Trois ans après le début des contestations sociales dans la région du Rif et deux ans après les premières arrestations dans les rangs des militants du Hirak parmi ceux ayant comparu au tribunal de Casablanca, des détenus retrouvent la liberté cette semaine. Cependant, les familles de ceux qui ne le sont pas encore restent dans l'expectative. Lundi 27 mai à sept heures du matin, le rendez-vous est pris à l'entrée de la prison centrale d'Al Hoceïma. Des enfants et des mères attendent la sortie de leurs proches. Le portail s'ouvre. Parmi les détenus qui en sortent, Mohamed Fadil et Abdelkheir El Yasnaoui, accueillis par leurs familles dans la liesse et les accolades. Ces jeunes ont été arrêtés entre avril et mai 2017, peu avant l'interpellation de Nasser Zefzafi, condamné à 20 ans de réclusion. D'ailleurs, c'est avec lui qu'ils ont comparu au tribunal de première instance puis à la cour d'appel de Casablanca, qui a confirmé le 5 avril dernier les peines de 1 à 20 ans de prison prononcées le 26 juin 2018. Dans l'après-midi de ce mardi, deux autres de leurs anciens codétenus quittent la prison d'Al Hoceïma. Cette libération met ainsi fin à deux ans de détention pour ce premier groupe, qui a purgé plus de la moitié de sa peine à la prison d'Oukacha (Casablanca), en compagnie de la cinquantaine de détenus ayant comparu avec la figure de proue du Hirak du Rif. Depuis avril dernier, la Délégation générale à l'administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR) a en effet transféré chacun d'eux à une prison entre Fès, Tanger, Nador, Al Hoceïma et Tétouan, sur fond de grève de la faim ouverte en signe de protestation contre ce verdict et les conditions de détention. Le regroupement de tous les détenus dans une même prison attendra encore Mais depuis, et avec l'intervention des familles ainsi que du Conseil national des droits de l'Homme (CNDH), cette grève de la faim a été suspendue, comme une première démarche dans le cadre d'un dialogue avec la DGAPR qui a dit examiner leurs revendications. Cependant, ces récentes remises en liberté n'en font pas partie, s'inscrivant plutôt dans la procédure normale de toute détention. «C'est purement une opération de calcul qui n'a aucun rapport avec les échanges entre l'association des familles au CNDH», tient à nous préciser Mohamed Aghnaj, avocat de la défense. «Les détenus qui sont sortis hier de prison ou les deux autres qui le sont aujourd'hui ont été emprisonnés respectivement les 27 et 28 mai 2017. Ils doivent donc être libérés le même jour et le même mois deux ans après, au risque que cela ne constitue une détention arbitraire.» Mohamed Aghnaj, avocat de la défense Le groupe qui a été incarcéré à Casablanca avant son transfert vers plusieurs prisons du nord du pays «n'observe pas de grève de la faim pour le moment», souligne par ailleurs Me Aghnaj. Cependant, il rappelle que «l'un d'eux l'a fait la semaine dernière car étant le seul à purger la suite de sa peine à Tétouan, il a demandé à être regroupé avec d'autres détenus à la prison la plus proche et a obtenu des promesses dans ce sens, mais son transfert qui s'est finalement effectué a mis du temps». Les familles des autres détenus prennent leur mal en patience Depuis l'intervention du CNDH pour que la DGAPR ouvre le dialogue, tous attendent encore que cette dernière les regroupe dans une même prison. Mais cette opération pourrait ne pas se concrétiser dans les mois prochains, tant que les capacités d'accueil des centres de détention les plus proches des familles ne le permettent pas, selon les arguments de la Direction générale. Dans ce sens, le président de l'Association Tafra pour la solidarité et la fidélité qui regroupe les proches des militants arrêtés, Ahmed Zefzafi, exprime sa profonde déception. Contacté par Yabiladi ce mardi, il affirme que «la DGAPR a failli à ses engagements avec les détenus et leurs familles». «Chaque groupe de prisonniers dans les centres du nord du Maroc ont été regroupés dans un pavillon ou dans les mêmes cellules, mais nous voulions obtenir leur regroupement dans un même établissement pénitentiaire à Nador.» Ahmed Zefzafi, président de l'Association Tafra Ainsi, le père de Nasser Zefzafi regrette que la DGAPR ait finalement «considéré que ce n'était pas possible tant que la capacité d'accueil ne le permettait pas». «La pire des situations, c'est lorsqu'un responsable prend des engagements mais ne les honore pas», ajoute-t-il. Par ailleurs, il fait part de son incertitude sur l'évolution de la situation de ceux qui n'ont pas encore retrouvé leur liberté : «Les détenus d'Al Hoceïma commencent à sortir, mais en dehors de cela, nous ne savons plus où nous mènera tout ça.» Selon Mohamed Aghnaj, les derniers militants du Hirak que compte encore la prison centrale de la ville devraient sortir au plus tard le 17 juin prochain.