Le Maroc suspendu de toutes les compétitions internationales de rugby par Rugby Afrique ? Derrière la menace, d'obscures calculs politiques où les intérêts individuels écrasent l'intérêt sportif national. Un œil dans les vestiaires. Après les insultes en plein milieu de la mêlée, les fautes sifflés, les pénalités accordées, Rugby Afrique réclame de World Rugby la suspension de l'équipe du Maroc de toutes les compétitions internationales pour l'année 2020. Alors que la sélection nationale doit affronter la Côte d'Ivoire, le 3 juin prochain à Casablanca, dans le cadre des qualifications à la Coupe du monde de Rugby 2023 prévue France, cela signifierait ni plus ni moins une longue traversée du désert pour l'Ovalie marocaine. Cette menace n'est pas la première, tant les relations entre les fédérations africaine et marocaine se sont gravement détériorées ces dernières années. Après une relégation dans le groupe C en Afrique en 2012, le XV marocain a dû procéder à une longue et douloureuse reconstruction pour revenir au top, quatre ans après, en remportant tour à tour le «Africa Bronze Cup» en 2016, puis le «Africa Silver Cup» en 2017. Le Maroc en forme arrachera également le Tri-nations maghrébin en 2016 et 2017. Ce come-back tout en confiance dans le groupe A va inquiéter certaines nations en Afrique et signer le début des ennuis pour les Lions de l'Atlas. Le comité directeur de la FRMR en 2016, avant la mêlée fratricide / Ph. FRMR Au plus haut, commence la chute... Ces bons résultats de la nouvelle équipe aux commandes de la FRMR depuis 2015, n'ont pas été du goût de Abdelaziz Bougja, président de Rugby Afrique (2002-2019). Bien qu'il soit Marocain, il fera tout pour semer la division au sein de l'ovalie du Maroc. C'est ainsi qu'en plein phase ascendante du XV national, Aziz Bougja tentera de semer la discorde comme on peut le constater dans cette interview accordée à Libération en juin 2017. Contredit par l'insolent succès du Maroc de 2016 et 2017, il ne ménagera aucun effort pour diviser, à défaut de régner. Le rugby marocain a dès lors été pris en otage par deux personnes en conflit pour la succession à la tête de la fédération marocaine : Aziz Bougja à la tête de Rugby Afrique d'un côté, et Tahar Boujouala, président de la FRMR de l'autre. Effet de cette guerre de tranchée ouverte en 2017, le site internet officiel de la FRMR n'a pas été mis à jour depuis juillet 2017. Les résultats sportifs pâtiront de cette ambiance délétère. Les menaces d'exclusion des compétitions internationales se feront de plus en plus insistantes. En 2019, Aziz Bougja passera au cran supérieur, par l'intermédiaire de l'évaluateur des formations de Rugby Afrique, un autre Marocain. «Il a noté la formation au Maroc 17/100. C'est juste pas possible, une note parmi les plus basses du continent. C'est un règlement de compte abjecte !», dénonce un ancien membre de la FRMR. Guerre de frateries et d'égo L'objectif est simple : pousser le président de la FRMR vers la porte de sortie pour laisser la place à Abdennasser, un des frêres Bougja. Mais Tahar Boujouala fera de la résistance : «J'ai le budget, je vais jusqu'au bout du programme de l'année 2019 avec la Coupe du trône», aurait-il déclaré à certains membres de son bureau. Ce dernier n'est pas exempt de tout reproche. «Sa gestion laisse clairement à désirer», nous souffle un ancien membre de la fédé. En effet, son entêtement à résister aux attaques du camp Bougja et sa gouvernance chancelante vont plonger le rugby marocain dans une profonde crise qui a atteint son paroxysme ces trois derniers mois. Jouant sur le parcours en fin de course de Tahar Boujouala (après deux mandats de suite, les statuts ne lui permettaient plus de se représenter), Aziz Bougja et son frère réussiront à retourner 11 membres sur 15 démissionneront collectivement du bureau de la FRMR. Ils rallieront la candidature du frère Bougja à la présidence de la fédé pour l'élection prévue le 30 novembre 2019. Une élection annulée unilatèralement par Tahar Boujouala en infraction des statuts, il poussera la fuite en avant jusqu'à fermer le siège de la fédé. Contacté par Yabiladi, Tahar Boujouala se défend : «Ils disent que nous n'avons pas respecté l'ordre du jour du Congrès, mais personne ne peut venir s'immiscer dans les affaires propre à la Fédération nationale. C'est à nous de décider quand nous devons tenir notre Congrès pour poursuivre le développement de ce sport, au lieu de laisser les différends impacter le rugby national.» Tahar Boujouala et Aziz Bougja / Ph. Rugby Afrique Il faudra attendre début mars 2020 pour que l'assemblée générale ait enfin lieu, alors que Rugby Afrique avait donné comme ultimatum le 1er mars 2020. C'est Driss, le frère de Tahar Boujouala qui a réussi à rallier une majorité d'opposants à Bougja, à condition que Tahar quitte la présidence sans se représenter une troisième fois. Grâce à son capital confiance au sein de la famille du rugby de l'Oriental, son appartenance au Parti authenticité et modernité (PAM), le président de la chambre d'artisanat de l'Oriental vient de prendre la tête de la FRMR avec une nouvelle équipe pour constituer le bureau. Sur les 36 clubs, 27 ont répondu présent lors de cette assemblée générale de la dernière chance. «Nasser Bougja est censé défendre le Maroc» Le président sortant Tahar Boujouala, satisfait de cet épilogue, se veut désormais rassembleur : «Il faut que tout le monde participe au développement du rugby marocain. On ne rompt pas le contact avec la famille Bougja ; la porte est ouverte à tout le monde.» Le rugby national a ainsi été pris en otage par une bataille d'égo entre deux fratries. Mais pourquoi Rugby Afrique continue de menacer le Maroc alors que Aziz Bougja n'est plus président de la fédé continentale depuis septembre 2019 ? «C'est simple, il a dans un premier temps essayé de placer son frère à sa place mais il a très vite vu que cela ne passerait pas. Il a soutenu le Tunisien Khaled Babou qui a été élu à la présidence. Quant à lui, il est devenu président d'honneur», nous souffle cet ancien membre de la FRMR. C'est ainsi qu'en coulisse, Aziz Bougja continue la pression sur le Maroc, le menaçant d'être exclu de toutes les compétitions internationales. Deux inconnues demeurent. Quelle sera la réaction du Maroc à ces menaces de Rugby Afrique ? Quelle réponse va donner World Rugby ? Pour Tahar Boujouala, la fédération mondiale n'est pas concernée, sous entendant que le bras de fer se joue entre Rugby Afrique et la FRMR. «Je rappelle que Nasser Bougja, qui nous représente justement au sein de l'instance africaine, est censé défendre le Rugby national», glisse-t-il de manière sybilline. Preuve que le climat n'est pas si apaisé qu'il le prétend...