Et si les syndicalistes, les acteurs associatifs et les journalistes au Maroc étaient tenus de faire des déclarations de patrimoine, de la même manière que les responsables politiques publics ont cette obligation, conformément à la Constitution ? C'est ce qu'a laconiquement suggéré Mohamed Benabdelkader, ministre de la Justice. En plein débat sur l'enrichissement illicite et la lutte contre la corruption, le ministre de la Justice Mohamed Benabdelkader a plaidé pour une déclaration généralisée du patrimoine. Dans un tweet publié lundi matin, puis supprimé sans explications a posteriori, il a en effet proposé que la procédure soit valable pour les syndicalistes, les associations, mais aussi les journalistes. Une réaction qui intervient alors que nombre des concernés parmi les catégories citées évoluent dans le secteur privé et les professions libérales. Conformément à l'article 158 de la Constitution, la déclaration de patrimoine pour les élus est légitimée par la fonction des députés, payés par l'argent public et qui doivent donc transparence et reddition des comptes à l'Etat. D'ailleurs, ce point de vue du ministre fait tâche alors que les parlementaires s'expriment contre la pénalisation des fraudes financières des élus via l'enrichissement illicite. Dans ce sens, Mohamed Benabdelkader a fait cette sortie, puis s'est rétracté, au lendemain de la tenue d'une conférence nationale sur la question, sous les auspices de l'Association marocaine de protection des biens public (AMPB). La généralisation des déclarations de patrimoine, une dernière phase Président de l'Association marocaine de protection des biens public, Mohamed El Ghelloussi indique à Yabiladi qu'il voit en l'idée du ministre de la Justice «une tentative de noyer le poisson et d'extrapoler le débat parlementaire en cours pour le dévier de son essence, qui est la question des rapports entre pouvoir politique et argent». «Le ministre a tenu ces propos le lendemain de notre conférence sur la criminalisation de l'enrichissement illicite. Il a vu que le sujet commençait à être débattu alors que les citoyens se sensibilisent sur ces sujets. Il tente donc une réaction de sa part», explique celui qui est également avocat au barreau de Marrakech. Il analyse l'idée de Mohamed Benabdelkader ainsi : «Certains salariés ou patrons dans le secteur privé peuvent vivre au-dessus des moyens que leur permet leur salaire, ce qui met en doute l'origine de leur fortune et qui soupçonne la présence d'une corruption, selon la lecture du ministre. En d'autres termes, il sous-entend que les militants associatifs, les syndicalistes et les journalistes pourraient toucher des pots-de-vin et il leur dit en gros "si vous nous demandez des comptes, rendez les vôtres aussi".» Mohamed El Ghelloussi Me El Ghelloussi souligne, dans ce sens, que si certains pays recourent à la généralisation de la déclaration du patrimoine, c'est que leur arsenal juridique permet déjà une lutte contre la corruption dans les différents secteurs économiques nationaux, ce qui n'est pas réellement le cas au Maroc. Selon lui, «il y a deux choses dont il faut tenir compte, sur ce point-là. Dans certains pays, il existe une obligation de déclaration généralisée à plusieurs secteurs, y compris ceux du privé, car l'enrichissement illicite y est possible». «Or, avant de généraliser cette mesure, ces pays-là ont légiféré contre cet enrichissement illicite ainsi que la corruption, dans le public comme dans le privé», souligne-t-il Une fuite en avant de la part du gouvernement Depuis la semaine dernière, l'examen du projet de loi 16.10 agite la Chambre des représentants, où les députés de la coalition gouvernementale et ceux de l'opposition ne s'accordent pas sur les principes du texte, relatif à la criminalisation de l'enrichissement illicite. Mais pour le militant, «la position gouvernementale sur la non-inclusion des peines de prison dans cette loi est un défaut d'engagement de l'exécutif lui-même, par rapport à la Stratégie nationale de lutte contre la corruption (SNLCC) qui inclut la criminalisation de l'enrichissement illicite, de même que la Convention de l'ONU de lutte contre la corruption, signée par le Maroc en 2003 et ratifiée en 2007». «A chaque fois qu'un dossier ou une avancée est en cours dans ce sens, la partie la plus lésée par le fait d'avoir plus de transparence crie aux règlements de comptes», considère l'avocat en mettant en garde encore une fois sur «les digressions» faites en citant l'enrichissement des travailleurs dans le secteur privé. «C'est un langage qui n'est pas nouveau et surtout au niveau des partis politiques, dont certains élus ont effectivement se sont enrichis illicitement et qui bénéficient de couverture au nom de "ne pas tomber dans les règlements de compte"», conclut-il.