Le stade du douar Tizirt emporté hier par les crues de l'oued asséché, faisant sept morts, remet en question le respect des normes de construction au niveau des zones inondables. Dans un contexte mondial de changements climatiques, le retour des eaux à leurs anciens lits est en effet un danger réel qui guette nombre de villes et villages au Maroc. Situé dans la province de Taroudant, le village de Tizirt vient d'enterrer ses morts, après que les flots de l'oued aient dévasté un stade sur lequel devait se jouer un match de football. Le bilan est déjà de sept morts, mais les recherches se poursuivent pour retrouver une personne disparue. Ce drame rappelle les entorses à la loi et aux règles de sécurité basique qui pullulent dans les villes, en matière de construction dans des zones indondables. Architecte, urbaniste et paysagiste, Rachid Haouch explique à Yabiladi que ce drame doit servir de leçon pour «remettre en question l'ensemble de l'arsenal juridique et des documents sur l'urbanisme, afin de sortir réellement les zones inondables et à risque des territoires de construction». Egalement vice-président du Conseil national de l'ordre des architectes (CNOA), le spécialiste souligne que cette pratique est notamment liée à «la succession des années de sécheresse qui fait qu'on oublie les zones d'où passaient des oueds». «Il faut doubler de vigilance et se dire que les drames les plus improbables peuvent arriver, ce qui nécessite de prendre des mesures préventives face à un climat qui devient aléatoire et qui peut s'inverser dans les zones désertiques et oasiennes, ce à quoi les lois doivent se réadapter», soutient l'architecte. Dans ce sens, il rappelle que «dans un schéma directeur ou un plan d'aménagement, on est dans l'obligation de dégager les zones inondables qui sont de deux types : le lit majeur des oueds et la marée haute (bord de mer)». Selon lui, ces normes doivent obligatoirement obéir à des études cinquantenaires et centenaires. Les inondations et les raz-de-marée font partie de l'histoire du Maroc Au Maroc, le battement des oueds est tributaire des précipitations et des orages. Les oscillations de ce volume constituent le lit mineur et le lit majeur. «Lorsqu'on est sur une étendue, contrairement aux vallées, l'oued se répartit sur une large superficie, pouvant envahir toute une ville, ce qui est courant dans la nature du terrain de notre pays», prévient Rachid Haouch. «Les changements climatiques rendent les précipitations de plus en plus fortes, même si elles s'espacent dans le temps. Il faut ajouter à cela l'utilisation massive des pesticides et des insecticides sur les terres agricoles, qui a rendu les sols hyper-imperméables et accélère donc le débit des eaux pluviales, parvenant plus rapidement au lit des oueds et emportant tout sur leur passage, avec une rapidité spectaculaire.» Rachid Haouch, architecte, urbaniste et paysagiste «Nous avons oublié que l'eau a une mémoire et que là où l'on est, il y aura toujours une goutte qui finit dans la mer. La probabilité que les zones sèches deviennent plus rapidement inondables est donc de plus en plus courante, d'où l'importance des études centenaires», nous explique encore le spécialiste. Dans ce sens, il rappelle que «beaucoup ignorent que l'Oued Drâa est le plus long du pays, qu'il donnait jusqu'en Atlantique et qu'il risque donc de reprendre son court, un de ces jours, au vu des averses qui se font de plus en plus violentes». Cependant, ces phénomènes ne sont pas nouveaux au Maroc et l'histoire le rappelle bien. En plus des oueds et des fleuves dormants peuvant se réveiller, l'autre danger qui guette le Maroc est le tsunami, alors que «plus de 73% des Marocains vivent entre Tanger et Essaouira, sur la côte atlantique», souligne Rachid Haouch. «Nous oublions qu'en 1755, un raz-de-marée ayant suivi le tremblement de terre de Lisbonne a ravagé cette côte et qu'il peut se reproduire à tout moment, avec une probabilité centenaire, ce que les Américains appelle le Big One auquel ils se préparent dès maintenant», ajoute-t-il. C'est justement le phénomène des courants qui explique que pendant longtemps, les Marocains ont habité les terres et n'ont pas érigé de ville proprement dite au bord de la mer, à part les Kasbah le long des fleuves (Mehdia, les Oudayas, Oum Rabiî), nous rappelle l'architecte. Puis, «avec l'émergence du commerce portuaire, nous avons suivi le modèle européen en érigeant des villes sur la côte atlantique, mais cela fait qu'après des tempêtes, il est déjà arrivé au cour des dernières années que les habitations les plus proches de la mer prennent l'eau, alors imaginons les dégâts en cas de nouveau raz-de-marée», alerte-t-il. L'urgence de faire respecter les normes Face à cette désensibilisation, Rachid Haouch préconise la révision de l'arsenal juridique, mais également une application plus stricte des lois censées être en vigueur. «La loi 12.90 sur l'urbanisme impose que lorsqu'on met en place des plans d'aménagement, on caractérise des zones constructibles et d'autres non-constructibles. Parmi ces dernières, il existe les domaines forestiers, les bordures de plage, les lits d'oueds majeurs et des zones protégées», nous indique-t-il. Au vu du drame de Tizirt, Rachid Haouch estime que la mise en place du stade sur un lit d'oued «est une erreur stratégique». «La photo aérienne du stade le montre bien. De plus, il se trouve sur un virage au niveau du lit, ce qui accélère la vitesse de passage des eaux, surtout que le stade constitue un obstacle à ce passage, contribuant ainsi à l'augmentation de la pression de l'eau», fustige-t-il. Par ailleurs, «on voit que le lieu a été construit avec un remblai, alors qu'il a fallu s'éloigner du lit majeur en appliquant la loi des 10 à 20 mètres de recul», note encore l'architecte. «En l'absence de ces mesures de vigilance, le drame est là et il faut en définir les responsabilités, à commencer par l'octroi des autorisations, le financement du projet, les auteurs de ce dernier, entre autres», ajoute encore le spécialiste. D'ailleurs, une vidéo révélée ce jeudi montre que le stade de Tizrit a déjà été emporté par les mêmes courants, il y a un an, lorsqu'il était encore en phase de chantier. Cet avertissement de la nature n'aura finalement pas dissuadé les porteurs du projet, qui sont restés déterminés à refaire l'ouvrage au même endroit. Il rappelle en outre les interdictions de constructions sur ces sites, telles que régies par la loi relative à l'eau qui définit notamment les normes de construction du chemin de halage et interdit formellement l'édification sur les lits d'oued. «En dépit du bon sens, on construit sur des endroits où le bâtiment doit être interdit», déplore enfin l'architecte, soulignant que ces usages existent ailleurs, «y compris à Casablanca». «Au niveau du plan d'aménagement de cette dernière, des zones autrefois inondables ou non-constructibles ont laissé place à des habitations», conteste-t-il en s'inquiétant sur les dangers qui guettent ces différentes zones et leurs occupants.