Les communications et les discours sur un bilan positif concernant le modèle de migration circulaire mené par l'Espagne et le Maroc se multiplient. Mais pendant que les entretiens de délégations ministérielles s'enchaînent, la situation des saisonnières marocaines, toujours en Espagne après avoir dénoncé leurs conditions de travail dans les champs de fraises de Huelva, ne s'améliore pas. «Améliorer la situation sociale des ouvrières concernées et leurs familles et leur assurer un revenu meilleur par le biais d'un travail décent». Telle a été la déclaration du ministre du Travail Mohamed Yatim, répétée à plusieurs reprises, pour évoquer les campagnes de recrutement de saisonnières marocaines dans la cueillette des fraises en Espagne. Le ministre a même insisté sur la «dimension sociale de la mission du ministère et des établissements placés sous sa tutelle». L'affaire a également été abordée par les deux chefs de gouvernement, Saâdeddine El Othmani et son homologue espagnol Pedro Sánchez. En marge de la Conférence intergouvernementale sur les migrations, El Othmani a évoqué «le dossier des travailleurs et des travailleuses marocains en Espagne dans le domaine agricole», comme rapporté par l'agence MAP. Dans ce sens, le chef de l'exécutif marocain a «insisté sur l'importance de la mise en place d'une politique commune d'emploi qui garantit des conditions de travail respectant la dignité humaine des travailleurs marocains». Une affirmation à demi-mots, qui vient enfin confirmer les multiples lacunes que révèle le déroulement de la campagne 2018. Des conditions de travail dénoncées par les saisonnières marocaines elles-mêmes et relayées par les médias. Oublier les erreurs du passé ? Contacté par Yabiladi, le nouveau directeur de l'Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences (ANAPEC), Abdelmounaïm Madani, évoque un«bilan positif[qui] dépend de quel côté on veut l'aborder». Il considère que la mission de l'ANAPEC - proposer des offres d'emplois - est «réussie, étant donné le contact et l'échange [ayant] eu lieu entre l'employeur et l'employé». Une conviction qui émane, selon lui, du fait que «toutes les femmes parties ont travaillé». «Maintenant, il y a celles qui sont satisfaites et celles qui ne le sont pas et cela dépend de quel angle on va aborder le sujet», poursuit-il. Sur l'affaire des saisonnières marocaines actuellement en Espagne et ayant dénoncé leurs conditions de travail, Abdelmounaim Madani soutient que ces femmes «sont dans l'illégalité». «Normalement, elles devraient être déjà de retour au Maroc», enchaîne-t-il. Affecté il y a trois mois à la direction de l'ANAPEC, le nouveau directeur nous informe s'être rendu en Espagne pour, dit-il, «voir les conditions d'hébergement et parler aux employeurs et aux autorités de l'Andalousie afin de préparer la campagne de 2019». Si les conditions de travail ont été critiquées par les saisonnières et par les associations et les syndicats espagnols, le directeur de l'agence marocaine soutient le contraire. Il déclare ne pas avoir «vu de logement indécent». «Il n'y en a pas un seul», insiste-t-il. «Nous avons choisi nous-mêmes les fermes que nous avons visitéeset personne ne nous a orientés. Nous sommes même allés là où nous avons considéré que ça peut être non convenable.» Abdelmounaïm Madani Quant à la campagne 2019 annoncée en grande pompe, Abdelmounaim Madani précise qu'elle sera «marquée par des formations et des campagnes de sensibilisation menées en amont». Il s'agira principalement de «rappeler les conditions de travail, de leurs rappeler leurs droits et leurs devoirs, ainsi que les modalités du salaire, comment jouir de leur protection sociale et comment donner une belle image de la femme marocaine, qui est une femme correcte et sérieuse, et qui, si elle va pour le travail elle va travailler», détaille-t-il. «Les employeurs espagnols apprécient grandement leurs employées et ils font même la différence avec les autres nationalités, parce que ce sont des femmes de valeur», dit-il encore. D'ailleurs, face aux exigences de ces derniers, lors de la prochaine campagne, «seules les répétitrices auront le droits de postuler», précise notre interlocuteur. «Mais si les entrepreneurs nous en demandent plus ou si nous ne trouvons pas suffisamment de répétitrices, nous allons définir une procédure de candidature qui devra être transparente», conclut-il. Saisonnières et leur avocate, seules dans une affaire qui traîne Mais si les responsables vendent aujourd'hui une campagne 2019 qui tentera «d'améliorer la situation sociale des ouvrières (…) en œuvrant au succès de ce processus, éviter toutes lacunes et renforcer les acquis», aucune démarche n'a été entreprises auprès des plaignantes, qui se trouvent toujours en Espagne. En effet, malgré les allers-retours des délégations marocaines en Espagne, aucune ne s'est entretenue avec ces ressortissantes. «Depuis que nous sommes ici, personne ne nous a contactées. Nous avons espéré au moins qu'un des responsables vienne à notre rencontre», nous confie l'une des saisonnières marocaines, jointe par téléphone. Belen Lujan, avocate des saisonnières et membre de l'Association des utilisateurs de l'administration de la justice (AUSAJ), affirme de son côté que personne ne l'a sollicité, «ni du côté marocain, ni espagnol». «Nous sommes seules dans ce combat», ajoute-t-elle. L'avocate des saisonnières estime que malgré les déclarations rassurantes, les responsables «ne font rien sachant que cette situation et ces lacunes ne sont pas nouvelles». «Ce qui prime pour eux, c'est l'intérêt économique et rien d'autres. Il ne s'agit que de chiffre. Les personnes envoyées doivent revenir au Maroc et puis c'est tout», dénonce-t-elle. Belen Lujan critique aussi «la lenteur de la justice et les enquêtes qui ne sont pas menées au niveau de Huelva». Pour rappel, dix saisonnières marocaines ont dénoncé les mauvaises conditions de travail et les agressions sexuelles dont elles disent avoir été victimes dans les champs de fraises à Huelva. Huit mois après le dépôt de leur plainte contre leur ex-patron, l'affaire traîne toujours. D'un côté, les saisonnières marocaines n'ont toujours pas obtenu un permis de séjour et de résidence. De l'autre, les prochaines assises dans le cadre de l'affaire qui ne sera finalement pas jugée par la Cour suprême espagnole ont été repoussées au mois de février 2019. Article modifié le 2018/12/14 à 22h37