Entre grandes promesses et petites concessions, le Maroc avance à pas comptés. La méconnaissance du comportement électoral de ces «citoyens» explique les craintes du gouvernement. Le 20 septembre nous avons rencontré des représentants des principaux partis politiques marocains pour leur demander de relayer nos doléances sous forme d'amendements au projet de loi organique de la Chambre des représentants mettant en place la procuration. Ils ont tous soutenu nos demandes, mais ils ont tous voté pour la procuration, exception faite du PJD», raconte Salem Fkire, président de l'association Cap Sud MRE, fondée en 2009, et nouveau porte étendard, pour les prochaines législatives, avec la Coordination Europe de l'Union Nationale de l'Initiative Syndicale Libre, de la cause du droit de vote MRE. Double discours Le comportement des partis politiques est très révélateur du double discours que tient le Maroc sur la question du vote des MRE. En 2005, le roi promet le vote depuis le pays d'origine, mais, en 2006, les listes électorales sont seulement rouvertes pour eux ; le 1er juillet 2011, la constitution entérine ce droit, mais, en septembre, la procuration remplace le vote direct. De grandes promesses en petites concessions, le Maroc hésite. Observateurs et chercheurs avancent plusieurs explications. Pour Thomas Lacroix, chercheur à l'Institut international des migrations, il ne faut pas croire que l'Etat soit une entité homogène. Par exemple, lors du Programme d'Electrification Rural Global (PERG) au Maroc, lancé en 1996 par le ministère de l'Energie, des Mines, de l'Eau et de l'Environnement, «un système de cofinancement avait été imaginé où le village, en associant les envois d'argent des migrants, apportait la moitié des fonds. Ce système nécessitait la création d'associations prenant en charge le projet. Le ministère de l'Intérieur était, lui, très réticent, parce qu'il ne voulait pas que se crée une société civile dans le monde rural», se souvient Thomas Lacroix. Désintérêt des MRE. Le CCME, crée en 2007, avait, notamment, pour mission de réfléchir sur une éventuelle mise en place du droit de vote pour les MRE. Il est aujourd'hui régulièrement pointé du doigt par ses défenseurs. Driss El Yazami, président du CCME, et Abdellah Boussouf, secrétaire général, ont fréquemment affirmé que le droit de vote, objet très polémique, n'était pas la priorité des MRE eux mêmes. «On ne se donne pas les moyens de faire une grande campagne électorale», dénonce Ali El Baz, coordinateur national pour l'Association des Travailleurs Maghrébins en France (ATMF). «Il faut réfléchir à la façon d'intéresser les gens à la chose politique. L'exemple des primaires socialistes, tenues récemment, en France, est un bon exemple», soutient-il. «Si personne ne s'y intéresse, c'est que personne n'a réellement le sentiment qu'il peut voter, qu'il fait partie de la communauté citoyenne faute de droit de vote direct. C'est un cercle vicieux», analyse Salem Fkire. Le taux de participation des MRE est également difficile à envisager dans l'absolu car il est également beaucoup influencé par le mode de scrutin. Le cas de l'Italie est frappant : «tous les Italiens inscrits auprès d'un consulat reçoivent pour les élections des bulletins de vote. Avec ce système, près de 30% des Italiens émigrés votent aux législatives», détaille Jean-Michel Lafleur, enseignant et chercheur en relations internationales à l'université de Liège en Belgique, spécialiste du droit de vote à distance. Compliqué Le ministère de l'Intérieur et les députés qui assument avoir voté oui à la loi organique de la Chambre des représentants se justifient principalement par la difficulté à le mettre en place concrètement. «Il est très coûteux d'organiser des élections dans des bureaux de vote à l'étranger et surtout de mettre en place les listes électorales puis d'imaginer une campagne électorale ciblée, mais le vote à distance [qui exclut la procuration, ndlr] est très répandu : une centaine d'Etats le pratique déjà», explique Jean-Michel Lafleur. «La Tunisie est parvenue à élire des représentants aux élections du 23 octobre, le Maroc veut organiser la Coupe du monde de football, mais nous ne serions pas capable d'imaginer un découpage des circonscriptions électorales !?», s'indigne Salem Fkire. «Ce n'est pas très sérieux comme argument, estime Gérard François Dumont, professeur à la Sorbonne à Paris, et spécialité des migrations; le Maroc a les moyens de donner ce droit de vote grâce à son réseau de consulats en Europe.» Peur du PJD Derrière les explications officielles se cachent une idée persistante : en cas de vote, le parti islamiste Justice et Développement (PJD) remporterait la majorité des suffrages des MRE. «Nous sommes très bien implantés à l'étranger, c'est pour ça qu'ils ont peur, explique, dans un sourire, Lahcen Daoudi, député PJD ; l'association Maroc Développement est notre représentant officiel, en France, par exemple.» Le PJD a également été le seul parti rencontré par l'association Cap Sud MRE à voter contre la loi instituant la procuration. Le PJD en tête des votes ? Lui même en est convaincu, mais, souligne Salem Fkire, «aucun sondage n'a été fait pour connaître les tendances politiques des MRE.» Une réalité bien concrète s'est toutefois faite jour en France, lors des élections de l'Assemblée constituante tunisienne : Ennahda, le pendant tunisien du PJD, a remporté 4 des 10 sièges des représentants les Tunisiens de France. «Les résultats du vote ne sont pas de nature à encourager le Maroc», estime Gérard François Dumont. De plus, le Maroc a cette spécificité de posséder une diaspora très importante. Les 5 millions de MRE, représentent près de 10% de tous les Marocains. Leur poids politique ne serait pas marginal dans une élection même s'il reste dépendant du taux de participation. «L'Italie a donné, en 2006, le droit de vote à ses émigrés. Les résultats lors de ces législatives étaient très serrés. Finalement, Romano Prodi a gagné contre Silvio Berlusconi grâce à un député d'Argentine qui a décidé de retourner sa veste au dernier moment à son profit», raconte Jean-Michel Lafleur. La méconnaissance a priori du comportement politique des MRE, en dehors de toutes considérations démocratiques, fait peur.