Le Maroc compte un grand nombre de marchés consacrés exclusivement à la vente de DVD piratés. Les vendeurs, dubitatifs, ne croient pas vraiment que l'Acta puisse être appliqué. [Republication du 28 octobre 2011] élinquants ou cinéphiles ? Des délinquants ou simplement des gens qui ont besoin de travailler ? Des délinquants ou, comme l'affirme le réalisateur marocain Hicham Lasri, des résistants ? Les «pirates» ou vendeurs de DVD sont aujourd'hui, une fois de plus, sur la sellette, au Maroc. Après une année noire, en 2006, où des milliers de DVD ont été saisis, 2011 s'était achèvé sur de nouvelles craintes : l'adhésion du Maroc à l'Accord Commercial Anti-Contrefaçon (ACTA), le 1er octobre. Dans le secteur «DVD piratés» de Derb Ghallef, fief du secteur informel à Casablanca, un vendredi soir, la tension est palpable. Les petites échoppes mal éclairées s'étendent le long d'une ruelle et sont peuplées d'un grand nombre de vendeurs, intermédiaires et badauds. Les boutiques croulent sous une quantité industrielle de DVD, principalement des blockbusters américains. Refusant de manière systématique de répondre à nos questions, les tenanciers de ces boutiques, méfiants, ne ressemblent pas à des enfants de choeur. L'un d'eux se contente d'expliquer, derrière ses fausses lunettes Chanel, que «si on nous empêche de vendre des DVD, on vendra du hachich. Bon, partez maintenant», pendant que son acolyte crie : «Attaoura ! Attaoura !» (Révolution ! Révolution !). L'île aux trésors A la médina de Rabat, l'ambiance est plus conviviale. Boutiques ou petits étalages en bois, la «joutia» de Bab el Had est l'une des plus célèbres du Maroc. On trouve de tout : films d'art et essai, blockbusters américains et comédies musicales, documentaires, logiciels, jeux vidéo pour toutes sortes de consoles, et même, nouvelle tendance avec l'avènement des tablettes électroniques, des livres en pdf. Les vendeurs ne sont, bien entendu, pas au courant de l'adhésion à l'Acta. La plupart ne savent même pas qu'il existe des lois pour protéger la propriété intellectuelle. Quand on leur explique ce qui les menace, les propriétaires des boutiques restent sereins. «Je n'y crois pas trop. C'est encore des paroles en l'air, je ne pense pas que ce sera appliqué», affirme Saïd, employé dans l'une de ces boutiques. Pour lui, l'application d'une telle «loi» est impossible. Ahmed, un autre vendeur, se souvient amèrement de ces mois d'octobre et novembre 2006 où la police a saisi près de 700 000 CD et DVD, et où 13 personnes ont été poursuivies pour piratage. La loi sur les droits d'auteurs et droits voisins venait d'entrer en vigueur le 14 février de la même année : il fallait donner l'exemple. «Si on nous oblige à arrêter ce commerce, je trouverai bien autre chose à faire. Je suis juste employé ici, j'ai une femme et un fils à entretenir. Je trouverai bien une autre «bricole». C'est pour le propriétaire que ce sera dur», souligne Saïd. Des pirates cinéphiles «Que ferions-nous sans ces DVD ? Où aller pour regarder des films ?», s'indigne Hafid, étudiant à la faculté de lettres de Rabat. Où aller pour regarder des films ?», s'indigne Hafid, étudiant à la faculté de lettres de Rabat. Il poursuit, «il n'y a aucun cinéma digne de ce nom à Rabat. A part les quelques films programmés par l'institut culturel français, il n'y a que des films américains de base qui arrivent en retard ou des films marocains. On ne peut pas regarder que ça tout le temps.» Alexandra, expatriée allemande et habituée de l'un des magasins de la joutia, est admirative de la connaissance qu'ont les vendeurs de DVD du cinéma mondial. «C'est impressionnant, il suffit que je donne le titre d'un film, Fouad me briefe, me donne sa date de sortie, le nom du réalisateur», assure-t-elle. Bien que sensible à la propriété intellectuelle, elle vient régulièrement chercher des films qu'elle commande. Dans cette joutia, dans chaque magasin, les films sont soit classés par genre, par réalisateur ou par acteur vedette. «Nous n'avons pas cela en Allemagne. Les DVDs originaux coûtent très chers, et on n'a souvent pas le temps d'aller au cinéma. Je n'ai jamais regardé autant de films que depuis que je suis au Maroc», affirme Alexandra. «Spielberg n'a pas besoin de mon argent». Pour Majda, «c'est soit ça, soit aller remplir les terrasses de cafés et faire des allers-retours sur les trottoirs de Val Ould Oumir, regarder les vitrines. Je veux bien acheter un DVD original pour voir un film marocain, mais je ne pense pas que Steven Spielberg ait besoin de mon argent». Beaucoup partagent l'avis de Majda, «même des acteurs et des réalisateurs marocains viennent acheter leurs films ici. Il y a Daoud Oulad Sayed qui vient souvent, l'actrice qui joue dans «Romana et Bartal» aussi, et plein d'autres, même des policiers», assure Saïd. Hormis Ahmed, l'Acta et l'installation de la FNAC ne semblent pas inquiéter ces «pirates» outremesure. «A part les films marocains et français qui sont durs à pirater, parce que durs à trouver, on a tout ce dont les clients ont besoin, se vante Fouad. Et cette loi, ça va encore être un truc sur le papier, jamais appliqué.»