La 63e Mostra de Venise s'est ouverte, mercredi 30 août au soir, par la projection du film événement de Brian De Palma, Le Dahlia noir, en course pour le Lion d'or que décernera le jury présidé par Catherine Deneuve. Ce film, qui sortira le 8 novembre, est inspiré d'un fait divers survenu à Los Angeles en 1947, et du roman culte qu'en a tiré James Ellroy. Rien d'étonnant à ce que l'auteur de Soeurs de sang et d'Obsession, l'homme qui faillit devenir chirurgien, le cinéaste du crime parfait, du trauma et de la fascination de l'écran ait été captivé par cette descente aux enfers. Le Dahlia noir est le surnom donné à une certaine Elisabeth Short, jeune fille rêvant d'une carrière hollywoodienne, que l'on découvrit le visage ouvert d'un coup de couteau, le corps dénudé, mutilé, couvert d'ecchymoses et de brûlures de cigarette, coupé en deux à la hauteur de la taille et totalement éviscéré. Cas légendaire, cet abominable assassinat suscita des centaines de confessions, désigna des myriades de suspects, engendra même l'enquête d'un homme, nommé Steve Hodel, qui prétendait que le coupable était son père. Selon Don Wolfe (dont l'enquête vient d'être publiée chez Albin Michel), c'est du côté du roi de la pègre Bugsy Siegel qu'il fallait chercher... Pour James Ellroy, cette affaire a servi d'exutoire au meurtre de sa propre mère : il a mêlé les deux événements "comme un shaker de Martini dans (son) cerveau", en a fait une histoire de martyre et de rédemption, une surenchère de scènes primitives avec père assassin et mère putain. Le film de De Palma campe deux policiers, anciens boxeurs, incorruptibles, formant un trio ambigu avec Kay, blonde torride (Scarlett Johansson), et qui se jurent de démasquer le bourreau psychopathe avec un idéalisme qui les fait basculer dans la transgression. Ces deux lascars dénommés Feu et Glace rencontrent des méchants de légende, explorent les arcanes glauques d'un monde cinématographique aux couleurs noir, blanc et sang, frôlent des pépées auxquelles il est conseillé de ne pas donner le bon Dieu sans confession, surtout la troublante Madeleine, sosie du Dahlia (Hillary Swank, Oscar pour son rôle de boxeuse dans Million Dollar Baby, de Clint Eastwood). Teintée de bistre, la traque fiévreuse des flics est somptueusement mise en scène. En particulier dans les scènes où l'arrivée dans un lieu suspect, annonciateur d'action spectaculaire, est magnifiée par des mouvements de caméra ensorcelants. C'est l'un des points où De Palma rejoint Ellroy, obsédé par le viol de l'intimité, jouissant de la pénétration par effraction (par la caméra) dans une maison où d'autres cachent leurs secrets. Fait rare : Ellroy adore le film. "Mon roman référence est devenu un film d'exception." Il s'identifie à De Palma comme il s'identifiait à son flic, Bleichert (Aaron Eckhart), qu'il voit comme un scénariste-réalisateur, "le voyeur qui observe le sexe avec sa caméra. Bleichert, c'est moi, Bleichert est De Palma. Bleichert me ressemble : il est porteur d'une flamme, il porte en lui une douleur qui le consume et il ne craint pas de se brûler". Côté De Palma, c'est dans la mythologie du film noir qu'il faut trouver ses références, du côté des fauves sexy et des trognes façon Scarface, des bagnoles années 1940 et des corbeaux vampires, de l'expressionnisme allemand et de L'Homme qui rit, de Victor Hugo, le sourire grotesque taillé à la lame du couteau, du théâtre de l'abomination, du machiavélisme du dédoublement, de l'Amérique comme fiction, comme mensonge, comme obstination à démasquer l'abjection. DES FILMS ET QUELQUES STARS A l'image de ce Dahlia noir, le programme de Venise, qui a eu lieu jusqu'au 9 septembre, est alléchant. La Mostra décernera un Lion d'or d'honneur pour l'ensemble de sa carrière à David Lynch, qui présentera hors compétition Inland Empire : un nouveau film tourné dans le plus grand mystère et que Marco Müller, responsable du festival, annonce comme plus complexe encore que Mulholland Drive. Outre De Palma, des cinéastes les plus cotés à la Bourse de la cinéphilie mondiale se disputeront les prix du palmarès : Stephen Frears pour The Queen, une satire retraçant le divorce entre la reine d'Angleterre et son peuple pendant la semaine qui suivit le décès de Lady Di, et l'activisme d'un premier ministre fraîchement élu, Tony Blair ; Alain Resnais qui, après Smoking, no smoking, adapte à nouveau Alan Ayckbourne dans Coeurs, tranches de vie de six personnages qui tentent d'échapper à la solitude. Citons encore Johnny To pour Exiled, Tsaï Ming-liang pour I Don't Want to Sleep Alone, Paul Verhoeven pour Zwartboek, Apichatpong Weerasethakul pour Syndromes And a Century... Mais aussi Gianni Amelio et Emanuele Crialese pour l'Italie, Benoît Jacquot pour la France, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, un Russe, des Américains et des Asiatiques. Quelques stars sont de la partie : Isabelle Huppert dans Nue propriété de Joaquim Lafosse, Sharon Stone et Demi Moore dans Bobby d'Emilio Estevez... Le menu des films hors compétition est aussi riche : l'ancêtre Manoel de Oliveira a signé avec Belle toujours, le film le plus "jeune" du festival, Oliver Stone présente World Trade Center sur les attentats terroristes du 11 septembre 2001 (Le Monde du 11 août), Spike Lee retrace la tragédie du cyclone Katrina dans le documentaire A Requiem in Four Acts, Kenneth Branagh une Flûte magique inspirée de Mozart, tandis que s'annoncent Jackie Chan, Nicolas Cage, Juliette Binoche, Zhang Ziyi et Meryl Streep entre quelques révélations.