Les 10 et 11 décembre, les gouvernements adopteront le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières à Marrakech. Des acteurs de la société civile de différents pays organisent un forum alternatif opposé à ce texte. Si les Etats membres de l'ONU sont réunis actuellement à Marrakech, en vue d'adopter les 10 et 11 décembre prochain le Pacte mondial pour des migrations sûres, ordonnées et régulières, des acteurs de la société civile internationale regroupés au sein de l'Action mondiale des peuples (PGA) se réunissent également les 8 et 9 décembre dans la ville ocre. Un second rassemblement associatif est également prévu dans la ville, rassemblant principalement organisations de migrants et travailleurs ruraux. Opposés au traité onusien auquel ils reprochent des insuffisances en matière de protection des droits des migrants, ils se retrouvent pour explorer les positions des groupes participants à ces deux journées de travail. En effet, une note de présentation du rendez-vous indique que celui-ci permettra «d'élaborer des stratégies pour renforcer les actions de la société civile collective» en défense des droits des migrants. Parmi les acteur qui participent aux activités et aux ateliers prévus ce samedi et dimanche, l'Association marocaine des droits humains (AMDH), de même qu'ATTAC Maroc et La Via Campesina, coordination regroupant syndicats et associations des paysans et des petits agriculteurs à travers le monde. La vulnérabilité des migrants non protégée par le Pacte Contactée par Yabiladi, Khadija Inani, vice-présidente de l'AMDH et chargé du dossier de la migration et des réfugiés au sein de l'ONG, tient à préciser que si des pays du Nord se sont désistés du vote en faveur de ce Pacte, les associations opposées au texte ne partagent pas leurs opinions. «Ils refusent le traité pour des raisons qui ne sont pas les nôtres, soutient la militante. Ils y voient une menace sur leur souveraineté et leurs intérêts, mais de notre côté, nous considérons que le Pacte de l'ONU ne consacre justement pas la protection des plus vulnérables, à savoir les mineurs migrants, dans le respect de l'intérêt supérieur de l'enfant comme prévu par la Convention internationale des droits de l'enfant». Pour avoir étudié ledit texte, article par article, Khadija Inani assure même que celui-ci «constitue une régression sur les acquis des droits des migrants, de manière globale dans le monde et au Maroc». «A l'heure du débat sur ce pacte, nous constatons le non-respect des Etats vis-à-vis des dispositions déjà mises en place dans le droit international et prévoyant le respect des droits des migrants et des réfugiés», selon la militante. Celle-ci pointe du doigt notamment «les résistances observées contre la ratification de la Convention protégeant tous les travailleurs migrants et les membres de leurs familles, la convention de Genève sur les réfugiés envers laquelle les pays européens restent réticents, tout comme le Maroc». «Nous n'avons pas les moyens des pays du Nord, certes. Mais cela ne justifie pas les mesures restrictives visant les migrants au Maroc, l'absence de protection généralisée à tout demandeur d'asile ici, ainsi que le double langage entre la ratification des traités internationaux et les bavures policières dans certaines villes, érigeant notre pays en gendarme de l'Union européenne.» Khadija Inani, vice-présidente de l'AMDH Un texte qui risque de maintenir les déséquilibres «Le Pacte de l'ONU ne fera pas barrage à l'externalisation des frontières européennes, il justifie quelque par leur mise en place ainsi que le renforcement du contrôle des migrants», selon Khadija Inani, qui reproche au traité de «consacrer une migration sud-nord sélective, contribuant ainsi à creuser le fossé entre les pays et à favoriser la fuite des cerveaux». Pour cette raison, M'hamed Lmossayer, représentant d'ATTAC Maroc à Rabat, nous confie que «ce texte reflète plutôt les rapports ambivalents qu'entretient l'Europe avec l'Afrique et surtout avec le Maroc». Le militant considère d'ailleurs que les termes du traité «consacrent les intérêts de la politique migratoire de nos voisins du Nord, qui veulent sécuriser leurs frontières vis-à-vis de l'Afrique en triant les profils des ressortissants qu'ils accueillent, mais se permettent de continuer à construire leur essor économique et industriel aux dépends des ressources naturelles de notre continent». Par ailleurs, l'aspect non contraignant du texte revient souvent dans l'argumentaire de ces acteurs associatifs, dont M'hamed Lmossayer, qui soutient qu'«à l'heure où nous accueillons un événement de cette envergure, notre politique nationale permet difficilement l'intégration sociale et économique des ressortissants étrangers présents sur son territoire, ou encore le respect de leur dignité». «Notre pays a lui-même ses victimes de la politique migratoire en vigueur. Beaucoup de migrants ne sont pas régularisés malgré leur contribution active au sein de la société. Les demandes d'asile ne sont pas souvent traitées avec l'urgence qu'il faut, lorsqu'elles ne sont pas refusées.» M'hamed Lmossayer, ATTAC Maroc De son côté, Romain Balandier de la Confédération paysanne en France, actif au sein du groupe international de la migration à La Via Campesina, précise à Yabiladi que les discussion onusiennes autour du Pacte migratoire «ne tiennent pas compte des véritables problématiques liées à la gestion mondiale des migrations». «D'abord, ce texte ne fait pas de lien entre les politiques économiques libérales suivies par beaucoup de pays et leur répercussion sur la situation des migrants, nous explique-t-il. Les accords de libre-échange conclus par des organismes continentaux avec des pays tiers se font au dépend d'accaparements de terres, de gestion contraignante et parfois même déstabilisante des flux migratoires, mais aussi des expulsions de paysans pour les besoins d'extractions minières». Romain Balandier souligne également que les propositions de la société civile lors de l'élaboration de ce texte «n'ont pas été retenues dans la mouture finale, sous la pression de certains Etats». Dans ce sens, il évoque la sortie récente d'un rapport des Nations unies «mettant en accusation l'attitude des gouvernement en matière d'accueil des migrants, le traitement sécuritaire à l'encontre de ces personnes, de même que les frontières qui se militarisent ou s'externalisent comme entre les Etats-Unis et le Mexique, en Afrique de l'Ouest ou aux portes de l'Europe avec la mise en place de clôtures renforcées». «Cette analyse-là a tout simplement disparu au fil des discussions internationales et n'a finalement pas été prise en compte dans les termes du texte final», déplore-t-il. «Une des dérives que nous observons, c'est la transformation des aides au développement des pays industrialisés en des aides à la gestion des flux à l'extérieur des frontières européennes. C'est un aspect inquiétant qui est aujourd'hui validé à travers les déclarations des Etats en faveur de ce Pacte. Lequel, n'empêchera pas ces usages de plus en plus courants.» Romain Balandier, La Via Campesina C'est dans ce contexte que La Via Campesina, parmi les associations participantes, appelle à «l'ouverture totale des frontières, à plus de reconnaissance de la contribution des migrants au développement économique de leurs pays d'accueil et notamment dans le secteur agricole, où ils participent à la protection de la souveraineté alimentaire». Ce principe, la coordination des paysans le défend justement à travers la Déclaration internationale des droits des paysans et des travailleurs ruraux, qui sera prochainement soumise au vote de l'Assemblée générale de l'ONU.