Professeur d'économie spécialisé dans les questions éducatives, Azeddine Akesbi commente pour Yabiladi les récentes initiatives du ministère de tutelle pour la généralisation du préscolaire dans l'enseignement public. Pour lui, c'est un projet «prioritaire» depuis le début des années 2000, ce qui n'a pas empêché son blocage. Que dit la situation actuelle de l'enseignement préscolaire dans les politiques publiques, en termes de vides fonctionnels relatifs à sa généralisation ? Pour parler du préscolaire, il faut le situer au niveau de la réforme de l'éducation. Le débat a démarré déjà avec la Charte nationale de l'éducation, qui a été adoptée en 1999 pour définir 2000 – 2010 comme la décennie des réformes. La Charte couvrait pratiquement tous les aspects, programmant la généralisation du préscolaire comme prioritaire à l'horizon 2003. Nous sommes en 2019 et presque en 2020, mais cet objectif n'a toujours pas été réalisé. Nous en sommes même loin. La question qui s'est posée depuis est de désigner un responsable pour un plan national de la généralisation de cet enseignement ainsi que son financement. Implicitement, on a diffusé l'idée que c'est aux ménages de prendre en charge le coût total du préscolaire de leurs enfants. Donc globalement, le préscolaire est resté limité à l'urbain et à une classe sociale qui peut se payer des jardins d'enfants de qualité. Il y a un peu plus d'un an demi, le Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique s'est penché là-dessus en faisant des recommandations, ce qui est adopté actuellement au niveau de l'Education nationale. D'où la généralisation qui a été programmée d'ici 2028 avec un budget de l'ordre de trente milliards de dirhams. Où se situent les difficultés concernant la mise en place d'un préscolaire accessible à tous ? La loi-cadre de l'éducation englobe tout ce qui n'a pas pu être réalisé ces 30 dernières années, avec l'idée que ça pourrait être réalisable au bout de quelques années. C'est une aberration, car on ne règle pas les problèmes majeurs de tels secteurs avec des mesures immédiates. Les difficultés pour la généralisation du préscolaire, depuis le temps, sont de plusieurs ordres. Premièrement, la question des moyens de financement. Le ministère dit que cela se fera dans le cadre du primaire public, mais est-ce que l'Etat est en mesure de financer le préscolaire, en plus de tous les besoins habituels de son secteur ? Le ministère sait bien que près de 90% de ceux qui ne se tournent pas vers le préscolaire privé n'ont pas les moyens de le payer à leurs enfants et une partie opte pour le msid. De plus, la généralisation qui devait être faite depuis 2003 n'a pas abouti parce que les moyens n'ont pas accompagné, que ce soit par rapport au financement, à l'infrastructure ou encore aux moyens humains. Au-delà de cela, un problème a traversé ces décennies : on n'a jamais défini ce qu'est le préscolaire que l'Etat souhaite de mettre en place. Qui doit s'en occuper, à votre avis ? Selon le Conseil de l'éducation, 750 000 enfants au Maroc sont dans le préscolaire, dont 80% dans les écoles coraniques, qu'on ne sait pas s'il faut les considérer comme un préscolaire ou non. L'idée véhiculée est que le préscolaire est censé préparer les enfants à intégrer le primaire, sauf que c'est faux. Cet espace vise à sociabiliser les enfants, leur faire découvrir les autres, la vie en commun, apprendre mais à travers des jeux ludiques. Quelle que soit la politique publique menée dans ce sens, elle ne pourra aboutir si nous ne définissons pas des réponses à des problématiques majeures. Il y a eu plusieurs expériences qui ont donné de bons résultats, menées par l'UNICEF, le PNUD et d'autres organismes internationaux, où l'on a expérimenté des formules, avec une prise en charge partagée, dans le cadre de programmes de coopération. Cependant, chacun de ces projets pilotes a pris fin avec la durée limitée de son financement. Quelle est la conception que vous préconisez pour le préscolaire ? Je préconise une conception de jardins d'enfants qui ont su faire de cet espace un lieu d'apprentissage ludique et sociabilisant pour les enfants. Au-delà de cela, je vois le préscolaire d'un point de vue global de la réforme éducative. Nous avons, depuis au moins 20 ans, du mal à réaliser nos objectifs dans ce secteur et je pense qu'il est nécessaire d'assurer un primaire de qualité à tout le monde. Si ces 30 milliards de dirhams sont mobilisés, je crains justement qu'ils ne soient pris du budget qui va à l'éducation de base. Alors que des moyens seront alloués au préscolaire, le ministère de tutelle cherche à réduire drastiquement la masse salariale dans le secteur de l'éducation, de manière globale. Peut-on véritablement concilier les deux ? Le Maroc a un endettement extérieur extrêmement préoccupant. En évoquant une nouvelle fois la loi-cadre de l'enseignement qui est censée structurer l'ensemble de ce secteur, il faut dire que c'est une calamité. Premièrement, sa démarche n'est pas la plus juste et correcte. Elle ne dégage aucune priorité claire et procède avec une logique de baguette magique. A titre d'exemple, les enfants en situation de handicap n'ont jamais pu trouver leur place dans le système éducatif public. Maintenant, le ministère de tutelle veut résoudre leur non-scolarisation à commencer par les 3 à 6 ans, notamment via la formation continue du personnel éducatif, mais sans aucune vision stratégique hiérarchisées, sur la base de moyens disponibles ou à allouer. C'est valable pour différentes problématiques de l'éducation qui dénotent d'une fuite en avant à chaque fois et cela risque de faire obstacle aux politiques publiques pour un préscolaire moderne de qualité. Qu'en est-il de la généralisation du préscolaire, compte tenu des disparités entre les milieux urbain et rural ? Dans le monde rural, le préscolaire pratiqué en grande partie est le msid. A l'issue des expériences modernes via la formation des animatrices avec les organisations de l'ONU, il s'est avéré que les parents n'ont pas eu les moyens matériels nécessaires pour garder leurs enfants dans ces classes. En d'autres termes, soit l'Etat devra introduire le préscolaire dans les écoles primaires rurales avec les moyens requis, soit cela ne se fera tout simplement pas. De ce fait, nous retomberons dans des inégalités de toutes sortes. On a beaucoup de mal à assurer un primaire de qualité dans les écoles rurales et la réalité est que les moyens nécessaires ne sont pas alloués à cet effet. Que recommandez-vous pour améliorer la situation et faire bénéficier tous les enfants d'un préscolaire de qualité ? La question s'inscrit dans une réforme globale qui doit établir des priorités et passer à une mise en œuvre sérieuse. Il existe un écart considérable entre les discours et les réalisations, où l'on ne peut pas traiter du préscolaire de manière isolée de l'ensemble des segments qui font le système éducatif. Si le préscolaire devrait être développé au détriment de la qualité de l'enseignement primaire et collégial, je pense que ce sera une erreur de taille et je crains que nous serions rattrapés rapidement par plusieurs problèmes, notamment celui du financement.