Particuliers et entreprises font partis des dizaines de milliers de victimes du Mahkama gate à la chambre commerciale près le Tribunal de première instance de Casablanca. Le système d'abattage n'a pas épargné non plus les petites associations. Organisme de bienfaisance, club sportif ou ONG pour l'accompagnement des enfants en déficit et des jeunes, le rouleau compresseur écrase tout sur son passage. Le début de l'année 2020 n'aura accordé aucun répis aux particuliers et entreprises visées par des procédures de recouvrement par la poignée d'avocats travaillant pour de grandes entreprises des secteurs financiers, assurances, télécommunications et électricité. Ce rouleau compresseur passant sur des particuliers et des entreprises n'a pas épargné non plus des ONG, actives dans le social et l'éducatif. Scandale au tribunal de Casablanca : Les avocats, les juges et les entreprises C'est ainsi que le 3 février dernier, 484 jugements favorables à Maroc Télécom ont été rendus, sur 996 dossiers traités à l'audience, présidée ce jour-là par la juge Ilham El Barhoumi à la chambre 5 du tribunal de première instance de Casablanca. Parmi eux, un vise l'association Second Chance, basée à Aïn Sebaâ et connue comme étant le projet-phare de l'Ecole de la deuxième chance. Contactée ce jeudi par Yabiladi, l'ONG n'était pas au courant avoir faire l'objet de poursuites, sur la base d'une plainte de Maroc Télécom, représentée par son avocat Jamal Radi : «Jamais un huissier de justice ne s'est présenté au local pour nous remettre un pli, une convocation ou même nous notifier de ce jugement, que nous venons d'apprendre à travers vous.» Des associations à but non-lucratif prises de court «Nous avions beaucoup de problèmes techniques avec Maroc Télécom concernant le bas débit de l'une de nos deux fibres optiques, dont le numéro de téléphone rattaché était au nom de Second Chance. L'opérateur nous a dit que notre ligne avait été coupée et nous avons donc décidé de résilier notre contrat», ajoute notre interlocuteur au sein de l'ONG. Cependant, cette résiliation ne semble pas avoir été prise en compte par l'opérateur de télécommunication qui a intenter un procès contre l'association. Elle devrait reçevoir dans les prochains jours la décision du tribunal alors même qu'elle n'a pas eu le droit à la défense. Un coup de massue judiciaire qui risque d'occuper une bonne partie de l'énergie de la direction de l'association au lieu de se focaliser sur ses actions de formation et de qualification des jeunes d'Aïn Sebaâ et des quartiers populaires alentours. Dans le quartier industriel de Casablanca, cette ONG devenue fondation œuvre en effet pour la création d'une banque de projets de développement locaux pour la formation des jeunes, tout en leur permettant de redémarrer après un décrochage scolaire, par le biais de formations. La même industrialisation des dossiers a rythmé l'audience du 10 février dernier. Ce jour-là, 447 dossiers de Maroc Télécom ont été jugés d'un coup, sur 480 traités par la même juge chargée des affaires commerciales. L'un d'eux oppose l'opérateur à l'association Oum El Ghait, active dans les quartiers populaires de Bernoussi et Sidi Moumen, quartier périphérique de Casablanca, d'où sont issus les kamikazes des attentats du 16 mai 2003. Contactée ce jeudi, la présidente de l'association, Amal Kadiri, a été choquée d'apprendre que son ONG a été jugée, assurant que cette dernière a bien un abonnement à Maroc Télécom mais sans jamais avoir été notifiée d'un problème. Ne croyant pas en la possibilité d'un jugement sans convocation et sans encore de notification sur la décision, elle est restée abasourdie. «J'espère que vous vous trompez de personne, mais je vais faire mon enquête», nous a-t-elle déclaré, insistant être irréprochable sur les factures d'abonnement. A Sidi Moumen, Oum El Ghait œuvre dans le domaine éducatif et social, notamment en formant des éducatrices pour le préscolaire. D'ailleurs, l'impact positif de l'ONG sur son tissu local est tel qu'elle a reçu le Prix Up International de l'initiative, en 2017. Créée en 2013, l'association a en effet fait ses preuves en rendant accessible l'enseignement préscolaire dans ces quartiers sensibles. En quelques années, elle a ainsi réussi à relever le défi, faisant de ce tissu local un espace d'épanouissement pour les enfants et non plus de radicalisation. En chiffres, l'association a pu généraliser le préscolaire à une quarantaine d'établissements publics dans les deux quartiers, pour une capacité d'accueil de 1 500 enfants entre 4 et 6 ans chacune. Par ailleurs, elle est l'auteur d'un projet pilote dans ce domaine, au centre Sidi Moumen de l'Initiative nationale pour le développement humain (INDH). Dans la continuité de la chaîne d'industrialisation, c'est Meditelecom défendue par Mustapha Jeddad qui obtient 163 jugements à la chaîne et en sa faveur, le 26 février sur décision du juge Aziz Arsaoui, record man du nombre de jugements. Parmi les dossiers ayant approuvé la requête de l'entreprise, une association sportive, Annajm Arriadi. Malgré nos recherches, nous n'avons pas pu localiser cette association. Les dons des Marocains détournés au profit d'une justice d'abattage A quelques jours d'intervalle entre le dépôt de plaintes et la première audience, AXA Assurance défendue par Me Mohamed Fekhar, obtient également des verdicts en sa faveur visant deux ONG. Il s'agit de l'Association marocaine de soutien aux enfants en difficulté de langage ainsi que de l'Association musulmane de bienfaisance de la commune rurale Lamzoudia, pourtant située dans la province de Chichaoua, région de Marrakech. Les associations citées n'ont pas pu constituer leur défense dans cette procédure judiciaire expéditive et industrialisée. Contactés vendredi dernier, les services contentieux des trois entreprises et leurs avocats n'ont pas répondu à nos appels ou n'ont pas souhaité commenter des affaires qui concernent la justice. Pourtant, les condamnations sans droit à la défense de petites associations mériteraient réponse. Ce déni de justice interpelle tout le monde et n'épargne personne. Les dons des Marocains sont ils destinés à alimenter un système illégal impliquant avocats, greffiers, huissiers, juges et responsables contentieux de grandes entreprises ? Depuis que l'enquête de Yabiladi a rendu public ce scandale, les associations assommées par ces décisions de justice pourront déclarer : «Le ruissellement de la sadaka de gens de coeur a été détourné par des grandes entreprises affichant un label RSE».