Depuis nos révélations sur l'industrialisation de la justice et la privatisation du tribunal de première instance de Casablanca, les principaux juges concernés ont considérablement revu à la baisse l'impressionante cadence des traitements de leurs dossiers en bloc. La désindustrialisation de la justice sera-t-elle définitive ? Simple coïcidence ou bien les juges chargés des affaires commerciales au tribunal de première instance de Casablanca ont réellement levé le pied ? Moins d'une semaine après notre enquête sur l'industrialisation de la justice et la privatisation de ce tribunal, où plusieurs milliers de dossiers de recouvrement sont jugés en bloc dès la première audience, à l'insu de nombre de particuliers, sociétés et associations prévenues ainsi que leur défense, les juges à l'origine de ces usages ont en effet considérablement ralenti leur cadence. Ainsi, le 9 mars, quatre jours après nos premières révélations, aucune audience soupçonnée d'être minée de ces usages n'a été enregistrée. En effet, trois salles parmi celles traitant les affaires commerciales a passé en revue une dizaine à une soixantaine de dossiers chacune. Le plus grand nombre d'affaires traitées n'a pas dépassé le bureau d'une juge, Karima Hamdoune. La plupart ont été reportés, renvoyés ou mentionnant un complèment nécessaire du dossier. Le juge Aziz Arsaoui a figuré en première place sur le podium de la productivité dans les dossiers de recouvrement depuis 2017 (période étudiée dans le cadre de notre enquête). En revanche, ce mercredi 11 mars, il en a traité «seulement» 155, dont 20 ont fait l'objet d'un jugement, soit une baisse considérable des jugements à la première audience. Un chiffre conséquent qui reste toutefois moins élevé que les 1 876 dossiers qu'il a traités le 13 novembre 2019 – son «record» cette année-là. Le 29 mai 2019, le juge Aziz Arsaoui avait enregistré le plus faible nombre de dossiers traités avec 438 dossiers ; 355 en 2018 ; 309 en 2017. Une cadence infernale qui ferait pâlir de honte les autres chambres du tribunal de Casablanca ou même les autres tribunaux du royaume. La désindustrialisation de la justice enclenchée ? De son côté, Amina Ridouane, deuxième sur le podium de la productivité dans les dossiers de recouvrement sur l'année 2019, n'a traité aucun dossier ce mois de mars. Depuis le début de l'année 2020, elle n'a traité «que» 469… mais en une seule journée, à savoir le 13 février. Enfin, la juge Ilham El Barhoumi, qui complète ce podium, a traité 2 317 dossiers entre janvier et mars 2020 : le 27 janvier, elle en a traité 841 ; contre 996 pour le 3 février et 480 pour le 10 février. Aucune audience cependant en mars. Ce système d'industrialisation de la justice mis en place au tribunal de Casablanca a permis à plusieurs sociétés de condamner leurs débiteurs en un temps record (8 jours après le dépôt du dossier au tribunal pour certains), alors que les autres avocats doivent patienter plusieurs mois, pour espérer boucler une affaire. Quand un tribunal est «privatisé», c'est toujours au détriment de la majorité, nous souffle bon nombres d'avocats contactés complètement désabusés par l'impunité des acteurs de ce système qui tournait en roue libre depuis de nombreuses années. La désindustrialisation de la justice que nous avons constatée cette semaine sera-t-elle définitive ? Difficile de se prononcer avant les résultats de l'inspection des autorités judiciaires. Pour rappel toutes ces irrégularités représentent une violation de plusieurs lois. D'abord, le principe du procès équitable, reconnu dans l'article 120 de la Constitution ; ensuite l'article 111 de la loi n° 31.08 édictant des mesures de protection du consommateur ; enfin l'article 39 du Code de procédure civile, qui précise les règles de convocation à l'audience, dont l'écrit signé par l'autorité ou l'agent et non pas par le clerc.