En 1934, alors qu'il agissait jusque-là dans l'ombre, le Comité de l'action marocaine (CAM) sort de la clandestinité en présentant le Plan de réformes marocaines le 1er décembre. Un document, rédigé en septembre en arabe, est présenté dans sa version française au sultan Mohammed Ben Youssef, à la résidence générale ainsi qu'au ministère français des Affaires étrangères le 1er décembre mais il ne sera jamais pris en considération. En mars 1933, la France venait d'achever sa politique de pacification des tribus marocaines de l'Atlas. Après 42 jours de résistance, la tribu d'Aït Atta rendra les armes, annonçant la fin de la bataille de Bougafer. Mais la France coloniale aura bientôt affaire à un autre type de résistance, celui déclenché dans les centres urbains qui s'organisait en totale clandestinité. «En 1925, une organisation secrète est formée par un groupe d'étudiants à la recherche d'un lieu de discussion politique et d'enquête intellectuelle libres de la surveillance des Français», rapporte Spencer D. Segalla dans «Moroccan Soul : French Education, Colonial Ethnology, and Muslim Resistance, 1912-1956» (Editions U of Nebraska Press, 2009). Parmi ses membres figure Mohammed Al Kholti et Mohamed Al Fassi. Ce groupe va rapidement fusionné avec un groupe clandestin d'étudiants de Qarawiyyin dirigé par Allal Al Fassi. En 1930, afin d'organiser les manifestations contre le Dahir berbère, une vingtaine de dissidents se regroupèrent au sein d'une nouvelle organisation appelée Zawiya, qui dirigeait un réseau appelé Taifa dans des villes marocaines. «Zawiya financera la publication d'un journal nationaliste marocain à Paris, appelé "Maghreb" et publié pour la première fois en 1932. L'année suivante, Zawiya parrainera le premier journal nationaliste au Maroc, appelé "Action du Peuple", poursuit Spencer D. Segalla. Ces jeunes Marocains s'inspireront de plusieurs personnalités, dont le Libanais Chakib Arsalan ou encore Messali Hadj, fondateur de l'Etoile nord africaine (parti politique algérien fondé en 1926), comme l'affirme Marguerite Rollinde dans «Le mouvement marocain des droits de l'homme : entre consensus national et engagement citoyen» (Editions Karthala, 2002). La France a achevé la pacification des tribus marocaines vers 1933. / Photo d'illustration Le Plan de réformes marocaines La Zawiya créé alors Koutlat Al Aâmal Al Watani, soit le Comité d'action marocaine (CAM) à qui elle confiera l'action publique. Le nouveau parti, dirigé entre autres, par Mohamed Hassan Ouazzani, Ahmed Balafrej, Mohamed Diouri, Mohamed Allal El Fassi et Omar Abdeljalil, rédigera dès septembre une première version du «Plan de réformes marocaines». «Ce Plan, établi en arabe par le Comité d'Action Marocaine, a été traduit en français par quelques-uns de ses membres», indique-t-on dans la version française, préparée en novembre et soumise le 1er décembre 1934. «L'imprimerie arabe n'étant pas libre au Maroc, le Comité s'est vu obligé de faire imprimer cet ouvrage au Caire», explique-t-il. La première page du Plan des Réformes marocaines. / Ph. DR Le document, présenté au sultan Mohammed Ben Youssef, au résident général du protectorat français au Maroc ainsi qu'au chef de la diplomatie française, fera également état d'un comité de patronage, constitué de Français, ce qui mènera certains historiens à se douter de ses vrais rédacteurs. Il s'agit notamment de grands noms de la gauche française, comme Robert-Jean Longuet, Jean Piot, Pierre Renaudel ou encore François de Tessan. De plus, l'ouvrage n'appelait pas à la fin du protectorat, mais seulement à l'application du Traité de Fès. «Ils n'appelaient pas les Français à se retirer du Maroc, mais ils exigeaient que les Français respectent les termes du traité de Fès. Cet accueil de la puissance française ne les rend pas moins nationalistes. Mais leur vision du Maroc reflète la notion européenne d'Etat-nation moderne : un peuple national, uni sur un territoire délimité, placé sous une autorité souveraine.» Spencer D. Segalla Quant aux autres revendications, elles s'articulent autour des politiques générales de la France. «Le Plan de réformes remet en cause l'application du Protectorat sur deux points : la politique deux poids deux mesures et la politique d'assimilation qui vise directement la politique berbère», écrit Marguerite Rollinde. Le document propose aussi plusieurs réformes politiques, judiciaires, sociales, économiques et financières. Mais la proposition ne trouvera pas une oreille attentive chez la résidence générale ni les autorités françaises. Le CAM, à l'origine du Parti de l'Istiqlal et du PDI En 1936, des désordres éclatent à Fès, à Salé et à Casablanca. «Les dirigeants du Comité, dont Allal El Fassi, furent arrêtés», écrit-ton dans «l'encyclopédie de l'islam» (Editions Brill Archive). Après une libération presque immédiate, le CAM décide alors de se dissoudre, poursuit-on de même source. Mais l'historienne Amina Ihrai-Aouchar apporte une autre version. Dans «La presse nationaliste et le régime de Protectorat au Maroc dans l'entre-deux-guerres» (Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°34, 1982), elle raconte comment le premier parti nationaliste marocain donnera la naissance à d'autres. «Le Comité d'Action Marocaine (CAM) qui, en se fractionnant au cours de l'été 1936, donne naissance d'abord à un CAM-nord et à un CAM-sud», écrit-elle. Des nationalistes marocains dont Mehdi Ben Barka. / DR Les deux CAM se scinderont à leur tour, provoquent la création de deux partis en zone de Protectorat français : le Parti national pour la réalisation des réformes (PNRR) de Hassan Ouazzani, qui deviendra en 1946 le Parti démocratique de l'Indépendance (PDI) ainsi que le Mouvement national (MN), ancêtre du Parti de l'Istiqlal, dirigé par Allal El Fassi. Le CAM-nord donnera naissance à deux partis en zone de Protectorat espagnol : le Parti national des réformes (PRN) d'Abdelkhalek Torres, et le Parti de l'unité marocaine (PUM) de Mohamed Mekki Naciri. La phase «réformiste» du mouvement nationaliste s'achèvera finalement par «l'exigence de l'indépendance formulée officiellement par les deux partis de la zone de Protectorat espagnol, au lendemain du débarquement américain sur les côtes marocaines, le 18 décembre 1942», conclut Amina Ihrai-Aouchar. Le 11 janvier 1944, les nationalistes marocains franchiront une étape importante en publiant le Manifeste de l'indépendance, signé par soixante-dix figures de proue du mouvement national.