Les déclarations du chef de la diplomatie marocaine sur la question palestinienne en commission à la Chambre des conseillers ne passent pas. «Nous ne devrions pas être plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes», a lancé Nasser Bourita. Depuis, les réactions s'enchaînent. Les propos du chef de la diplomatie marocaine, Nasser Bourita, à la Chambre des conseillers sur la question palestinienne, ont déclenché une vague d'indignation qui n'est pas près de faiblir. Mardi dernier, le ministre a en effet déclaré devant les membres de la commission parlementaire des Affaires étrangères, de la défense nationale, des affaires islamiques et des Marocains résidant à l'étranger, que le Sahara restait «la première cause du Maroc et non la Palestine». Par la même occasion, le ministre des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l'étranger a lancé aux parlementaires qu'il ne fallait pas être «plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes», faisant référence à la signature des accords d'Oslo entre la Palestine et Israël en 1993. Nasser Bourita a répondu de la sorte aux remarques de certains députés, notamment ceux du PJD, qui l'ont interpelé en ouverture de la réunion sur la position marocaine mi-figue, mi-raisin quant au «Deal du siècle». Une position en porte-à-faux avec le discours royal S'en est alors suivie une vague de consternation que se partagent certains acteurs politiques avec les militants anti-normalisation avec Israël au Maroc, qui ont alerté sur le danger de «hiérarchiser des causes qui se rejoignent». D'autres encore ont choisi de réagir à ces propos en ressortant un extrait du discours royal du 17 janvier 2014 à Marrakech. En effet, le roi Mohammed VI y avait évoqué la priorité de la question palestinienne au Maroc par ces mots : «Depuis la dernière session du Comité [Al-Qods, ndlr], nous ne sommes pas restés les bras croisés, d'autant que la question d'Al-Qods est une responsabilité collective qui nous engage tous. Nous l'avons érigée en cause prioritaire, au même titre que notre première cause nationale [le Sahara, ndlr], et l'avons inscrite parmi les constantes de notre politique étrangère.» Discours royal du 17 janvier 2014 Des militants propalestiniens montent au créneau Réagissant à la polémique auprès de Yabiladi, l'ancien membre du bureau exécutif de l'Association marocaine de soutien à la lutte du peuple palestinien, Anis Balafrej, estime qu'il est impossible de «résoudre une cause par la trahison d'une cause». Selon lui, «donner blanc-seing à Netanyahu en Palestine revient à être d'accord sur un plan qui efface la Palestine du monde». Le militant alerte même qu'en agissant de la sorte, «la logique du fait accompli sioniste s'exercera dans le monde arabe et le Maroc y perdra sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire». «Dans le monde globalisé où nous vivons, il n'y a plus de hiérarchie entre les causes. La cause du Sahara impacte sur la cause palestinienne et inversement. Autrement dit, notre intégrité territoriale est une cause arabe et internationale, de même que la cause palestinienne.» Anis Balafrej De ce fait, le militant estime auprès de Yabiladi que «poser le problème en termes de priorité ne doit pas signifier l'abandon de la cause palestinienne pour rechercher la solution à la question du Sahara». Abondant dans le même sens, le Groupe d'action nationale pour la Palestine a choisi de réagir sur sa page Facebook. «Nous disons [à Nasser Bourita] honte à quiconque se tienne du côté des usurpateurs, des colonisateurs et de ceux qui soutiennent leurs crimes contre les Palestiniens et contre Al-Qods», a fustigé l'association. Pour sa part, le journaliste et écrivain Abdelaziz Gougas a estimé que «la question palestinienne est une question à dimension humaine qui affecte toutes les personnes dignes dans le monde». Et d'ajouter que «la tragédie des Palestiniens, leur extermination et leur exil est le crime le plus grave après ce qui est arrivé aux Indiens d'Amérique, ce qui implique que l'on soit effectivement plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes». Du côté des islamistes, les propos de Bourita ont tout autant fait réagir Al Adl Wal Ihsane. Au sein de l'association, Omar Iharchane s'est adressé au ministre, le questionnant sur «qui a demandé à ce qu'on ne soit pas plus palestiniens que les Palestiniens eux-mêmes». «Soyez simplement marocain comme tous les Marocains et méfiez-vous d'être sioniste plus que les sionistes eux-même», a-t-il encore lancé au chef de la diplomatie. Consternation plus timide des acteurs politiques Les réactions du côté des acteurs politiques sont restées plus discrètes, bien que ces derniers soient plus nombreux à appeler à rejoindre la marche nationale contre le «Deal du siècle», prévue le 9 février à Rabat. Toutefois, certains parmi eux ont choisi de répondre à Bourita via les réseaux sociaux. C'est le cas de Mohamed Hafid, vice-secrétaire général du Parti socialiste unifié (PSU). «Si Bourita recommande aux Marocains de ne pas être plus palestiniens que les Palestiniens, pourquoi leur roi se donne alors la peine de présider le Comité Al-Qods ?», s'est-il interrogé. Et d'enchaîner en se demandant «qu'est-ce qui a poussé Bourita à se mettre dans un engrenage dont il ne mesure pas le danger ?». Ancien militant de gauche, ex-détenu politique dans les années 1970 avant d'occuper le poste d'ambassadeur du Maroc au Chili pendant cinq ans, l'écrivain Abdelkader Chaoui a également réagi aux propos du chef de la diplomatie, exprimant sa colère de voir ce dernier tenir de tels propos. «Oui, nous devons être plus palestiniens que les Palestiniens, parce qu'Israël est un Etat colonisateur expansionniste et que le sionisme est une idéologie raciste et terroriste. Les Affaires étrangères marocaines font montre d'ignorance, de vide et d'inutilités politiques.» Abdelkader Chaoui Dans la foulée, des médias officiels ont tenté de venir à la rescousse de Nasser Bourita. Essayant de faire le pompier, ce jeudi, l'Agence marocaine de presse (MAP) a loué à maintes reprises les efforts de la diplomatie nationale pour la cause palestinienne. Encensant ainsi le cabinet Bourita, elle s'est même attelée à relayer les points de vue, notamment celui de l'ambassadeur du royaume au Liban, Mohamed Grine, pour qui le pays est un «rempart infranchissable devant les manœuvres visant son intégrité territoriale». Dans ce contexte, la marche nationale contre le «Deal du siècle» peut prendre une toute autre tournure. Annoncé initialement comme un signe de protestation contre les manœuvres américaines de l'administration Trump auprès du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour une «proposition de paix» qui ne satisfait pas la communauté internationale, ce rassemblement pourra être également une occasion pour ses participants de fustiger la position en biais de la diplomatie marocaine.