La fermeture des maternités périphériques n'est ni superflue ni inconsciente, mais émane d'une connaissance du métier de l'obstétrique, du terrain marocain et de nombreux entretiens avec le personnel soignant en souffrance. Qui d'entre nous accepterait que son épouse, sa sœur ou sa fille accouche dans l'insécurité pour elle et pour son nouveau-né ? Personne bien sûr. Alors pourquoi les responsables de la santé reproductive au sein du ministère de la Santé l'acceptent pour la population pauvre et enclavée ? C'est le propre de toute la politique des maternités, qui a d'ailleurs prouvé son inefficacité. En santé publique, le Maroc fonctionne avec un régime de référence pyramidale. Les femmes en milieu rural et semi-urbain peuvent se faire suivre dans les centres de santé, et même accoucher dans une maternité périphérique avec la présence de sages-femmes, mais sans gynécologue ni anesthésiste ou encore de bloc opératoire si nécessité de césarienne en urgence. Quant au pédiatre et une place en néonatalogie en cas de problème du nouveau-né, c'est une autre paire de manches. Avec cette politique, les responsables successifs de la santé publique au Maroc ont accepté de fait un certain nombre de complications chez les femmes en couches et leurs nouveau-nés. Ceci ne fut pas un choix délibéré mais une politique pour s'adapter d'une part à certains terrains difficiles, comme les montagnes du Rif et de l'Atlas ou les plaines désertiques du Sud, et d'autre part à l'éparpillement de la population et aux difficultés des moyens de locomotion et de communication. Mais force est de constater que cette politique, malgré les chiffres annoncés de diminution de la mortalité maternelle, a atteint ses limites, et qu'il est inacceptable de laisser les femmes accoucher sans sécurité pour privilégier une proximité défectueuse. D'ailleurs, la pression mise sur les sages-femmes solitaires dans les centres de santé les incite à transférer les femmes en couches au moindre doute. Je vous donne comme exemple l'hôpital d'Errachidia où j'ai travaillé récemment et formé son personnel aux techniques d'obstétrique d'urgence. Les sages-femmes m'ont appris qu'elles vivent avec un ballet incessant d'ambulances qui s'opère au quotidien face à la situation bancale de toutes les structures périphériques, y compris les hôpitaux locaux. Ce qui aboutit à une pression importante sur le gynécologue et les sages-femmes de cet hôpital provincial, devenu régional dans le nouveau découpage territorial, mais sans les moyens qui vont avec. La santé publique perd presque quotidiennement de belles compétences C'est pour cela que je demande la fermeture des maternités périphériques dites de proximité mais dénuées de sécurité, et en contrepartie le renforcement des structures hospitalières existantes. Cette demande de fermeture des maternités périphériques n'est ni superflue ni inconsciente mais émane d'une connaissance du métier de l'obstétrique, du terrain marocain et de nombreux entretiens avec le personnel soignant en souffrance. Un personnel qui ne se sent pas entendu et subit des décisions centralisées. Alors, il s'adapte à sa façon, en cherchant des compromis, en trouvant des postes moins durs ou en quittant le système. Ainsi, la santé publique perd presque quotidiennement de belles compétences. Certains pensent que c'est peut-être le but recherché pour renforcer le secteur privé… Ce que je propose, c'est que chaque province possède selon ses caractéristiques deux, trois voire quatre maternités hospitalières fonctionnelles avec gynécologue et anesthésistes en garde résidentielle, un pédiatre, un service de néonatologie et un service de réanimation maternelle et néonatale, ainsi qu'un nombre de sages-femmes épaulées par des aides-soignantes et des puéricultrices. L'éparpillement actuel des compétences en termes de personnel de santé, surtout des gynécologues et des sages-femmes, est nuisible pour la santé reproductive dans le pays. D'abord pour le personnel de santé, qui soit perd en compétence soit subit des pressions inhumaines, prélude à des burn-out ou à des comportements déviants comme le mauvais traitement des femmes et la corruption. Et ce sont les femmes en couches et leurs nouveau-nés qui paient le prix le plus fort de ce déséquilibre qu'il est urgent de régler. Ceci ne demandera pas d'énormes budgets supplémentaires, mais seulement une volonté politique pour réorganiser ce champ, si nécessaire pour la société et par conséquent pour le pays.