A quelques jours des élections, les MRE se sentent marginalisés. La Coalition des MRE réitère son refus du vote par procuration et dénonce, dans une conférence tenue jeudi 17 novembre à Rabat, la « hogra ». Est-ce que nous leur faisons peur ? Pensent-ils que nous sommes des Salafistes, des espions ou des terroristes ? Y a-t-il un lobby qui s'obstine à nous barrer la route ?… Autant de questions qui taraudent l'esprit de bien de Marocains résidant à l'étranger, pour qui le vote par procuration est tout sauf un témoignage de leur citoyenneté. Ils rejettent un mode de scrutin dont ils se disent peu confiants et estiment avoir été de nouveau mis à l'écart des élections. « Les MRE représentent 10% des Marocains, mais ils sont toujours traités comme des vaches à lait. L'Algérie, la Tunisie, l'Egypte et bientôt la Libye ne privent pas leurs citoyens résidant à l'étranger du vote. Et il n'existe pas de citoyenneté par procuration », s'indigne le président euro-méditerranéen de migration et de développement, Abdou Menebhi, dans une conférence organisée jeudi 17 novembre à Rabat. Une procuration sans garantie « On nous a refusé une liste électorale de seulement 5% et voilà qu'on nous assomme avec l'article 72 de la loi sur le Parlement qui instaure un vague vote par procuration aux MRE, sans garantie de la crédibilité de ce vote », souligne Nezha El Ouafi, unique députée marocaine résidant à l'étranger, coordinatrice de la Coalition de MRE. Le vote par procuration, qui permet aux MRE de déléguer leur voix à leurs proches pour qu'ils votent à leur place demeure, pour ces militants associatifs, « une pratique anticonstitutionnelle », même si le Conseil constitutionnel, saisi à ce sujet, vient d'attester sa validité. La coalition insiste sur sa conviction que le mode de vote par procuration est à l'opposé des principes du système électoral. Et pour cause, rien ne garantit qu'une procuration ne serve à voter plus d'une fois, contrairement au principe électoral : une seule voix pour un seul électeur. « Cela pourrait même devenir le moyen de contourner la loi », affirme le chercheur en migration, Abdelkrim Belguendouz. Le vote par procuration, ajoute la coalition, est contraire à l'article 30 de la Constitution indiquant clairement que «le vote est un droit personnel et un devoir national». L'humiliation « Le gouvernement semble décidé à contredire la volonté royale qui a été renforcée par les articles 17 et 18 de la Constitution appelant à une participation effective à tous les niveaux », rappelle la coalition. « C'est un sentiment de hogra dont souffrent les MRE, en ce moment. Ils ont caressé un grand espoir après l'adoption de la nouvelle Constitution, mais ils ont été très rapidement déçus», regrette Nezha El Ouafi. « Nous avons aussi remarqué que les partis politiques tiennent un double discours. Devant nous, ils nous défendent et dénoncent le complot gouvernemental contre notre intégration. Mais lorsqu'ils sont appelés à voter, ils le font contre nous. C'est le cas du PAM, du PI, de l'USFP et d'autres partis. Résultat : d'autres, comme le PJD, profitent de la colère des MRE pour les rallier », analyse Abdou Menebhi. C'est une autre manche d'un combat qui commence pour les MRE décidé à se faire entendre coûte que coûte. «Nous avons échoué dans notre bataile politique. Nous allons constituer un plaidoyer et ouvrir un grand champ de discussion pour débattre du contenu de la Constitution. Le Maroc doit arrêter de nous traiter sous une approche sécuritaire », prévient-il. L'AVIS DE… Abdelkrim Belguendouz, universitaire, chercheur en migration. « La procuration, un abus » Que pensez-vous de l'idée même d'un vote par procuration tel qu'adopté pour les prochaines législatives ? Dans l'absolu, le vote par procuration pourrait être utile, s'il est pratiqué de manière exceptionnelle, dans le cas de maladie par exemple. Or tel qu'il est envisagé par la loi organique concernant la Chambre des représentants, la procuration constitue pratiquement la règle générale concernant la participation politique de la communauté marocaine à l'étranger. C'est un moyen pour contourner la nécessité d'organiser le vote des Marocains résidant à l'étranger dans les pays d'accueil même, droit solennellement reconnu dans l'article 17 de la Constitution. Plus grave, la procuration peut être l'occasion d'abus et de malversations électorales. C'est la raison pour laquelle, lors du débat à la Chambre des députés, tous les groupes parlementaires avaient demandé dans un premier temps le retrait de la procuration et son remplacement par le vote aux consulats marocains dans les pays d'accueil. Mais, sur insistance et marchandage avec le ministère de l'Intérieur, l'amendement a été retiré par tous sauf par le groupe parlementaire du PJD. Au niveau de la Chambre des conseillers, seul le groupe syndical FDT a repris à son compte cet amendement. Le CCME comme le gouvernement, avancent des freins d'ordre logistique pour mettre en avant l'impossibilité d'un vote direct par les MRE. Qu'en pensez-vous ? Depuis 2002, les gouvernements marocains qui se sont succédé ont invoqué des raisons « matérielles », « techniques » ou « logistiques » pour justifier leur refus d'exercer à partir des pays de résidence, le droit de vote et d'éligibilité des citoyens marocains à l'étranger lors des élections législatives. Le 16 juin 2006, fut même adopté le principe de la démarche « progressive », « graduelle » ou « évolutive ». Mais depuis cette date, aucune avancée concrète n'a été réalisée. Dans ce domaine, les responsables du CCME, au lieu de défendre la participation politique des citoyens marocains à l'étranger par rapport au Maroc, ont tout fait pour décrédibiliser cette nécessaire participation, alors que les Tunisiens de l'étranger ont récemment pu exercer leurs droits à partir de leurs pays de résidence, en élisant de leur côté 18 députés de l'étranger. Il y a donc des freins d'ordre politique. Quelle en est la nature à votre avis ? Le fond du problème est en effet politique. Quand on veut faire participer aux élections les Marocains résidant à l'étranger à partir de leurs pays de résidence, on arrive à le faire. C'est le cas du dernier referendum que d'aucuns cherchent maintenant à minimiser… Pour les législatives, c'est la peur des résultats des urnes avec la crainte de votes « barbus » ou « voilés ». Drôle de manière de concevoir ainsi la démocratie pour certains chantres des droits de l'Homme ! On n'organise des élections que lorsqu'on est sûrs à l'avance des résultats et qu'on maîtrise la situation ! Entre les discours du roi voulant que les MRE soient des citoyens à part entière et les pratiques, il y a comme un fossé. Comment s'explique cette dualité ? Le gouvernement, le CCME et la grande majorité des partis politiques endossent une lourde responsabilité, ayant joué un rôle néfaste en la matière. Un arbitrage royal serait hautement souhaitable pour enclencher les réajustements nécessaires, liés à l'esprit même de la nouvelle Constitution. Comment évaluez-vous l'action et l'approche adoptée par le CCME sur ce registre ? Le CCME est présenté comme une institution nationale consultative et de prospective, mais on constate dans la réalité que ces fonctions ne sont pas assurées. Le rapport stratégique qui doit être présenté à S.M le roi tous les deux ans fait encore défaut alors que déjà en 2010, on aurait dû avoir le premier rapport. En matière de consultation, aucun avis consultatif en matière de politiques publiques liées à la communauté marocaine à l'étranger n'a été présenté à S.M le roi, sachant que ces avis consultatifs doivent préalablement être discutés et approuvés par l'assemblée plénière du CCME. Or l'assemblée générale qui doit, selon le dahir, se réunir chaque année en novembre ne s'est pas réunie depuis l'assemblée générale de lancement au début juin 2008, alors que le premier mandat de 4 ans du CCME prend fin officiellement la veille du 21 décembre 2011. Au-delà l'organisation d'activités culturelles qui peuvent avoir leur importance, les responsables du CCME n'ont pas assumé leur cahier des charges. Propos recueillis par T.Q.