avaient un lien avec «ces prolongements de croisades, ces nouvelles guerres occidentales en cours dans le monde musulman», en Irak, en Afghanistan et au Liban. Benoît XVI n'a peut-être pas à se soucier du politiquement correct, mais il a mis le feu aux poudres et apparaît aux yeux des plus extrémistes comme le soutien à la politique manichéenne de George Bush. Le Pape avait déjà soulevé de fortes polémiques dans le monde juif lors de sa visite à Auschwitz en juin dernier. Quelques jours plus tard, il avait lui-même apporté publiquement quelques amendements à son texte. Cette fois-ci, il a plongé certains de ses collaborateurs dans l'embarras. Le nouveau directeur de la salle de presse du Saint-Siège, le père Federico Lombardi, a dû expliquer que le Pape respecte l'islam mais a «à coeur de rejeter les motivations religieuses de la violence». «Il n'était certainement pas dans l'intention du Saint Père de se livrer à une étude approfondie sur le Djihad et sur la pensée musulmane dans ce domaine et encore moins d'offenser la sensibilité des croyants musulmans», dit encore la déclaration officielle. «Le problème, c'est que la foi musulmane est prise en otage par les politiques», a renchéri le père Justo Balda Lacunza, recteur de l'Institut pontifical d'études arabes et islamiques. Le Pape laisse en tout cas à ses diplomates un champ de ruines quant au dialogue avec l'Islam. Aujourd'hui, son nouveau «premier ministre», le cardinal Tarcisio Bertone, prendra ses fonctions. Il devrait être épaulé au portefeuille des Affaires étrangères par un Français, Mgr Dominique Mamberti, actuel nonce au Soudan. Ils vont devoir user de tout leur talent pour préparer le voyage à haut risque que Benoît XVI compte effectuer en Turquie fin novembre. Si celui-ci n'est pas remis en cause... Ali Bardakoglu, directeur du département des affaires religieuses auprès du gouvernement turc a en effet vu dans la dissertation du Pape des paroles «haineuses et hostiles», qui sont «le reflet de son coeur». En Turquie, personne n'a oublié que le cardinal Ratzinger s'est toujours opposé à l'adhésion de ce pays à l'Union européenne et que le Vatican a pu voir dans les assassinats de prêtres catholiques sur ce territoire la marque d'un climat hostile à l'encontre de l'Occident.