Le monde de la recherche s'est beaucoup intéressé aux Subsahariens au Maroc mais la première communauté étrangère au Maroc est française. Catherine Therrien, anthropologue québécoise, mariée avec un Marocain, enseignante à l'Université Al Akhawayn, a donc décidé de coordonner différentes recherches sur les Français au Maroc dans un ouvrage paru en 2014 : «La question du 'chez-soi' au Maroc : les représentations des migrants français confrontées aux points de vue des Marocain-es». Leur nombre s'était effondré après l'indépendance jusque dans les années 90 avant de raugmenter. Les Français forment aujourd'hui, à nouveau, la première communauté étrangère au Maroc : 25% des 84 000 étrangers recensés par le HCP lors du dernier recensement général en 2014, devant les Sénégalais (7,2%) et les Algériens (6,8%). Il n'est donc pas surprenant que 55% des Marocains enquêtés par Noureddine Harrami, socio-anthropologue, enseignant-chercheur à la faculté de Lettres et de Sciences Humaines de Meknès, en aient déjà rencontrés. Un quart de ces rencontres ce sont même faites dans le cadre familiale à la faveur d'un mariage «mixte». Dans ce contexte, l'ouvrage collectif «La question du 'chez-soi' au Maroc : les représentations des migrants français confrontées aux points de vue des Marocain-es», coordonné par Catherine Therrien, anthropologue québécoise et enseignante chercheure à l'Université Al Akhawayn à Ifrane, en 2014 s'intéresse à ce que les Marocains pensent des Français. Pour mesurer la place que la population accorde aux Français, Noureddine Harrami a réalisé, dans le cadre de cet ouvrage, une enquête intitulée «La représentation sociale des Français-es installés au Maroc : analyse des résultats de l'enquête quantitative» ; autrement dit un sondage auprès d'un échantillon représentatif de la population marocaine. Il lui a posé la question de l'acquisition de la nationalité : près de 67% des Marocains interrogés se sont dits favorables à l'idée de donner la nationalité marocaine aux Français installés au Maroc. «Les Français sont de bons clients» De fait, selon l'enquête qualitative réalisée par Khalid Mouna, anthropologue à la Faculté de Sciences Humaines de Meknès, dans le même ouvrage, et intitulée «Perceptions marocaines de la migration française au Maroc», les Français semblent jouir d'un a priori profondément positif. «Dans le cadre commercial, les Français sont éduqués, ce sont de bons clients, ils ne négocient pas, ils sont directs, ça veut dire, ils savent ce qu'ils veulent, ils prennent rapidement la chose qu'ils cherchent. Pas comme les Marocains, ils prennent leur temps, parfois ils ne savent même pas ce qu'ils cherchent, ils te prennent la tête pour rien parfois. Pour te dire, moi je trouve que la présence des Français est profitable pour nous, d'une manière indirecte, on prend beaucoup de choses d'eux, comme : comment ils se comportent. On peut dire qu'ils nous rapportent la civilisation et pas uniquement l'argent.» Hassan, 33 ans, commerçant à Agadir, à Khalid Mouna. Ainsi, les personnes interrogées ne posent majoritairement pas de condition à l'acquisition de la nationalité marocaine à un Français. Qu'il ne parle pas la darija, qu'il ne soit pas marié avec une Marocaine ou qu'il ne soit pas né au Maroc n'est pas vraiment un problème pour plus de la moitié des Marocains interrogés qui restent favorables à l'idée de lui donner la nationalité. Un seul critère fait la différence : la religion. Moins de la moitié des Marocains interrogés, 43%, reste favorables au fait de donner la nationalité marocaine à un Français non musulman. Un quart d'entre eux sont clairement contre, mais 30%, près d'un tiers d'entre eux, ne savent pas quoi en penser. «Le gawri, il ne lui manque que l'islam» L'importance de l'Islam confrontée à l'opinion très positive des Marocains sur les Français débouche sur une ambivalence : dans les discours «il [l'étranger, le gawri, le Français, ndlr] est mis dans une position de manzila bayn al manzilatayn (la position d'entre deux). Il n'est pas musulman, mais il ne lui manque que l'islam. En revanche s'il est musulman, il aura la vie profane et la vie céleste, explique Khalid Mouna. Un gawri est défini plutôt par ses caractéristiques physiques : blanc avec des yeux bleus ou verts, mais aussi son pouvoir économique. Le terme gawri a aussi une portée géographique : il se rapporte aux Européen-nes ou aux Américain-es. Mais le gawri est également assimilé pour certains à des pratiques et des normes proches de l'Islam : 'c'est des gens de confiance, sincères, pas comme nous'.» «Eux, ils sont mieux que certains Marocains, ce qui leur manque c'est de se convertir à l'Islam.» Jamel, 42 ans, Tangérois, à Khalid Mouna. Au-delà de cette ambivalence, l'a priori positif dont bénéficient les Français, selon cette étude, est même supérieur au critère religieux, dans certain cas. Ainsi, comparé à un Sénégalais musulman, le Français athée, agnostique ou chrétien conservera les faveurs des Marocains. «Entre deux conjoints, un-e Français-e et un-e musulman-e du Sénégal, les enquêté-es semblent préférer globalement le/la conjoint-e français-e. La proportion des avis favorables pour une conjointe française pour le fils est de 58 %, soit un taux supérieur de 10 points à celui enregistrée pour la musulmane sénégalaise», rapporte Noureddine Harrami. Pour leur fille, les Marocains sont aussi défavorables - mais pas plus toutefois - à la voir se marier avec un Français qu'avec un Sénégalais musulman. Les Marocains restent très ouverts à l'immigration «La définition du gwar se fixe sur une image simpliste, qui crée une hiérarchie entre le 'eux' et le 'nous', le Sénégalais n'est jamais assimilé au gawri, il est définit par sa couleur de peau et par conséquent il est considéré inférieur aux Marocain-es. Ce classement qui exclue le 'noir' et qui place le gawri dans une position 'entre deux' est un mouvement identitaire», écrit Khalid Mouna. «Les Sénégalais ne sont pas comme les Français, ils sont musulmans, on partage le même continent, mais on préfère les Français. Ils n'ont pas le même comportement, ceux qui sont rentrés à Casablanca ces dernières années ont donné une mauvaise réputation des Sénégalais, ils ont commencé à braquer des maisons, ce qui fait que quand tu vois un nassrani, tu as ce sentiment de respect, et quand tu vois un Sénégalais tu as peur.» Fatima, 33 ans, ouvrière à Casablanca à Khalid Mouna. En dépit de cette classification aux relents racistes, les Marocains restent très ouverts à l'immigration quelle que soit la nationalité des nouveaux venus. «Généralement les enquêtés se montrent favorables à l'idée d'encourager les étrangers-ères à s'installer au Maroc. Seuls 38 % des enquêtés se sont opposés catégoriquement à l'installation d'étrangers-ères au Maroc. Les opinions favorables sont plus importantes dans le cas des Fran-çais-es (58 %). Les Algérien-nes arrivent en second lieu après les Français-es avec un taux de 54 %. Les Allemand-es et les Sénégalais-es totalisent des scores supérieurs à 50 % (respectivement 53 % et 52 %).» Le Français, éternel colon ? Alors que la réputation flatteuse des Français rend les Marocains favorables à l'octroi de la nationalité, l'accès à la propriété immobilière est plus problématique. La loi permet à tout étranger d'acheter un bien au Maroc mais pour la population, les avis sont partagés. « C'est au sein de la ville réputée comme étant un espace de fixation de Françaises notamment, en l'occurrence Marrakech, que l'on retrouve le plus grand taux d'avis défavorables à l'accès à la propriété immobilière des Françaises. A Marrakech, 58 % des enquêtés se sont déclarés contre cet accès, 10 % pensent que cet accès doit être conditionné, et seuls 30 % émettent un avis positif », décrit Noureddine Harrami. De fait, les Français sont rapidement rattachés à leur ancienne position de colonisateur. « Comment te dire, l'origine de Marrakech sont les riads, et ses vieilles maisons, ils sont tous/toutes achetés par les Français, ils donnent des prix exorbitant aux gens qui finissent par les vendre. Ces gens qui vendent des riads ne sont pas conscients, et même s'ils le sont, ils vivent dans le besoin, alors ils vendent leurs biens. Enfin comme je t'ai dit, les Français sont venus s'installer ici, et comme un Français a dit un jour à un marakchie : Marrakech, on la colonise. … Comme je t'ai dit tout à l'heure, les Français vivent partout à Marrakech, mais ils sont isolés, ils ne se mélangent pas avec les Marocains » a expliqué Doulkifl, 23 ans, réceptionniste Marrakech, à Khalid Mouna. L'article L'article complet « La question du « chez-soi » au Maroc: les représentations des migrants français confrontées aux points de vue des Marocain-es » : ICI L'éditeur L'Association marocaines d'étude et de recherches sur les migrations (AMERM) et la Fondation Population, Migration et Environnement financent le Programme de recherche sur les Migration Internationale des Marocains (MIM-AMERM) qui a lui-même financé l'ouvrage « La question du « chez-soi » au Maroc: les représentations des migrants français confrontées aux points de vue des Marocain-es ». Catherine Therrien, dans l'introduction, explique les circonstances de sa publication : « Le cas des étrangers-ères en situation régulière (les étudiants ou travailleurs subsahariens par exemple, ou encore les migrants européens ou nord-américains) est une problématique absente de l'agenda politique marocain et donc par conséquent, des expertises financées. La recherche dans le contexte national étant fortement liée aux possibilités de financement explique, en partie, le peu de travaux qui se sont intéressés à la question de l'immigration « régulière » dans le contexte marocain. Les derniers projets de recherche financés par le programme MIM-AMERM, dont celui à l'origine de ce livre, font donc exception : deux des sept derniers projets financés par ce programme s'intéressent au Maroc comme terre d'immigration : un projet porte sur la migration sénégalaise et l'autre (le nôtre) sur la migration française. Ces récents financements démontrent l'ouverture du milieu académique local à de nouvelles problématiques migratoires. » Les auteurs Catherine Therrien est anthropologue et partage sa vie entre le Maroc et le Québec. Elle a soutenu une thèse de doctorat à l'Université de Montréal sur les couples mixtes au Maroc car elle-même est mariée avec un Marocain. Elle enseigne le développement interculturel pour l'International Studies Abroad (ISA) et enseigne également à l'Université Al Akhawayn. Khalid Mouna est anthropologue, professeur à la Faculté de Sciences Humaines de Meknès. D'origine rifaine, il a adopté différents points de vue pour saisir sa région d'origine. Ses recherches portent, à partir d'enquêtes ethnographiques, sur quatre thématiques majeures : l'anthropologie de la drogue, les jeunes et le changement social, la mobilité internationale et l'inversion sexuelle. Il participe à plusieurs programmes de recherche et dirige plusieurs fonds de recherche. Noureddine Harrami est professeur de sociologie et d'anthropologie à la Faculté de Sciences Humaines de Meknès. Originaire de Beni Mellal, région de forte émigration, il s'est intéressé aux questions migratoires en portant souvent sont regard sur la société marocaine elle-même.