Mes amis, le problème est-il de laisser la pourriture sévir au prix de la dignité et la sécurité des patients, ou d'essayer de lutter contre elle en la nettoyant ? Ou bien est-ce que le mal est tellement profond qu'il fait partie de notre quotidien et s'est inscrit dans nos gènes, nous retirant ainsi toute option de résistance ? «Aide-moi… je t'aiderai !» C'est ce qu'aurait dit une sage-femme dans un hôpital provincial marocain alors qu'elle recevait une femme pliée en deux à cause des contractions utérines du travail, accompagnée de sa belle-sœur. Et justement, Fatna, la belle-sœur, me connaît très bien puisque c'est la dame qui aidait ma mère à s'occuper de la maison et qui m'a soutenu durant mes années d'études médicales difficiles et prenantes. Dès que Fatna m'a vu, elle m'a dit avec amertume : «Docteur, il faut que je te raconte ce qui nous est arrivé à l'hôpital de Settat. On habite à la campagne, à environ 20 km, et je suis resté avec ma belle-sœur, enceinte de son troisième enfant pour la soutenir lors de son accouchement. Au petit matin, les contractions utérines ont commencé et sont devenues de plus en plus rapprochées, annonçant ainsi l'éminence de l'accouchement. Comme la plupart des Marocains à faible revenus, on a accouru à l'hôpital. Reçue par une sage-femme, elle a examiné ma belle-sœur et lui a dit sur le champ : ''Aide-moi… je t'aiderai''». Voyant que les deux femmes de la campagne n'avaient pas bien saisi le message, elle a précisé : «Si tu veux que je t'aide pour accoucher, ça sera 200 dirhams.» La douleur ne laisse pas le temps à la réflexion, et encore moins à la protestation. Les deux femmes ont commencé à fouiller dans leurs porte-monnaie respectifs pour ramasser ce qu'elles avaient et lui ont tendu 150 dirhams. La sage-femme a fait mine que ce n'était pas suffisant, mais les a pris et a installé la femme dans un box d'accouchement. Une autre femme est arrivée en même temps, mais comme elle n'avait pas d'argent sur elle, elle a été laissée souffrante sans aucune prise en charge, selon Fatna. L'accouchement a été rapide. Bienvenu au nouveau-né sous des cieux pourris et corrompus. La brancardière qui devait accompagner la femme vers sa chambre a demandé à son tour un petit bakchich. La femme lui a dit qu'il ne lui restait plus rien, alors sans aucune décence, elle lui a demandé un habit. Elle en est sortie avec un châle et un caleçon. Et ce n'est pas fini, ajoute Fatna. Le lendemain, l'accouchée a eu droit à une ordonnance d'antibiotiques, antalgiques et lait maternel. Au Maroc, pays pauvre au pouvoir d'achat très limité, on ne fait la promotion du lait maternel que dans les congrès. Le lobby corrupteur des laits artificiels est si fort que 72% des femmes toutes catégories sociales confondues achètent au prix d'or le lait pour nourrir leurs nouveau-nés. Alors, quand vous verrez des femmes avec des nourrissons mendier dans les carrefours une boîte de lait à la main, je vous invite à avoir une pensée pour ce désastre sociétal ! Mais ce n'est pas le sujet. Une personne en blouse blanche – Fatna et l'accouchée ne savaient pas vraiment à qui elles avaient affaire – est venue les voir pour profiter de l'ignorance entretenue dans les campagnes : «Vous savez, cette ordonnance coute vers les 600 dirhams. Moi, je peux vous procurer tous ces médicaments !», et elle ajoute la phrase culte : «Aide-moi… je t'aiderai !» Le mari présent pendant cette deuxième transaction accepte parce que comme tout un chacun qui évolue dans cette atmosphère néfaste, il souhaite s'en sortir en perdant le moins possible de plumes. Maintenant, je m'adresse aux soignants qui travaillent dans le secteur public, à savoir les médecins, sages-femmes et infirmiers, qui pensent qu'en décriant ces comportements, je mets de l'huile sur le feu et j'attise la détestation du corps soignant. Pensez-vous vraiment que la population a besoin de mes écrits pour comprendre ce qui se passe dans les structures publiques et parfois privées du pays ? En écrivant, je me mets du côté des faibles et c'est là que je trouve ma place et mon rôle. J'essaie également d'élever la conscience d'une certaine élite qui ne connaît pas les affres que subissent les laissés-pour-compte et des soignants qui n'en peuvent plus de regarder al mounkar (cette injustice) en se sentant solitaires mais démunis. Mes amis, le problème est-il de laisser la pourriture sévir au prix de la dignité et la sécurité des patients, ou d'essayer de lutter contre elle en la nettoyant ? Ou bien est-ce que le mal est tellement profond qu'il fait partie de notre quotidien et s'est inscrit dans nos gènes, nous retirant ainsi toute option de résistance ? Vous savez bien qu'aucun problème n'a été résolu en adoptant la politique de l'autruche. Et comme j'ai une haute idée de notre métier et d'un grand nombre de soignants que je croise souvent à travers tout le royaume, soit en opérant avec eux ou en les formant, que rien n'est insurmontable et qu'avec des volontés individuelles et collectives, on pourra mettre fin à ces comportements indécents et nuisibles. Sachez que ces mauvaises personnes pullulent et prospèrent parce que les bonnes se taisent et acceptent l'inacceptable. Maos l'issue de notre histoire fut heureuse, avec une maman et un nouveau-né en bonne santé. On a fini la soirée avec Fatna et ma mère, en tournant ce malheur en dérision, comme on sait le faire dans notre culture marocaine afin d'adoucir l'atmosphère et survivre en répétant presque après chaque phrase : «Aide-moi… je t'aiderai !»