Denise Helly est professeure titulaire à l'Institut National de Recherche Scientifique (INRS), à Montréal, spécialiste de l'immigration et de l'intégration au Canada. En août 2005, elle s'interrogeait sur l'exportabilité du modèle migratoire canadien vers la France, dans un article (ici). 7 ans plus tard, ses conclusions restent les mêmes : la France ne peut pas accueillir le modèle sélectif et ouvert d'immigration qui caractérise le Canada. Le modèle canadien d'immigration, basé sur une politique active et sélective, est-il importable en France ? Je ne pense pas le modèle migratoire canadien soit exportable vers la France. Chaque pays a son histoire et son économie qui rendent difficilement exportable un modèle d'un pays à un autre. Le Canada est historiquement un pays d'immigration où les élites ont toujours tenu compte de cet afflux de main d'œuvre. Au Canada le patronat constitue un lobby majeur en faveur de l'immigration de travail qui n'existe pas en France. Au Canada la politique d'immigration fait l'objet de débats publics larges où se mêlent patronat, politiciens, associations, syndicats, universitaires. En France, l'immigration ne fait pas l'objet de débats publics. Les fonctions réelles qu'elle peut avoir sont occultées. Pourquoi la France est elle aussi réfractaire à l'immigration ? Au Canada, le cœur de la nation c'est sa constitution, on peut parler de «patriotisme constitutionnel». En France, l'identité du pays est fondée sur la culture, il existe une forme de «nationalisme culturel» qui, par essence, a du mal à évoluer et intégrer «l'étranger». Au niveau politique, la France a l'armature juridique nécessaire pour accueillir l'immigration, mais, dans ce contexte, l'élite de droite joue la carte de la France chrétienne et l'élite de gauche celle de la République où l'on considère la religion comme un archaïsme par opposition à la laïcité. Pourtant une immigration régulée à la façon canadienne, pour la France, pourrait-être utile ? Au Canada, l'immigration a une fonction économique par l'apport de main d'œuvre qu'elle assure, la pression à la baisse qu'elle fait peser sur les salaires et le rôle, certes faible, qu'elle joue dans les 2% de croissance que connait encore le Canada à l'heure actuelle. La fonction économique de l'immigration est également réelle en France, mais elle est complètement ignorée par le discours officiel. Il existe une main d'œuvre illégale et corvéable sans jamais dire qu'elle appartient réellement au marché du travail. Pourtant, le nombre d'illégaux participe à la stabilité du marché du travail. La deuxième fonction de l'immigration au Canada est démographique. Cette fonction de peuplement remonte loin dans l'histoire du pays et, aujourd'hui, elle permet, dans une certaine mesure, de pallier le vieillissement de la population. La France - c'est une particularité en Europe - n'a pas de problème de fertilité. Le nombre d'enfants par femme y est plus élevé qu'au Canada. La France ne peut-elle donc rien retirer du modèle canadien ? Ce qui est exportable ce sont les «bonnes pratiques» liées à la politique d'immigration et d'intégration des immigrés au Canada. La France pourrait importer le débat sur la discrimination systémique [qui veut que les discriminations soient issues d'un ensemble de présupposés et d'a priori qui forment un système où les discriminations se combinent et se renforcent sans que l'on puisse distinguer un responsable unique, ndlr]. Les politiques de lutte contre La discrimination pourraient aussi être pratiquées en France, comme c'est le cas, par exemple, à Science Po Paris, mais il y a une résistance des élites qui veulent maintenir en l'état leurs castes professionnelles et politiques et leur discours soi-disant républicain universaliste.